La justice des mineurs en Suisse

Quelques généralités

En Suisse, la Confédération et les cantons, qui ont gardé leur statut d’Etats
souverains, ont des compétences propres et partagées et appliquent un
fédéralisme coopératif qui est davantage un processus qu’une structure.
Ainsi, si en Suisse, le droit pénal matériel est unifié depuis longtemps, son
application, la procédure et l’organisation judiciaire sont aujourd’hui encore
caractérisées par la coexistence de 29 textes législatifs, soit 26 codes cantonaux
et 3 lois fédérales.

Depuis, l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution fédérale du 18 avril 1999,
soit le 1.1.2000, la Confédération a la compétence générale de légiférer en
matière de procédure pénale et le législateur étudie actuellement la possibilité
d’établir un seul code de procédure pour toute la Suisse.
Le droit pénal des mineurs en Suisse date de 1937 et est entré en vigueur en
1942. Il a subi un « lifting » en 1971, mais devait être adapté à la nouvelle
évolution de la délinquance juvénile. Aussi, le 20 juin 2003, les Chambres
fédérales ont-elles accepté le nouveau droit pénal des mineurs (DPMin), qui
entrera en vigueur le 1.1.2007.

Une autre spécificité du droit suisse est celle de n’avoir des tribunaux pour
mineurs spécialisés qui ne s’occupent que des affaires pénales (le juge des
mineurs ne peut intervenir que si le/la mineur/e a commis une infraction à une
loi pénale). Ce Juge ne peut donc pas intervenir pour un jeune en détresse ou
abandonné ! Dans ce cas, l’autorité tutélaire (civile) interviendra.
Les premiers tribunaux pour mineurs ont vu le jour au début du 20ème siècle.
Fribourg a institué un tribunal pour mineurs en 1950. Depuis les années 70, tous
les cantons suisses disposent d’un tribunal spécialisé.

Le Juge des mineurs est un professionnel et traite toutes les infractions
commises par un mineur âgé de 7 à 18 ans révolus. Il porte trois casquettes :
celle de juge d’instruction, celle de juge de répression et celle d’autorité
d’exécution. Pour les affaires très graves, le Juge des mineurs préside le Tribunal
composé de trois membres, soit lui-même et deux assesseurs (des enseignants,
des psychologues, des médecins, mères de famille, etc…).

Ces assesseurs
n’interviennent que rarement et exercent donc une autre activité.
Interventions en matière civile
En Suisse, en matière civile, comme en matière pénale, la Confédération édicte
les règles générales, mais la procédure reste du domaine cantonal (donc aussi 26
codes de procédure civile !).

Les services sociaux, comme par exemple le Service de Protection de la
Jeunesse (SPJ), sont des services administratifs agissant au niveau cantonal,
dépendant du Ministère des Affaires sociales et recevant des mandats des
autorités civiles cantonales (autorités tutélaires et Justice de Paix) pour conduire
des enquêtes sociales (par exemple, lors de divorces) et pour exécuter des actes
pour lesquels ils ont été choisis.

Ces mêmes services reçoivent également des mandats du Juge pénal. Ainsi, ils
sont à disposition du Juge pénal des mineurs pour l’exécution des mesures et des
peines.
Enfin, ces services interviennent aussi sans mandat officiel. Il s’agit d’affaires où
les parents veulent résoudre leur problème sans l’intervention de l’Etat, surtout
pour sauvegarder l’intérêt de l’enfant. Dans ces cas, il n’y a pas de contrôle
étatique et la limite d’intervention est fixée par la collaboration des parents euxmêmes.

En effet, dès qu’il y a conflit entre un père et une mère, l’assistant social
saisit l’autorité compétente.
Les relations entre les services sociaux et les Tribunaux civils sont dans
l’ensemble bonnes et cordiales. Deux raisons à ce succès : le travail en réseaux
permet une bonne collaboration et le découpage de la Suisse en 26 entités
relativement petites facilite les contacts entre les différents acteurs qui se
connaissent très bien.

Statistiques pour le canton de Fribourg (250.000 habitants) en 2003 :

2581 enfants ont été traités par le SEJ

1796 familles étaient concernées par les interventions du SEJ

Interventions par secteurs : CPM : 84 cas (4%)

Tribunal civil 78 cas (3%)

Justices de paix 1.371 cas (61%)

Situation sans mandat officiel 662 cas (30%)

Autres 47 cas (2%)

Interventions en matière d’adoption

La procédure d’adoption ne concerne pas l’autorité judiciaire des mineurs.
Le code civil suisse (CCS) et d’autres règles définies par les conventions
internationales sur l’adoption, en particulier la Convention internationale de La
Haye de 1993 (entrée en vigueur en Suisse le 1.1.2003, fixent les conditions
d’adoption. Mais, comme déjà dit, c’est les cantons qui sont chargés de mettre en
place les procédures en matière d’adoption. A cet effet, le autorités tutélaires et
les justices de paix disposent des services sociaux, tels que le SEJ.

