2009 - Parole politique et parole professionnelle, un débat impossible ?

L’assemblée générale s’est tenue au Palais de justice de Paris Salle des Criées les 14 et 15 mars 2009 sur le thème :

"Justice des mineurs : Parole politique et parole professionnelle, un
débat impossible ?"

Avec la participation de Pierre Joxe, ancien ministre et membre du Conseil constitutionnel, à la suite de la parution de son ouvrage "Cas de conscience", qui développera ses positions sur l’évolution de la justice des mineurs.

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Argumentaire

Pressions croissantes de l’exécutif sur la justice, mise au pas
du Parquet et défiance affichée à l’égard des magistrats du Siège.
Dramatisation de la délinquance des mineurs et délaissement
des responsabilités de l’Etat en matière de protection de l’enfance.
Management des personnels de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse (PJJ) autour de la seule rééducation des jeunes
délinquants considérée comme un contentieux de masse, à traiter
au moindre coût.

Telles sont les principales politiques menées cette année dans
notre secteur ; elles convergent parfaitement avec les réformes
inquiétantes imposées sous prétexte de modernisation au secteur
socio éducatif, à la Santé à l’Education et à la Recherche1.
Elles confirment la volonté de recentrage exclusif de l’Etat sur
son rôle de maintien de l’ordre public prétendument menacé, en ce
qui concerne notre champ d’action, par une adolescence, voire une
enfance, tenues pour dangereuses.

S’appuyant en toutes circonstances sur les positions de
campagne du Président élu, elles ont pour caractéristique de n’avoir
jamais été véritablement débattues, alors même qu’elles
contredisent frontalement les opinions et analyses venues du
terrain.

Elles portent dès lors en germe une disqualification de la
parole des professionnels, soupçonnés d’immobilisme et de
1 Voir à cet égard sur www.sauvonslarecherche.fr la pétition :"Pourquoi nous ne voulons pas de la "nouvelle
criminologie" et des projets de contrôle de la recherche sur la "sécurité intérieure" dans lesquels elle s’inscrit.

Corporatisme, tandis que l’empilement de réformes sans
questionnement préalable sur leurs éventuels effets pervers,
multiplie, à moyens constants, les dysfonctionnements
institutionnels et entraîne dans de nombreux domaines des
régressions impressionnantes.

Prenons pour exemple l’émission "A vous de juger" du 16
octobre 2008 sur France 2.

A plusieurs reprises la Ministre de la Justice, dont la prestation
avait été manifestement préparée dans le détail, a martelé qu’en
matière de délinquance l’avis des professionnels ne devait pas être
tenu pour parole d’évangile et qu’elle avait à coeur d’aller elle-même
sur le terrain pour se forger sa propre opinion. Dans la même
émission, sa rapidité à mettre en question le comportement des
magistrats après le suicide d’un mineur incarcéré suite à des fugues
réitérées d’un Centre Educatif Fermé (CEF) a crûment mis en
lumière le refus d’envisager les conséquences d’une application
stricte de sa propre politique criminelle.

Parlant de la population des jeunes détenus, elle n’a pas craint d’
inventer la présence dans une structure marseillaise d’un mineur
poursuivi dans une cinquantaine de dossiers, ni d’affirmer dans un
évident dessein de dramatisation que pour être incarcéré il fallait
être au moins braqueur ou violeur. Il suffit pourtant de jeter un
coup d’oeil sur les statistiques pour constater que les coups et
blessures entre adolescents, et les vols aggravés par le fait d’avoir
agi à plusieurs et de nuit, sont statistiquement beaucoup plus
nombreux.

Ces erreurs ou à peu près volontaires, jamais assumées
comme tels, ne sont pas une nouveauté ; le signal en a été donné
par l’actuel Président de la République alors ministre de l’intérieur
après les évènements survenus dans les banlieues à l’automne 2005
 : faisant mine d’ignorer l’indépendance de chacun des juges dans
son pouvoir souverain de décision sauf exercice des voies de
recours, celui-ci s’en est pris au président du tribunal pour enfants
de Bobigny tenu pour responsable d’un laxisme collectif ; la réalité
objective en a été aussitôt déniée par les intéressés puis infirmée
par les résultats d’une recherche menée ultérieurement dans le
cadre du CNRS .

