Quelles réponses apporter aux jeunes les plus difficiles entre soin, éducation et répression ?

Intervention de Marie-Pierre HOURCADE devant les CEMEA le 5 mars 2013

Les juges des enfants sont confrontés trop souvent comme les autres professionnels à des jeunes qui se mettent en danger et mettent en difficulté les adultes dont ils rejettent et mettent en échec toutes les propositions : propositions d’éducation, de soins, et d’insertion.

INTRODUCTION

Le juge des enfants est saisi de situations concernant des mineurs en danger et des mineurs délinquants. Quelque soit son domaine d’intervention, il a pour mission d’assurer leur protection. Cette protection se décline de façon différente selon que le juge intervient dans le cadre de l’assistance éducative ou dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 19945, mais l’orientation de son intervention se centrera sur l’évaluation des capacités d’évolution de l’enfant et de ses parents et l’aide qui peut leur être apportée pour contribuer à cette évolution.

Le juge est saisi par le Parquet qui reçoit les signalements des services du Conseil général ainsi que les procédures pénales que lui adressent les services de police et de gendarmerie.

Le juge des enfants peut aussi être saisi par les parents et le mineur lui-même.

Il dispose de moyens plus ou moins importants qui déterminent les mesures qu’il est amené à prendre en matière d’investigation, d’action éducative ou de placement. Ces services relèvent de la PJJ qui intervient essentiellement au pénal et du secteur associatif habilité et de l’ASE qui interviennent en assistance éducative.

Les situations sont variables, et chaque histoire est unique. Les juges sont aussi des individualités avec des savoir faire qui donnent à une audience une tonalité différente d’un cabinet à l’autre. Si la loi est la même sur la France entière, et les instruments juridiques identiques, l’action du juge des enfants varie en fonction des moyens mis à sa disposition qui dépendent des territoires plus ou moins riches et des populations accueillies. Il est évident que les moyens sont plus importants en IDF qu’en Auvergne où la population est moins nombreuse mais où les jeunes peuvent être en grande difficulté : quelle réponse en milieu rural pour des enfants qui sont en échec scolaire, relégués au domicile familial sans perspective de formation ni de débouchés professionnels ? La ville la plus proche est déjà trop loin pour ces familles désargentées, isolées, sans réponse et dramatiquement sans espoir. La situation des filles est particulièrement préoccupante à cet égard. Il s’agit là de jeunes dans l’ombre, qui ne font pas parler d’eux et qui à bas bruit sont oubliés, jusqu’à ce que l’on découvre leur mal être au détours d’une TS ou d’un départ pour retrouver d’autres jeunes en errance.

Dans les villes, trop de jeunes sont descolarisés, inactifs, échappant à l’autorité parentale et vite rattrapés par la délinquance et le trafic. Paris, la Seine Saint Denis et certains autres secteurs sont confrontés à l’affluence massive de jeunes d’origine étrangère, souvent sans papier, en forte demande d’intégration et sans référent parental sur le territoire français, des jeunes qui fuient la guerre et la misère. L’enjeu à leur arrivée est de prouver leur état de minorité afin de profiter du dispositif de protection que doit leur assurer l’ASE. Le juge est alors saisi quand il y a un doute sur leur état civil.

D’autres sont victimes de réseaux de criminalité organisée et poursuivis pour des faits de délinquance à répétition. Les ROMS contraints souvent de voler épuisent les intervenants par leur refus de toute intervention éducative. Ce sont des jeunes qui se retrouvent plus vite que les autres en détention.

Parmi les cas compliqués où le mineur ne parait pas entendre le discours de l’adulte et respecter l’autorité des parents, de l’enseignant, du personnel de santé, de l’éducateur et celle du juge, on peut citer le cas de l’enfant violent à l’égard du parent qui en a la garde. Les violences peuvent être exercées par un enfant jeune qui, en grandissant, devient de plus en plus violent voire dangereux. Le parent qui longtemps ne révèle pas ce qui se passe à la maison, dénoncera ce qui est devenu son calvaire et demandera de l’aide, sans aller toujours au bout de sa demande. Il demandera dans un premier temps l’ hospitalisation de son enfant quand ce n’est pas la sienne. Il s’adressera à son médecin, à la police qui tentera d’exercer toute son autorité pour ramener l’enfant à un comportement acceptable mais qui à défaut d’être entendu, orientera l’affaire vers le Parquet pour saisine du juge des enfants. Le parent, souvent la mère isolée, refusera de porter plainte soit parce qu’elle est menacée par son enfant soit par culpabilité ou incapacité, elle-même dépressive, ou prise dans des addictions . Finalement, elle se tournera vers le juge des enfants.

La première démarche du juge sera, après audition si possible des deux parents, de rencontrer le mineur. Il le convoquera, il viendra ou ne viendra pas, il lui enverra un courrier à l’entête du tribunal, il le recevra seul ou avec sa mère ; une lettre très personnifiée a généralement un impact. A défaut, il pourra solliciter le commissariat après avoir convaincu la mère de porter plainte pour coups et blessures volontaires.

Dans les situations les plus lourdes, le juge pensera éloigner le mineur mais c’est alors que les vraies difficultés se présentent. Le mineur se trouve très bien chez lui et ne veut pas en partir, l’ASE n’a pas de structure adaptée pour le prendre en charge, le parent ne veut pas porter plainte, personne ne veut aller le chercher contre son consentement, et comment faire quand le jeune est un grand adolescent costaud et déterminé à ne pas quitter son lit ou sa chambre ?

