L’éducation en trompe l’oeil pour une véritable accélération de la répression.

#TDM

Le 3 décembre 2008 le professeur Varinard remettait à madame le Garde des Sceaux un rapport, issu des travaux de la commission installée quelques mois plus tôt, qui devrait servir de base à un projet de réforme du droit pénal des mineurs.
En réponse à la commande ministérielle, le rapport expose son objectif de clarifier les dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945, modifiée plus de 30 fois par des dispositions « inspirées de philosophies différentes ».

L’ordonnance du 2 février 1945 est qualifiée de texte fondateur car elle a su dessiner le projet d’une société qui s’engage pour l’avenir de tous ses enfants.
Elle a défini des principes humanistes et pragmatiques et a inventé une procédure particulière, dérogatoire, outil indispensable à leur mise en pratique.
La primauté éducative et la spécialisation de la justice des mineurs sont aujourd’hui consacrées par les conventions internationales et par la jurisprudence constitutionnelle.
Le défi d’un projet de réforme du droit pénal des mineurs devrait consister à réaffirmer ces principes essentiels puis à aller plus loin en définissant un nouveau projet pour la jeunesse dans un contexte historique différent de celui de l’après guerre mais semé aussi d’incertitudes pour les plus jeunes.
A l’exemple du législateur de 1945 il devait tendre à la cohérence entre les engagements généraux et la procédure applicable.
Améliorer la lisibilité du droit pénal des mineurs, adapter la législation aux évolutions sociales ; ces ambitions sont partagées par les acteurs de la justice des mineurs et plus particulièrement par les juges des enfants.

Dès la présentation de ses travaux le rapporteur rappelle la volonté gouvernementale de ne pas se contenter d’une actualisation des textes mais de parvenir à une refonte en profondeur de la justice des mineurs.
Un tel projet ne peut se construire qu’à partir d’un constat et d’une analyse fiable et sérieuse. Or, les conclusions de la commission ne s’appuient sur aucune étude sociologique mais reprennent sans les démontrer les affirmations d’un discours dominant qualifiant la délinquance juvénile de plus violente, plus jeune et plus nombreuse.
Ainsi, le rapport se réfère à des statistiques administratives qui ne visent pas à mesurer l’évolution des comportements délinquants mais qui décrivent l’activité policière et judiciaire laquelle évolue en fonction des pratiques délinquantes mais aussi des modifications du droit pénal et des politiques publiques en matière de sécurité. Il ne tient aucun compte d’une étude scientifique récente (cf article de novembre 2008 de Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS) qui démontre la baisse en 10 ans du taux de la délinquance des mineurs par rapport à la délinquance générale (22% à 18%), la stabilité des tranches d’âge sur les 20 dernières années et infirme le prétendu laxisme de la justice des mineurs.

Parmi les 70 propositions résultant du rapport de la commission Varinard, une quarantaine d’aménagements proposés sont inspirés des bonnes pratiques ou d’innovations techniques consensuelles (code dédié, procédure simplifiée, extension de la compétence de la Cour d’assises, défense personnalisée, indemnisation des victimes, place des parents …..).
La fixation d’un âge minimum de responsabilité pénale peut aussi être classée comme une avancée. On peut déplorer, toutefois, le choix de 12 ans comme seuil d’âge minimum de responsabilité pénale particulièrement précoce en comparaison des législations étrangères.

Mais une lecture complète du rapport conduit au constat d’une contradiction constante entre les mesures proposées et les affirmations liminaires, lesquelles sont soit détournées, soit infirmées.
Il ne place aucune confiance dans les promesses de la jeunesse mais au contraire porte sur l’enfance un regard fait de défiance.