De toutes façons, depuis l’affaire d’Outreau, il est devenu à la mode
de mettre en relief les bévues de la justice pénale : on ne se
contente plus d’interroger la responsabilité des juges, on cherche
leur culpabilité. Il ne leur est plus demandé de prononcer des
décisions étayées par des éléments de fait et de droit destinées à
prévenir la répétition des faits, mais d’aller au devant des attentes
présumées de l’opinion, de deviner à leurs risques et périls ce qui
apparaîtra après coup comme la meilleure décision, autrement dit
de manier la boule de cristal ou le marc de café.

Au demeurant, l’envahissement de la parole politique par les
techniques de communication ne facilite pas un débat de fond sur
les orientations du pouvoir. Ce dernier légifère dans l’émotion
consécutive à chaque fait divers et se réfère à la volonté des
français exprimée dans des sondages élaborés à chaud et de façon
souvent tendancieuse.

Dans ce contexte, la critique motivée des professionnels du
projet de réforme est réduite, de plus ou moins bonne foi, à une
incompréhension résultant d’une insuffisante explication ou d’une
mauvaise présentation des choses.

Tout se passe comme s’il fallait absolument imposer un produit sur
le marché et que, face à l’inappétence des consommateurs, on
préférait améliorer l’emballage, plutôt que de revoir le contenu.
Est-ce à dire que la parole politique, parce qu’elle s’appuie sur
l’élection ou bénéficie de la faveur du Prince, peut jouer avec la
vérité, et, se fondant sur des préjugés simplistes ou des enquêtes
d’opinion qui ont des relents de café du commerce traiter par le
mépris les autres sources légitimes ? Que peut-on attendre d’une
telle disqualification sinon l’incohérence institutionnelle, la débâcle
du sens et finalement une déperdition de l’efficacité collective que
l’on prétendait améliorer ?

Compte tenu de la banalisation de ces pratiques qui sapent la
crédibilité judiciaire, il paraît urgent de remonter à la source qui
alimente le désordre et, après l’avoir identifiée, de dresser la liste
des idées reçues, colportées par la presse sans esprit critique, qui
imprègnent les milieux politiques, inspirent l’élaboration des lois, et
placent les professionnels de terrain, sommés de faire coïncider
leur éthique professionnelle avec une déontologie qui leur est
imposée, dans une insécurité permanente.

Certes, le pouvoir politique s’est de tous temps méfié des
magistrats ; il a donc constamment maintenu le budget de la justice
à un niveau de médiocrité qui situe la France parmi les moins
avancés des pays européens ; néanmoins la séparation des pouvoirs
chère à Montesquieu, était jusqu’à ces dernières année respectée,
au moins dans la forme.

Il est désormais évident que la mondialisation de l’économie et
l’accélération des progrès technologiques provoquent
inévitablement, plus ou moins vite selon la conjoncture politique la
remise en cause du fonctionnement sinon de l’existence des
secteurs non marchands.

A travers le discours de la gestion, l’aspect économique infiltre
toujours davantage le langage politique et administratif au
détriment de préoccupations aussi respectables mais qui n’ont pas
la chance d’être visibles et de pouvoir s’évaluer.
Pour employer une image, la Cour des comptes prend le pas sur le
Conseil Constitutionnel.

Le libéralisme économique de Droite et le libéralisme politique de
Gauche se prêtent d’autant plus volontiers à cette évolution qu’ils
ont historiquement une même origine philosophique, une même
perception désabusée du comportement des hommes entre eux, une
même considération pour cet avatar moderne du culte du veau d’or
que constitue l’hypergestion.

Dès lors, les mécontents - et ils sont de plus en plus nombreux - ne
disposant plus d’une représentation politique, éparpillent leurs votes
et ne parviennent vraiment à s’exprimer que par la signature de
pétitions vengeresses circulant sur internet.

Il est en tous cas patent que, prétextant une modernisation
indispensable, le pouvoir politique cherche à remodeler les grandes
institutions en charge de la Santé, de l’Education et de la Justice
selon les seuls canons de la compétition économique ; chemin
faisant, il prend le risque de simplifier outrageusement des
problématiques pendantes depuis des décennies et de bouleverser
sans véritable nécessité des équilibres obtenus au prix de dégâts
humains considérables.

Quant aux perspectives à long terme, aux moments et aux lieux où
s’opèrent les choix politiques fondamentaux, nous prenons à peine
conscience de notre manque d’informations et de notre inaptitude à
les interpréter.

Combien de magistrats peuvent se vanter d’avoir compris en temps
utile les implications à moyen et long terme de la LOLF ?
Que recouvre la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
Quelles sont les priorités du conseil de la modernisation des
politiques publiques qui réunit autour du Président de la République
l’ensemble des ministres ?