La Confédération a installé à Berne un service spécialisé au niveau fédéral pour
surveiller l’application des règles internationales et nationales. Elle dispose
également d’organismes accrédités qui fonctionnent comme intermédiaires entre
parents adoptants et enfants adoptés. Ces organismes se chargent notamment des
aspects pratiques et juridiques.

Statistiques suisses 2004

854 enfants adoptés

Nationalité avant l’adoption :

 Suisse 196 enfants (23%)

 Etranger 658 enfants (77%)

Nationalité après l’adoption :

 Suisse 797 enfants (93%)

 Etranger 57 enfants (7%)

59 enfants adoptés dans le canton de Fribourg :

avant : 8 Suisses et 51 Etrangers

après : 53 Suisses et 6 Etrangers

Interventions en matière pénale

Evolution de la délinquance en suisse

1. Evolution des jugements depuis 1999 à 2005

 la part des mineurs de sexe féminin est passée de 17 à 21 %

 la part des mineurs suisses de 58 à 63 %

 la part des enfants (7 à 15 ans) de 30 à 29 %

 la part des jugements pour consommation de drogue de 35 à 28 %

 la part des jugements pour vol de 33 à 25 %

2. Evolution de la violence (envers une personne ou menace d’un dommage
sérieux) des mineurs

De 1999 à 2005, le nombre de jugements est passé de 1.200 à 2.300
Les infractions en augmentation sont : l’émeute, l’agression, la violence
contre les autorités et les fonctionnaires, les lésions corporelles simples, les
menaces et les actes d’ordre sexuel

3. Jugements pénaux des mineurs en 2005

943.713 mineurs âgés de 7 à 18 ans étaient domiciliés en Suisse, dont
744.981 étaient suisses et 198.732 étrangers.

14.106 jugements ont été prononcés

79 % des jugements concernaient des garçons

78 % des mineurs de 15 ans révolus

63 % des mineurs de nationalité suisse.

4. Les mesures

232 placements en maison d’éducation (39%)

367 assistance éducative (61%)

5. Les peines

Réprimande 3.461 cas (28%)

Astreinte à un travail 4.874 cas (39%)

Amende avec sursis 638 cas (5%)

Amende sans sursis 2.328 cas (19%)

Détention avec sursis 775 cas (6%)

Détention sans sursis 244 cas (2%)

Ajournement des sanctions 143 cas (1%)

Renonciation à toute sanction 1.129 cas

Présentation de la nouvelle loi

1. Une loi détachée du Code pénal suisse

Actuellement, il n’existe pas en Suisse de loi particulière relative aux
mineurs délinquants ; les dispositions qui sont applicables aux jeunes qui
commettent des infractions sont partie intégrante du Code pénal suisse, le
même que celui appliqué aux adultes. Par contre, la nouvelle loi fédérale
régissant la condition pénale des mineurs (DPMin) est une loi distincte
réservée exclusivement aux jeunes délinquants.

C’est une entreprise avant tout symbolique que de donner aux jeunes qui
violent la loi pénale une loi propre, marquant ainsi la différence très nette à
opérer entre le traitement des infracteurs adultes et des infracteurs mineurs.

2. Une loi résolument éducative

A choisir entre le modèle dit « welfare », soit un mode d’intervention à
visées éducative et curative et le modèle dit « justice model », système plus
procédural et plus punitif, le législateur suisse n’a pas cédé, suite à
l’augmentation de la délinquance juvénile, au réflexe sécuritaire et a préféré
faire confiance aux objectifs posés par le Code pénal actuel. Il a donc fait
confiance à un modèle de protection basé sur des mesures éducatives et sur
un éventail de peines, dont l’exécution, lorsqu’elle est ordonnée, doit aussi
concourir à la prise de conscience du mineur, au traitement des causes à
l’origine du comportement délictueux et à la formation et l’intégration de
l’enfant ou de l’adolescent.