#1#I/ La spécialisation de la justice des mineurs : un principe affirmé, constamment écarté

Le principe de la spécialisation du droit pénal des mineurs (proposition 4) résulterait d’une nouvelle exigence salutaire : toute modification législative ne serait dorénavant applicable aux mineurs que si elle le prévoit expressément. La généralisation de la formation de tous les acteurs de la justice des mineurs viendrait conforter cet engagement (15).
Cette prise de position est rapidement contredite quand le rapport soutient que deux réformes récentes, emblématiques d’un alignement du droit pénal des mineurs sur celui des majeurs doivent être maintenues : La composition pénale et les peines planchers. Ces dernières contredisent la nécessaire individualisation des réponses à la délinquance, exigence renforcée quand il s’agit d’un mineur. Elles tendent à augmenter mécaniquement la durée des peines et le temps de l’incarcération. La rigidité de cette disposition ne permet plus une réponse souple et adaptée au développement d’un parcours particulier.
Un projet de réforme du droit pénal des mineurs doit donc revenir sur l’application de cette disposition.
Le bracelet électronique est aussi préconisé sans étude de son adaptation aux mineurs.
La spécialisation revendiquée se comprend donc comme une précision textuelle de pure forme et non par la prise en compte nécessaire du degré de maturité de l’auteur et de la finalité éducative de la réponse qu’elle soit éducative ou répressive.

Selon les conclusions du rapport, la majorité pénale doit être maintenue à 18 ans, conformément à l’article 1er de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
Par contre les restrictions des lois de 2007 au principe de la diminution de peine au bénéfice des mineurs sont validées.

La création d’un tribunal correctionnel pour mineurs pour les plus de seize ans composé « d’au moins un juge des mineurs » (proposition 33) constitue le démenti le plus cinglant à la spécialisation de cette nouvelle justice des mineurs.
Certains mineurs ne seraient donc plus traités comme tels, malgré leur âge au moment des faits et leur stade de développement ; l’accent porté sur l’acte commis efface l’individu que l’on doit juger.
Le juge des enfants, minoritaire dans la composition de la juridiction, devient une simple caution pour sauver l’apparence d’un principe de spécialisation mou et à géométrie variable.
Cette nouvelle juridiction se rapproche du système institué en 1912 dont l’échec est unanimement reconnu.
Elle constitue une expression de défiance à l’égard des juges des enfants et des assesseurs, qui tout en appliquant la même procédure que le tribunal correctionnel pour mineurs doivent être écartés ! Cette juridiction « spéciale »porterait alors le discrédit sur le Tribunal pour enfants au risque d’une perte de légitimité de l’institution et de ceux qui l’animent.
Ce nouvel échelon de jugement fragiliserait la juridiction des mineurs et porterait atteinte à sa lisibilité.
Les critères de saisine proposés sont de plus discriminatoires, s’attachant aux circonstances des faits (commis avec un majeur de 19 ans), aux délais d’audiencement pratiqués (mineur devenu majeur) et non à la situation individuelle du prévenu.
Il serait au contraire souhaitable d’améliorer la formation des assesseurs et leur implication dans la vie de la juridiction.
Par ailleurs, cette innovation constituerait un moyen facile pour pallier le manque d’effectifs au sein des tribunaux de grande instance : les juges des enfants, sollicités au titre du tribunal correctionnel « spécial » complèteraient la composition des audiences correctionnelles habituelles.
Enfin, avec un tel projet la France s’écarterait des dispositions de la CIDE qui demande aux Etats de promouvoir l’adoption de lois, procédures et d’institutions spécialement conçues pour les mineurs. Elle est directement applicable en droit interne (cour de cassation 1ère chambre civile, 18 mai 2005 bul 245) et donne aux enfants des droits qu’ils peuvent directement invoquer devant les tribunaux.
Cette proposition ne suit pas les recommandations du comité des droits de l’enfant : adoption d’un système spécial pour les enfants (rapport sur la 9è session, mai/juin 1995, CRC/C/43, annexe VIII ; recommandations au Royaume-Uni CRC/C/15 add.34 par.35 et au Sénégal CRC/C/15/add 44 par 26) et qu’il soit applicable jusqu’à 18 ans (recommandation à Barbade CRC/C/15 Add 103 par 29, Malte CRC/C/15 Add 129 par 49 et 50, Royaume Uni CRC/C/15 add 188 par 60 à 62). Un mineur pourrait donc revendiquer devant les tribunaux de bénéficier d’une justice spécialisée et se plaindre de discrimination injustifiée si une différence était faite entre les moins de 16 ans le les plus de 16 ans.
La proposition de créer un tribunal correctionnel pour les mineurs remet en cause le principe du maintien de la majorité pénale à 18 ans ; en traitant des mineurs de 16 ans comme des adultes on se rapproche du régime en place avant 1906, date du passage de la majorité pénale de 16 à 18 ans.
De plus, il est constant que les évolutions éducatives, les réalités sociales et économiques retardent aujourd’hui le moment de l’accès à l’autonomie, difficulté majorée pour la partie de la jeunesse plus fragilisée.
A ce titre, pour tenir compte de l’allongement de la période de transition vers l’âge adulte, plusieurs Etats comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, la Slovénie, la Croatie, la Lituanie ont prévu que les jeunes adultes de moins de 21 ans puissent faire l’objet du même type de sanctions que les mineurs compte tenu de leur développement moral et mental, suivant en cela l’article 11 de la Recommandation du Conseil de l’Europe concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs (Rec -2003-20).
Il serait donc souhaitable que, dans le même sens, la France envisage la possibilité d’appliquer aux jeunes majeurs de 21 ans, devant les tribunaux correctionnels les mêmes dispositions que celles applicables aux mineurs si leur développement le justifie.