Quelle place l’exécutif laisse-t-il à la discussion parlementaire et à
la négociation avec les partenaires sociaux ?

L’insistance portée sur l’analyse des coûts n’a-t-elle pas pour
conséquence de faire passer au deuxième plan les besoins du
public ? Quel contre feu a-t-on prévu pour éviter ce risque ?
Dans le domaine de l’élaboration du Droit communautaire européen,
sait-on que se joue actuellement la question de la définition des
services sociaux d’intérêt général, définition dont dépendra à
l’avenir leur soumission ou non aux règles du marché et de la
concurrence. Que va dans ces conditions devenir le concept de
service public ?

Il y a de quoi s’inquiéter quand on sait que le parasitage de la
pensée par la préoccupation mercantile a généralement pour effet
de resserrer les perspectives, de dévaloriser les métiers qui
travaillent sur l’humain, de sous estimer voire d’éliminer ce qui
résiste à la quantification, par nature, ou en raison d’un métissage
de perspectives.

Des choix au premier abord logiques peuvent se révéler plus tard la
source de fractures préjudiciables ; ainsi, les textes de
décentralisation qui ont réservé à l’Etat la poursuite et le châtiment
des délinquants tout en confiant aux conseils généraux la
responsabilité de l’action sociale ont manifestement oublié que la
réintégration du coupable au sein de la communauté déborde
largement les responsabilités de la Justice et devrait figurer
également dans les charges du département.

Enfin, la priorité donnée à l’économique ne garantit nullement la
neutralité idéologique, même si son apparence rationnelle sert
souvent à couvrir l’arbitraire de certains choix.

Eriger en système une tolérance zéro et un traitement en temps réel
que les chercheurs américains sont en train de démystifier,
contrôler a posteriori l’application sans faille des peines plancher en
matière de récidive relève t-il de l’application banale du toujours
plus, toujours plus vite de l’entreprise moderne ou d’une philosophie
pénale fort loin d’être innovante ?

Nous sommes ici au coeur des ambiguïtés, contradictions et
injonctions paradoxales adressées à des magistrats contraints par
la loi de réprimer mécaniquement en dépit d’une surpopulation
carcérale productrice de faits divers dramatiques, et de renoncer à
leur corps défendant aux services de la PJJ pour l’exécution de
mesures qui avaient précisément été crées en vue de remédier
aux fragilités familiales et personnelles qui préparent la
délinquance.

Le modèle économique est-il si bien régulé qu’on puisse le
transposer dans le domaine de la justice des mineurs et des droits
de l’enfant où le qualitatif et le sur mesure constituent des
impératifs sine qua non ? Mérite-t-il qu’on abandonne chaque jour un
peu plus des idéaux éprouvés et même l’identité professionnelle
des magistrats ou des éducateurs ?

Il convient ici de dire quelques mots des infirmités de la
commission Varinard : il n’a échappé à personne que sa composition
avait été politiquement conçue pour exclure de son fonctionnement
toute parole collective des professionnels, même si ces derniers
pouvaient être ponctuellement appelés à exprimer leurs desiderata.
Les conséquences sont évidemment apparues dans le rapport luimême.
L’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la
Famille a ainsi pu constater que ses propositions les plus novatrices
concernant le renvoi à la collectivité locale de situations sans
gravité et le regroupement des faits délictueux par périodes pour
éviter la fragmentation des poursuites avaient été reprises mais
détournées de leurs objectifs, ce qui ne se serait sans doute pas
produit si elle avait été associée aux travaux.

Le rapport témoigne en outre d’une cécité complète concernant le
travail éducatif.

Faute de représentation suffisante en son sein d’une perspective qui
garde pourtant son importance parmi les principes retenus, la
commission a bâti un cadre rigide autour d’un véritable vide, d’un
creux qu’elle a chargé plaisamment les magistrats de meubler2.
Un peu plus de curiosité lui aurait permis de découvrir que
l’éducateur promu devin ne peut qu’avoir un rôle limité dans l’aide à
la décision, que l’action éducative ne saurait se réduire à un
gardiennage, ni à l’encadrement de la réparation, et surtout que
l’entreprise éducative pour aller jusqu’au bout d’elle-même a besoin,
au-delà de repères temporels, d’un cadre suffisamment durable et
souple pour s’adapter à la variété des situations.

