Observations de l’AFMJF à l’attention de la mission d’inspection - suite de l’affaire d’Outreau - Mai 2006

Les commentaires et les réflexions suscités par l’affaire d’Outreau ont cruellement mis en évidence les excès d’une tendance forte depuis une quinzaine d’année : La pénalisation des réponses judiciaires aux situations de maltraitance.

Cette évolution a souvent placé la procédure d’assistance éducative à la remorque de la procédure pénale, au risque de confondre enfant victime d’une infraction et enfant en danger et de réduire la mission de la justice à la recherche de la preuve pénale et à la tenue d’un procès.

Or, ces procédures se développent selon des logiques autonomes (recherche de la vérité des faits/protection de l’enfant)

Elles traduisent toutes deux des exigences d’ordre public qui co-existent sans se confondre.

En 1998, le législateur s’était soucié d’élaborer un statut particulier pour l’enfant victime dans le procès pénal. A l’épreuve de la réalité il apparaît que ces dispositions sont mises en application dans de mauvaises conditions et sont insuffisantes.

L’AFMJF formule des propositions dans trois directions :

  • Favoriser la cohérence de la réponse judiciaire par une amélioration des articulations de la procédure d’assistance éducative et de la procédure pénale.
  • Assumer une prise en compte globale des besoins de l’enfant victime en tenant compte de la spécificité des enjeux de la maltraitance intrafamiliale.
  • Améliorer la spécialisation et la formation

1 -Une meilleure articulation des procédures pénales et civiles :

 rappeler l’application de l’article 706-49 du CPP : le procureur de la république ou le juge d’instruction informe sans délai le juge des enfants de l’existence d’une procédure concernant un enfant victime d’une infraction de nature sexuelle et lui en communique toutes pièces utiles dès lors qu’une procédure d’assistance éducative a été ouverte.
Dans la réalité cette disposition est peu appliquée. Il n’est pas rare que ce soit la famille ou le service éducatif qui informent le juge des enfants d’un élément important de la procédure (sortie de détention provisoire, confrontation)

 Introduire dans la procédure une concertation régulière entre le juge des enfants et le juge d’instruction : Consultation obligatoire du juge des enfants sur les mesures pouvant affecter la relation parent/enfants ; consultation du dossier d’assistance éducative ou demande de note de synthèse au juge des enfants à l’occasion de l’audience semestrielle de la chambre d’instruction sur l’état et la poursuite de l’instruction ; information systématique du juge des enfants saisi des suites données aux investigations (classement sans suite, ordonnance de renvoi, jugements) ; création de "conférences de procédures" entre juge des enfants et juge d’instruction.

Ces préconisations ne visent pas à une "co-décision " au risque d’une confusion des interventions, mais au contraire à éviter les effets pervers d’un manque de cohérence.

Ainsi est-il nécessaire de s’interroger sur l’opportunité de maintenir une mesure de contrôle judiciaire portant interdiction de tout contact entre l’enfant et ses parents alors qu’une investigation éducative conclue à la nécessité de travailler le lien parents-enfants dans un cadre protecteur.

De même une information est nécessaire pour concilier le retour au domicile du parent poursuivi et la protection d’un enfant.

La clôture d’une procédure pénale par un non lieu ou une relaxe ne correspond pas à une absence de danger pour l’enfant.

2 - Prendre en compte globalement les besoins de l’enfant dans le contexte spécifique lié à une maltraitance intrafamiliale.

 saisine systématique des juges des enfants en assistance éducative dans le cas d’enfant victime de violences sexuelles ou non dès lors que celles-ci sont d’origine intrafamiliales.

Dans ces Hypothèses il est au minimum nécessaire d’évaluer plus largement les conditions d’éducation de l’enfant et l’impact des faits incriminés sur les relations familiales et la prise en compte de ses besoins. La double fonction de la loi, sanction/protection. La protection de l’enfant pourra s’exercer au delà de la clôture du procès.

 Adapter les expertises aux spécificités de ce contentieux : favoriser les expertises qui permettent d’éclairer le fonctionnement familial ; expertises de "crédibilité" à revoir.

Pour comprendre la situation d’un enfant et analyser son discours il est indispensable d’intégrer des informations relatives à son histoire personnelle et familiale, à ses conditions de vie et d’éducation. A la lumière des outils dont disposent les juges des enfants (mesures qui s’exercent dans la durée avec une dynamique éducative) les expertises conduites à partir d’une unique rencontre sont peu fiables.

 Mieux préciser la mission et la formation des administrateurs ad hoc dans l’articulation des saisines et décisions des juges d’instruction et des juges des enfants.

On constate une hétérogénéité dans le choix de l’administrateur ad hoc selon les tribunaux comme dans la compréhension de sa mission (attachée à la seule représentation juridique ou intégrant un rôle éducatif) Le fait de désigner le service gardien peut provoquer une confusion.

 Développer les services d’accueil des mineurs victimes en lien police-justice-hôpital.

 Redéfinir la mission du tiers accompagnant l’enfant dans la procédure, comme une mesure de soutien à l’enfant et non pas d’auxiliaire d’enquête.

3 - Améliorer la formation et la spécialisation.

 Introduire une formation plus longue des services enquêteurs spécialisés et introduire l’idée de supervision.

 Renforcer le programme de formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature

  • Sessions de formation pluridisciplinaires regroupant magistrats, éducateurs, psychologues et psychiatres avec études de dossiers pour faire émerger de bonnes pratiques
  • Module de formation continue pour juges d’instruction et juges des enfants sur l’articulation des procédures
  • Multiplier les formations amenant à une réflexion sur les implications personnelles des juges.

 Renforcer la spécialisation de la justice des mineurs

  • Celle des juges d’instruction mineurs victimes et mineurs délinquants, en développant une culture professionnelle commune qui intègre une connaissance de la démarche éducative mise en place par les service de protection de l’enfance.
  • Favoriser une véritable spécialisation de la justice des mineurs : favoriser la stabilité des juges des enfants, mieux définir le rôle d’animation du président de TE (postes à profil)
  • Transparence de l’activité en cabinet : créer une culture de contrôle non pas comptable mais qualitative par une instance indépendante de la juridiction avec une approche pluridisciplinaire et pas exclusivement judiciaire.