La pertinence de la double compétence du juge des enfants en matière civile et pénale (14) est reconnue par la commission Varinard.
Elle permet effectivement une connaissance de la complexité des enjeux de l’enfance en difficulté, elle garantit la cohérence des interventions et constitue l’un des piliers du modèle français de justice des mineurs.
Cette approche globale tire son efficacité de l’application de principes de procédure particuliers : la continuité de l’intervention du juge des enfants, le suivi dans la durée de l’exécution des décisions, l’articulation des cadres judiciaire et éducatif.

L’introduction du « mandat de placement » confié au directeur départemental de la PJJ (proposition 64) affaiblirait l’une des spécificités essentielles de la fonction de juge des enfants : la responsabilité du suivi des décisions.
Cette nouvelle disposition trouverait sa raison d’être par un gain d’efficacité escompté pour la recherche d’un lieu de placement. Pourtant la force exécutoire du « mandat » équivaut à celle d’une ordonnance de placement.
La généralisation des protocoles départementaux d’accueil d’urgence, l’adéquation des moyens quantitatifs et qualitatifs aux besoins réels constituent des solutions qui permettraient aux éducateurs de mener à bien une mission qui relève de leur métier, et non de celui de leur directeur : proposer une solution éducative.

Enfin, le principe de la double compétence se réduit de fait comme une peau de chagrin par la mise en œuvre du plan stratégique 2007-2011 de la PJJ qui prive les structures éducatives du service public de toute possibilité d’intervention en assistance éducative, même à la marge quand la raison et l’intérêt de l’enfant l’exigerait.

C’est pourquoi, pour préserver l’intérêt du maintien de la double compétence du juge des enfants et surtout garantir la continuité et la cohérence du parcours d’un adolescent, qui peut relever successivement du droit pénal et de la protection judiciaire de l’enfance, les services de la PJJ devront conserver la possibilité d’exercer des mesures civiles.

#2#II/ La primauté de l’éducatif effacée par la négation de la démarche éducative.

La commission Varinard entend assigner une finalité éducative à toute réponse pénale à l’égard d’un mineur.
Pourtant elle prône une procédure et un ensemble de dispositions à contre-courant de l’existence même d’une démarche d’éducation.

En effet, un travail éducatif peut s’engager avec un enfant et sa famille à partir d’une décision de justice qui en fixe le cadre et les limites mais qui ouvre également un espace pour une approche professionnelle différente et autonome.
Le choix éducatif suppose de s’intéresser à l’individu plus qu’à l’acte qu’il a commis, d’accepter de quitter la logique de la sanction pour, à travers un accompagnement individualisé, traiter les questions de la prise de conscience et de la reconnaissance de l’autre.
Il suppose aussi d’accepter le risque de l’échec qui conduira au choix d’une réponse judiciaire différente dans le cas d’une éventuelle réitération. La primauté éducative repose sur l’acceptation du fait qu’un enfant est un individu en devenir, dont l’évolution n’est pas linéaire et qui requiert des solutions souples et adaptables.
L’éducation se construit dans le temps.
Elle ne s’accorde ni avec l’automaticité, ni avec la logique du donnant-donnant qui peut induire une escalade négative.