Faut-il se résigner ? Jusqu’à présent, émettre un doute sur la
primauté de la gestion c’était refuser le progrès ; or la crise
financière et économique qui accable notre pays, en dévoilant la
fragilité du système, nous apporte en même temps une occasion de
revenir à la charge.

Le trait dominant des adorateurs du Marché est en effet un
dogmatisme bien éloigné de l’idéal de liberté : Hors du libre jeu
d’une concurrence non faussée point de salut ; haro sur les
scrupuleux qui viendraient le paralyser ou seulement le ralentir.
2 il y a lieu de se reporter à la proposition 44 concernant l’instauration d’un suivi éducatif en milieu ouvert unique
pouvant intégrer des obligations de faire, ainsi que des mesure …. d’assistance et de surveillance, sans autre
précision, qui seront décidées par le magistrat.

Désormais, de l’aveu même du Président de la République,3
l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique
est morte avec la crise financière.

Si tel est le cas, il ne suffit pas, comme le fait Nicolas Sarkozy
d’appeler à un retour du Politique, lui-même lourdement compromis
dans la genèse de la catastrophe ; il faut purger tout le système des
miasmes d’une doctrine qui proclame depuis des décennies à
travers les medias qu’aucune considération de quelque nature
qu’elle soit ne peut prévaloir sur les exigences du marché et que
l’excellence de la gestion suffit à garantir le progrès.

Examinons maintenant à partir de quelles considérations l’Etat
libéral aborde la justice et plus particulièrement une juridiction des
mineurs différenciée au sein de la magistrature par son origine
historique récente et sa vocation personnaliste.

Outre le maintien de l’ordre indispensable à la sécurité des
échanges, la vie en société comporte la nécessité de divers
arbitrages ; ceux-ci seront d’autant plus appréciés de l’homo
economicus qu’il pourra compter sur la simplicité de la procédure,
la transparence de la motivation et la prévisibilité du contenu. Il
faudra en outre veiller à l’effectivité de l’exécution des décisions.
C’est à ces conditions que l’on pourra anticiper et inclure le risque
judiciaire dans le jeu de la concurrence.

Quant à l’Education, outre l’instruction publique proprement dite,
elle se résume en un travail de surveillance de la jeunesse,
d’intimidation ou d’élimination des trublions par l’éloignement ou la
3 Discours d’Argonnay, 23 octobre 2008 relaté par Le Monde
contention. La fonction paternelle de l’Etat chère au professeur
Legendre se réduit à une simple entreprise de dressage ne
nécessitant pas de compétences pointues en sciences humaines. Il
convient donc de ramener les éducateurs à des tâches dont ils
n’auraient jamais dû s’éloigner, ce à quoi la Direction de la PJJ
s’emploie avec une opiniâtreté consternante.

Dans la Justice des mineurs, la marge d’interprétation dont
dispose le magistrat du Siège vis-à-vis de ses critères d’intervention
qui sont parfois de simples standards sociologiques, la complexité
des intérêts en présence dont la préservation obéit à des
temporalités différentes, l’inextricable interpénétration du
contentieux civil et du contentieux pénal ne répondent pas
véritablement aux exigences de la modernité libérale.
Les règles de procédure qui font dépendre, au moins en partie, le
prononcé de la décision des aléas d’un débat contradictoire
engendrent une certaine imprévisibilité de la décision.

D’’où les diatribes politiques récurrentes concernant la lenteur de la
justice, sa complexité, et la prétendue toute puissance des
magistrats.

En revanche, au sein d’un Parquet hiérarchisé, où les individualités
ne peuvent s’exprimer que dans des limites étroites, et qui est
surtout directement soumis aux directives ministérielles, ces
inconvénients n’existent pas.

D’où la multiplication des procédures rapides, les pleins pouvoirs
donnés au Parquet pour traiter en amont certaines formes de
délinquance, et la diversification des modes de saisine.

D’où le recul des prérogatives de la juridiction par rapport au Conseil
général avec l’adoption du principe de subsidiarité de l’intervention
judiciaire en assistance éducative, la mise en question de la double
compétence du juge des enfants, le rétrécissement continu de sa
marge de manoeuvre dans le prononcé de la sanction, le tout sur
fond de contestation des spécificités de la tranche d’âge que
constitue l’adolescence, et de renversement de la priorité
antérieurement donnée au milieu ouvert en matière d’équipement.
D’où, s’agissant cette fois de l’institution éducative, l’élaboration
par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse d’un "plan
stratégique" unilatéralement défini, conformément auquel elle a
annoncé que, pour des raisons de rationalisation de l’affectation de
ses moyens, elle ne budgéterait pas et n’exécuterait plus les
missions d’assistance éducative et de protection jeunes majeurs
pourtant prévues par des textes non abrogés et expressément
décidées par l’autorité judiciaire.