Ainsi :

 la protection et l’éducation du mineur sont déterminantes (art. 2 al. 1
DPMin) ;

 l’enquête sur la situation personnelle, familiale, éducative, scolaire et
professionnelle du mineur doit être diligentée s’il y a lieu de prendre une
mesure en sa faveur (art. 9 al. 1 DPMin) ;

 mesures de protection obligatoires si l’état du mineur l’exige, même si
l’enfant n’est pas coupable (art. 10 al. 1 DPMin) ;

 renonciation à toute peine si celle-ci compromet une mesure de
protection ordonnée ou prévue (art. 21 al. 1 litt. a DPMin) ;

 en cas de concours, la mesure de placement prime la privation de liberté
(art. 32 al. 1 DPMin).

3. Une loi avec des éléments de justice réparatrice

Dans l’évolution des systèmes de prise en charge des mineurs délinquants,
l’on note une tendance à affirmer un troisième modèle, celui de la
« restorative justice », c’est-à-dire de la justice réparatrice qui réintroduit la
victime dans le procès. La justice réparatrice cherche à intégrer les trois
pointes du triangle : auteur - victime - société ; la justice des mineurs
n’échappe pas à cette pensée.

Ainsi, avec cette nouvelle approche, on veut donner une place à la victime
trop souvent oubliée par le passé et ainsi orienter toute l’intervention vers
une prise de conscience par le mineur du tort que son acte a provoqué, de la
nécessité de réparer le dommage et de l’impérative obligation de se situer
clairement par rapport aux valeurs que la communauté entend faire
respecter.

Le législateur suisse a repris cette idée de réparation et de confrontation
avec la victime avec l’introduction de la médiation (art. 8 et 21, al. 3
DPMin). La médiation fonctionne à Fribourg depuis plus de deux ans. Il
s’agit d’un projet-pilote que j’ai mis en place. J’ai apporté l’ordonnance qui
consacre ce principe, ainsi que les commentaires, au cas où quelqu’un serait
intéressé par notre système.

On peut également accorder valeur d’élément de justice réparatrice à la
prestation personnelle de l’art. 23 DPMin, dont le but est de trouver une
forme de sanction qui réponde à la foi à l’idée éducative (participation
active à des cours) ou de réintégration dans la société dont la loi a été
enfreinte par une prestation symbolique (travail d’intérêt général).

4. Une loi avec des éléments punitifs

Si la nouvelle loi reste d’inspiration protectionnelle, il est indéniable que le
nouveau DPMin a durci le ton et a jugé nécessaire de prévoir deux formes
de privation de liberté nettement plus sévères que le droit actuel :

 la privation de liberté qualifiée jusqu’à 4 ans pour les mineurs de plus de
16 ans qui commettent des actes d’une gravité certaine et qui mettent en
danger la société (art. 25 al. 2 DPMin) ;

 le placement en établissement fermé soit pour les mineurs qui se
mettent en danger (art. 15 al. 2 litt. a DPMin), soit pour les mineurs qui
mettent en danger l’ordre public (art. 15 al. 2 litt. b DPMin).

Cette affirmation de sévérité doit toutefois être nuancée par les conditions
d’exécution de ces réponses, conditions qui devraient s’apparenter plus à
l’exécution de mesures protectrices qu’à celle de privations de liberté au
sens classique du terme. S’agissant des conditions de placement d’un
mineur dans un établissement fermé, elles doivent aussi s’inscrire dans le
contexte de critères objectifs et sont soumises au préalable obligatoire
d’une expertise médicale ou psychologique.

5. Les âges d’intervention

Le nouveau droit des mineurs va intervenir à partir de 10 ans seulement,
relevant ainsi le seuil d’intervention inférieure de 7 à 10 ans (art. 3 DPMin).

La limite supérieure de l’intervention spécifique reste fixée à 18 ans.
La distinction relativement artificielle enfants/adolescents tombe.

Demeurent des limites d’âge pour protéger les plus jeunes justiciables :

15 ans de la prestation personnelle qualifiée (23 al. 3 DPMin)
de l’amende (art. 24 DPMin)
de la privation de liberté « normale » (art. 25 al. 1 DPMin).

16 ans de la privation de liberté qualifiée (art. 25 al. 2 DPMin).

6. Conclusion

Le nouveau droit pour les mineurs délinquants a mis du temps à voir le
jour, mais il paraît particulièrement bien adapté aux nouvelles
manifestations de la délinquance en Suisse.

C’est un droit qui s’est aligné sur les standards internationaux et qui est
donc respectueux des droits de l’enfant qu’il ne considère pas d’une
manière paternaliste, mais d’une manière objectivement bienveillante, avec
le souci de traiter les causes plutôt que de punir les symptômes
La grande question reste celle de son application concrète et celle de la
mise à disposition des équipements en personnel et en infrastructures
nécessaires.

XXV Congrès de l’AIMMF, Tarento, 27.10.06
Michel LACHAT

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