Le rapport Varinard semble au fil de ses propositions faire le choix de l’éducatif à regret, faute d’autre possibilité, contraint par les principes reconnus par le Conseil Constitutionnel et par nos engagements internationaux et européens.
Il en développe une conception restrictive et sous contrôle.

La possibilité de cumuler en toutes hypothèses les peines et les sanctions (34) symbolise ce refus de reconnaître la nature différente de la peine et de l’éducation.
La limitation de la durée des sanctions éducatives à 1 an (37) assimile donc les deux démarches et empêche qu’une orientation positive pour le développement de l’individu puisse perdurer en se détachant de l’acte commis.
Dans ce contexte, la présence obligatoire de l’éducateur aux audiences pourrait être comprise comme une subordination de l’éducatif au judiciaire, alors qu’il s’agit d’une pratique habituelle qui se met en place naturellement grâce à un partenariat intelligent.

La fixation d’un âge minimum de responsabilité pénale (8) renforce le respect des droits de l’enfant en interdisant des poursuites à l’encontre des très jeunes mineurs.
De même la présomption de discernement pouvant être écartée au-delà de 12 ans, il est permis de tenir compte de la diversité des situations (9)
Dans le même sens, la primauté de l’intérêt de l’enfant quand subsiste un doute sur l’âge réel du mineur (10) permettrait de mettre un terme à des pratiques discriminatoires à l’encontre des mineurs isolés sur notre territoire.

Une fois ces avancées admises le rapport s’empresse, comme pour s’amender, de renforcer l’arsenal sécuritaire par un affichage répressif, sans se soucier de la réalité des besoins.
C’est ainsi que la commission préconise des placements spécifiques « contenant » pour les mineurs de moins de 12 ans (11) et autorise l’incarcération en matière criminelles dés l’âge de 12 ans ! (12)
Ces dispositions sont gravement régressives et entacheraient notre droit pénal des mineurs alors qu’elles auraient à s’appliquer à des situations exceptionnelles.
Au préalable, il conviendrait de réaliser une étude sérieuse et précise sur le nombre d’enfants concernés et sur la nature des passages à l’acte violents constatés.
L’expérience des juges des enfants permet de penser qu’il s’agit de situations rares mais particulièrement complexes, relevant de la protection judiciaire de l’enfance en danger.
Le savoir-faire spécifique de la PJJ devrait pouvoir être requis pour mettre en place un accompagnement structurant et protecteur.
Il est nécessaire de développer des mesures souples complémentaires et diversifiées : suivi en milieu ouvert renforcé, accueils de jours, placements séquentiels, accompagnement thérapeutique, conventions ase-pjj-soins… ;
L’augmentation des moyens en pédo-psychiatrie constitue aussi une proposition utile.
La création de centres éducatifs fermés pour les enfants de 12 à 14 ans (13) et d’une sanction de « placement séquentiel » (39) illustrent le refus d’imaginer le placement éducatif comme un projet individuel positif destiné à se dégager de la condamnation pénale.

Cette défiance à l’égard du choix de l’éducation s’exprime avec une acuité particulière par la création d’une nouvelle infraction : la récidive de non respect d’une sanction éducative (50)
Le choix éducatif ne peut pas être assumé, la réponse judiciaire ne s’autorise pas à se dégager de la pénalisation de l’acte, jusqu’à une confusion dans le vocabulaire en accolant le terme de « récidive » à celui de « sanction éducative »

La subsidiarité de la peine ainsi que le caractère exceptionnel des peines privatives de liberté compterait parmi les principes directeurs de la justice pénale des mineurs.