Indépendamment de la gravité sur le plan symbolique de l’atteinte
portée à la chose jugée, ce coup de force achève de ruiner la
continuité du service public déjà fragilisé par des délais excessifs
de mise en oeuvre,et diminue d’autant la valeur performative des
décisions juridictionnelles.

 La célérité indiscutablement souhaitable en droit des affaires ne
l’est pas forcément dans un domaine où le temps de la procédure
est vécu différemment par le délinquant, la victime, les experts et
les intervenants éducatifs, sans parler de l’environnement et des
medias.

 Il est loin d’être établi que les processus décisionnels opaques en
usage dans l’exécutif surpassent en efficacité le débat
contradictoire dans la résolution des conflits et la préservation de la
paix sociale.

 Il ne viendrait à l’idée de personne de comparer l’efficacité des
différentes justices européennes à partir du seul nombre des
décisions rendues rapporté au coût de fonctionnement.

 Enfin, le management des personnels et des moyens à partir de
priorités politiques prédéfinies sur un plan général génère souvent
des dégâts collatéraux que le bon sens des décideurs de terrain
aurait sans doute évités.

La parole de l’enfant devrait par exemple être mieux écoutée
depuis que le juge est invité à l’entendre chaque fois qu’il le
demande et à prendre en considération son intérêt supérieur ; mais,
en diminuant de façon drastique la disponibilité des magistrats en
assistance éducative, la priorité donnée par les princes qui nous
gouvernent au traitement des dossiers de délinquance n’a-t-elle pas
pour effet de réduire cette avancée à un voeu pieux, sinon à un
simple affichage ?

Le paradigme économique appliqué sans discernement a aussi
pour effet d’enfermer la victime dans le seul rôle de créancière de
dommages intérêts, et de transformer la délinquance des
adolescents en menace majeure pour l’intégrité des personnes et
des biens, alors même que c’est la reconnaissance de la souffrance
qui est principalement revendiquée et que la délinquance en col
blanc apparaît incomparablement plus nocive pour l’ensemble de la
société que la jeunesse la plus turbulente.

Il est donc légitime de se demander si les exigences de la
compétition économique peuvent être impunément transposées en
matière de justice, et si les règles de la gestion doivent continuer à
inspirer de manière prioritaire et uniforme l’administration des
juridictions.

Ne faut-il pas au contraire redonner priorité à d’autres
considérations, pourvu toutefois qu’elles répondent à l’intérêt
supérieur des usagers ?

Notre assemblée générale ne pourra se contenter de dénoncer
l’envahissement de la justice des mineurs, par des façons de penser
qui lui sont étrangères, et qui ressemblent fort à des préjugés parés
des prestiges de la modernité.

Elle devra faire appel à des sociologues, des juristes voire à un
philosophe pour l’aider à approfondir et à affiner sa réflexion ; ce
sera l’objet des interventions prévues dans la matinée de notre
journée de travail. L’après-midi, selon une tradition désormais bien
établie, nous donnerons, dans le cadre d’une table-ronde, la parole à
d’autres professionnels du champ social.

Mais il faudra aussi réfléchir aux remèdes. Plusieurs pistes
peuvent d’ores et déjà être envisagées :

La première qui vient à l’esprit consisterait chaque fois que cela est
possible à saisir la Recherche4 de questions précises pour nous
4 Lire à ce sujet l’intéressant article de Michel Chauvière, "L’action sociale à l’épreuve de l’hypergestion", article
paru sur oasis, le portail du travail social (www.travail-social.com)
aider à valider ou à l’inverse à relativiser les intuitions que nous
tirons de notre expérience de terrain. Nous travaillons dans un
domaine où les affirmations de nature idéologiques sont souvent
mises sur le même plan que les constatations objectives, et nous
n’échappons pas toujours à ce travers.

Il est en tous cas intéressant de relever que la polémique
concernant la manière dont les mineurs vivent la double fonction
civile et pénale du juge des enfants s’est nettement estompée
depuis qu’au détour des questions posées par l’inspection de la PJJ
à quelque 300 d’entre eux, la plupart ont répondu qu’ils n’en étaient
pas particulièrement troublés.

La seconde reviendrait à finaliser avec l’UNIOPPS les termes du
Manifeste exposant le socle des principes que nous continuerons à
défendre parce qu’ils nous paraissent intangibles sous peine de
dénaturation de notre travail. Dès que le texte en sera arrêté, il
pourrait être proposé à la signature des magistrats et de tous les
professionnels qui collaborent avec eux en matière de mineurs.

La troisième nous conduirait à nous référer davantage aux
engagements internationaux de la France ; il est intéressant de
remarquer qu’à l’inverse de notre pays, les instances internationales
se sont toujours adressées aux professionnels pour rédiger les
conventions et recommandations touchant à la délinquance et à la
protection des mineurs ; sans ignorer les inflexions des politiques
libérales, ceux-ci se sont accordés avec les représentants des ONG
pour maintenir fermement des orientations humanistes applicables
sur le terrain.

D’année en année le décalage entre notre législation et le contenu
respectif des conventions onusiennes et des recommandations du
conseil de l’Europe apparaît plus flagrant, ainsi qu’en témoigne le
rapport déposé en novembre par le commissaire européen aux droits
de l’homme ; il faudra bien un jour en tirer les conséquences.

La dernière a été ébauchée à l’automne, à l’occasion du congrès de
l’association italienne des magistrats de la jeunesse à Brescia ; il
s’agirait de créer une section européenne de l’association
internationale des magistrats de la Jeunesse et de la Famille
(AIMJF) afin de mettre en commun avec nos collègues nos
difficultés et nos appréhensions concernant tel ou tel projet de
réforme, de tirer les leçons des expériences étrangères, et
d’intervenir collectivement auprès des instances nationales avec un
véritable statut d’experts. En effet, nous nous sommes rendu
compte que si les courants d’idées qui inspirent actuellement les
dirigeants européens sont en général identiques, la conjoncture
dans chaque pays se prête plus ou moins à leur traduction
législative et qu’ainsi, tel ou tel pays commence à se poser une
question alors qu’elle a été tranchée ailleurs et que le recul permet
déjà d’apprécier la véritable valeur de la solution adoptée.

Ainsi aurait-on davantage de chances de parvenir à une
modernisation qui ne soit pas politiquement imposée à partir de
préjugés contestables mais réfléchie et maîtrisée.

Programme

Samedi 14 mars

Matin

9h15 accueil

9h 30 Présentation du thème de l’assemblée générale par
Catherine Sultan, présidente de l’AFMJF

9h 40 Ouverture par Maria Maïlat, anthropologue
« La justice, les mineurs et Faust : un détour anthropologique »

10 h 30 Table-ronde : La délinquance juvénile, représentations et réalités
avec
Christine Lazerges, ancienne vice-présidente de la commission des lois à
l’assemblée nationale et professeur de droit (Université Paris 1 Sorbonne) « Y-a-t-il encore un débat possible ? »

Laurent Mucchielli, historien et sociologue
« L’évolution de la délinquance juvénile et de son traitement : la
parole du chercheur face à celle du politique »

Dominique Simonnot, journaliste « Les médias face à la surenchère sécuritaire »

Modérateur : Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris

12 h 30 Déjeuner

Après-midi

14 h 30 Intervention de M. Cabourdin, Directeur de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse (sous réserve)

15 h à 16 h Table-ronde : La disqualification par le politique de la parole des
professionnels
avec

Dans le domaine du social, Pierre Henri, Dir-Général de France Terre d’Asile

Dans le domaine de l’éducation, Martine Beistegui, directrice de service éducatif (FN3S)

Dans le domaine de la psychiatrie, Jean-Louis Le Run, pédopsychiatre

Dans le domaine de la santé, Stéphane Tessier, médecin de santé publique

Dans le domaine de la justice des mineurs, Delphine Bourgouin, juge des enfants (Melun) et Joseph Meyersen, magistrat (Italie)

Modérateur : Emmanuelle Dufay, juge des enfants (Vesoul)

16 h 15

Reprise des débats et synthèse des travaux par Robert Bidart, juge des enfants (Pau)

DIMANCHE 15 mars 2009

RESERVE AUX ADHERENTS DE L’AFMJF

Matin :

10 h 00 Rapport moral et rapport financier

10 h 30 Débat et vote

11 h 00 Comité directeur élargi à tous les adhérents présents : approbation des
orientations 2009 de l’AFMJF