Pourtant la réponse éducative n’est tolérée que sous la menace de la sanction et de l’incarcération. Ainsi, la non exécution d’une sanction éducative peut donner lieu à une incarcération.
Une peine d’emprisonnement peut être décidée plus facilement, avec des garanties amoindries, par l’institution d’un tribunal des mineurs siégeant à juge unique (32)
La possibilité donnée au parquet de faire appel d’une ordonnance de renvoi en chambre du conseil n’a t’elle pas pour but de limiter la primauté de la réponse éducative ?
Ce procès d’intention n’aurait pas lieu d’être s’il était proposé une présence accrue du ministère public à chaque stade de la procédure.
La détention les fins de semaines ouvre la porte à une banalisation de l’incarcération considérée alors sans conséquence sur l’insertion sociale du mineur.
L’accent est porté sur l’aménagement des peines, avec des garanties pourtant moins ambitieuses que celles envisagées à l’égard des majeurs (systématisation pour les peines inférieures à 1 an au lieu de 2 ans dans le projet de loi pénitentiaire)
En soit cette proposition pourrait être jugée positive comme moyen d’éviter les effets nocifs de l’incarcération. Mais elle peut, dans l’esprit général du rapport, correspondre aussi à une inversion du rythme et de l’équilibre de la procédure pénale applicable aux mineurs.
En effet, la systématisation des procédures de jugement rapide (encouragées par les nouvelles prérogatives du parquet et la généralisation du dossier de personnalité) tendrait à banaliser le recours à l’emprisonnement ferme et donc à développer les aménagements de peines.
Or, si aujourd’hui les aménagements de peine restent marginaux, c’est en partie du fait que l’approche de la justice des mineurs est orientée vers un travail en amont du jugement, pour juger un parcours plus qu’un acte.

Les propositions de la commission Varinard relèvent du double discours et prônent une justice des mineurs à 2 vitesses : une limitation de l’incarcération pour adolescents de moins de 14 ans en matière délictuelle mais un régime où son prononcé est facilité au-delà de cet âge et particulièrement à 16 ans.
Pourtant l’effet criminogène de la détention n’est pas amoindri à l’approche de la majorité !

Le retrait de l’éducatif se traduit aussi par la proposition de modification terminologique :
Ainsi les « enfants » deviennent des « mineurs ».
Cette « modernisation » du vocabulaire traduit une réserve face aux enjeux d’une juridiction spécialisée pour l’enfance.
Elle suggère aussi l’abandon de la reconnaissance d’un état lié à l’enfance qui par lui-même justifie un statut particulier et induit une relation singulière à l’adulte. Cette dernière est constituée du devoir de transmission, d’éducation et de protection de l’adulte à l’égard de l’enfant.
Le choix du terme de « mineur » induit un simple seuil d’âge, bornage réglementaire sans contenu.

#3#III/ Automaticité et progressivité : la prise en compte de l’acte délinquant supplante celle de la personne du mineur

L’expression d’une défiance à l’encontre de l’enfance.
Selon le rapport de la commission Varinard la cohérence de la réponse pénale suppose une réponse systématique à toute infraction pénale commise par un mineur de 12 ans.
La tolérance zéro, orientation de politique pénale jusqu’à présent, est promue en principe directeur de la justice des mineurs, laquelle assumerait donc une exigence plus forte vis-à-vis des mineurs que des majeurs.

Cette discrimination négative est confirmée par la réforme du casier judiciaire qui recule l’effacement des sanctions au casier judiciaire à l’âge de 21 ans (70)

Une conception de la cohérence qui conduit à confondre la progressivité des passages à l’acte avec la progression d’une évolution personnelle.
Ainsi, la commission prévoit une succession de paliers (déjudiciarisation du 1er acte, avertissement final par le parquet, chambre du conseil, tribunal à juge unique, tribunal pour enfants, tribunal correctionnel) franchis au fur et à mesure des passages à l’acte, sans tenir compte de l’évolution de la situation personnelle et sans possibilité de retour en arrière.
Dans le même sens, les décisions pouvant être prises par le juge des enfants en chambre du conseil sont limitées (interdiction de prononcer un avertissement judiciaire pour un mineur déjà condamné)
Une telle organisation procédurale s’écarte de la souplesse indispensable à l’individualisation du jugement, essentielle quand il s’agit d’un mineur dont l’évolution n’est jamais linéaire, particulièrement quand il est confronté à un environnement social ou familial difficile.
Elle supposerait un déroulement « idéal » où la réalité ne pourrait que correspondre  ce que le législateur imagine !

Lors de son audition par la commission Varinard, l’AFMJF avait proposé de généraliser la pratique de la césure du procès pénal pour concilier la rapidité de intervention judiciaire à l’égard du mineur et de la victime, tout en ménageant du temps pour connaître un individu et favoriser sa progression avant le prononcé de la mesure ou de la peine.
L’ouverture d’un dossier personnalité, associée à la pratique du co-audiencement parquet, siège, permettait de tenir une audience sanctionnant un parcours sur une période donnée en écartant le risque de juger une succession d’actes isolés, commis par certains adolescents en période de crise.

Le rapport Varinard retient le principe de la césure de la procédure (57) et la constitution d’un dossier de personnalité (53) en les détournant leur finalité.
En effet, le dossier de personnalité est proposé dans le rapport comme un moyen d’étendre le recours à des procédures de jugement rapide à l’initiative du parquet, lequel décidera de l’orientation et de la temporalité.
Au lieu de favoriser la construction intelligible d’une réponse judiciaire adaptée à une évolution individuelle et inscrite dans un projet, on favorise une approche comportementaliste privilégiant l’ordre public.
Le raccourcissement des délais renforce l’appauvrissement de l’investigation sur la personnalité.
De même, les services de police et de gendarmerie pourraient être requis pour réaliser une enquête de personnalité.
Aujourd’hui, l’enquêteur, policier ou gendarme, qui interroge un mineur lui fait préciser sa situation familiale et scolaire. Aller au-delà de ce recueil de renseignements ne relèverait plus de la fonction policière mais de celle d’un assistant social ou d’un éducateur.

La limitation de la durée des « sanctions éducatives » à une année témoigne également du fait que la réponse judiciaire ne peut pas être détachée de la réponse à l’acte répréhensible.
Ainsi, une prise en charge éducative positive ne peut pas se poursuivre au-delà de ce délai quels que soient les besoins du mineur.
Après 19 ans l’accompagnement éducatif est interrompu.
La mise sous protection judiciaire comme la protection des jeunes majeurs sont abandonnées.
La justice des mineurs n’a donc plus pour fonction d’accompagner un individu en construction dans son évolution et son insertion.
Encadrer les délais de la procédure devrait permettre d’améliorer la réactivité de la réponse judiciaire sans limiter l’individualisation. Pour ce faire la justice des mineurs doit afficher un choix de politique pénale et des moyens à la hauteur de cette ambition.

#4#IV/ L’implication de la société civile (17) contredite par la mise à l’écart des assesseurs.

Jamais l’intérêt de l’échevinage particulier du tribunal pour enfants n’avait jusqu’alors été remis en cause.
Il permet effectivement une implication dans la durée de non professionnels intéressés par les questions de l’enfance.
Il favorise une meilleure connaissance d’une réalité locale et apporte une vision plus ouverte des enjeux en cause.
Le développement de formations à destination des assesseurs enrichit ce fonctionnement.

Pourtant, le rapport Varinard entend réduire le rôle des assesseurs non professionnels à la portion congrue, en les fragilisant par la création du tribunal correctionnel spécial dont ils sont exclus et en créant un tribunal pour enfants à juge unique, compétent en fonction du quantum de la peine encourue.
Ici encore il y a confusion entre une mécanique arithmétique et une connaissance de la réalité de la délinquance des mineurs : la difficulté du traitement d’une situation n’est pas forcément liée à la qualification de l’infraction !

Pour impliquer la société civile la commission propose de confier le traitement de la 1ère infraction à une instance non judiciaire.
Cette « déjudiciarisation » se réalise en trompe-l’œil puisqu’elle suppose un rapport au Parquet et donc s’apparente à un classement sous condition.
Il est inquiétant qu’elle soit confiée à une structure émanant du conseil local de sécurité et non pas à une instance éducative indépendante.
Les autres dispositions visant à renforcer la responsabilisation de la société civile (recherche de postes pour les TIG et les mesures de réparation) se contentent de reprendre l’existant.
La finalité restauratrice de la justice des mineurs est évoquée sans approfondir la réflexion autour d’une piste pourtant fondamentale.

#5#Conclusion

Les propositions de la commission Varinard aboutissent à une dénaturation de la finalité de la justice des mineurs conçue principalement comme un mécanisme quasi automatique et à une complexification de la procédure construite sur une conception de l’enfance en difficulté déconnectée de la réalité.

Lors de l’installation de la commission l’afmjf avait dénoncé la mise à l’écart des associations et des syndicats représentatifs des professionnels et garants d’une réflexion collective structurée.
Elle constate que ses inquiétudes se sont concrétisées.