Autre situation complexe : celle des jeunes descolarisés, enfermés eux aussi chez eux, face à leur ordinateur, complètement « addicts » à internet ou aux jeux vidéo. Les signalements pour absentéisme scolaire ne changent rien et n’apportent pas de réponses pertinentes dans ces cas là ; la police est aussi démunie et les médecins généralistes souvent consultés par les parents, interrogent la psychiatrie aussi peu interventionniste. Chacun a conscience que le jeune est en danger mais se trouve sans solution.

Il est essentiel pour le juge quand il est saisi de réussir à faire venir le jeune. Comme dans le cas précédent, l’enjeu est important et la suite dépend de cette phase judiciaire. Et là se joue la crédibilité du juge. Il est porteur de l’autorité publique et utilise les moyens juridiques à sa disposition pour créer cette relation particulière du juge avec l’enfant ou l’adolescent. C’est à partir du moment où le jeune est présent, dans le cabinet du juge que ce dernier doit créer cette relation qui est le préalable à tout travail éducatif, et à toute exigence sociale.

Dans la situation du mineur dépendant, il parait opportun d’imposer une consultation avec un centre de soins du réseau des CSST, spécialisés sur ces questions d’addiction aux jeux vidéo ou à internet. Leur approche est spécifique et constitue une réponse pertinente pour les parents souvent eux mêmes en difficultés dans leur relation avec leur enfant. Internet est accessible à une grande majorité d’enfants, même chose des jeux vidéo, or il n’y a pas de Centre de soins spécialisés sur ces questions sur l’ensemble du territoire, seuls quelques psychiatres se sont spécialisés, travaillent et échangent sur ces questions…

Dans ces deux exemples, le juge doit exercer son autorité pour ouvrir la voie à l’action éducative ou thérapeutique. Exercer son autorité avec une explication mais une fermeté non négociable quand la mise sous protection s’impose. Le jeune doit comprendre que le juge peut imposer sa décision mais celui-ci doit manier la menace de sanction avec la plus grande prudence car l’objectif n’est pas d’arriver à un bras de fer qui rendra très aléatoire l’intervention ultérieure mais de faire exécuter sa décision. L’adhésion des parents est bien sûr préférable pour mener à bien cette entreprise et tout devient plus compliqué avec des parents ambivalents.

Les préoccupations des juges des enfants sont nombreuses quant à l’avenir des jeunes dont ils sont saisis et il est bien difficile de dresser un inventaire de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre ou qui le refusent. Les cas sont nombreux et interrogent le monde des adultes responsable de leur protection. On a le sentiment que certains jeunes vivent dans un autre monde à côté de celui dont nous sommes chargés de représenter et défendre les valeurs. Et pourtant..

Peut on rester observateur quand on prend connaissance des relations sexuelles pratiquées par de très jeunes enfants dont il est difficile de dire qu’elles sont consenties. Nous ne sommes pas saisis de ces mises en danger à la période où elles ont lieu mais plus tard, à l’occasion d’agressions sexuelles ou de viols dont ils sont victimes. C’est à l’occasion des procédures pénales que l’on découvre la réalité des violences sexuelles pratiquées et subies de façon terriblement précoce. La plupart des enfants que nous connaissons ont eu accès dès l’âge de 8-10 ans à des films ou images pornographiques. Ils ont leurs premières relations sexuelles vers 11 – 12 ans dans un contexte de contrainte dont ils ont à peine idée et les parents encore moins. Ces violences sont banalisées, monnayées contre quelques services ou simplement contre protection du groupe ou par besoin d’appartenance à la bande du quartier..

Quels adultes seront ces enfants, comment pourront ils construire leur vie d’homme et de femme et que transmettront ils eux-mêmes à leur enfant ? Quelle est notre responsabilité collective à laisser faire, à ne pas voir, ne pas prendre soin, ne pas prévenir ? Le juge intervient souvent trop tard.

C’est ainsi que lorsque nous sommes saisis de situations d’enfants qui ont été victimes de violences sexuelles, en milieu familial ou dans le cadre de ces relations précoces décrites ci dessus, le juge des enfants interviendra auprès de l’enfant et de sa famille pour ensuite l’orienter vers un centre de soin le plus adapté à ce type de problématique. Le juge pénal sera saisi parallèlement pour sanctionner les auteurs.

Je pourrai aussi aborder les situations très préoccupantes dont nous ne sommes pas saisis, celles de ces mineurs qui ne trouvent pas de réponse chez leurs parents et auprès des adultes qu’ils ont côtoyés, et qui se réfugient dans la fugue ou le squatt où alcool, drogue et violence sont trop souvent le lien entre tous ces jeunes en errance.. Plus exactement, nous en sommes saisis mais bien tard, à l’occasion de plaintes au pénal.

J’aborderai en dernier lieu la situation des mineurs délinquants. Il m’apparait toujours nécessaire de ne pas dissocier la compétence des juges des enfants en matière civile et pénale. Cette réalité à laquelle nous sommes tous très attachés se justifie pleinement :

  Ce sont souvent les mêmes jeunes qui connaissent des parcours chaotiques émaillés de traumatismes, de ruptures, d’échecs, dont les familles cumulent toutes les difficultés sociales et qui passent à l’acte dans la délinquance jusqu’à la perte de soi. Je ne parle pas d’un passage à l’acte ponctuel qui peut arriver à n’importe quel mineur et toucher n’importe quelle famille. Je parle des multi réitérants, ceux qui recommencent malgré les avertissements, les interventions éducatives, les mesures de réparation, les menaces de prison et dont il semble que toutes les actions sont vouées à l’échec. Et alors la prison est elle la seule et bonne solution ? Tel mineur relève t il de l’enfermement thérapeutique ou pénitentiaire avec une dose éducative pour atténuer la rigueur de la prison ? La mise à l’écart de la société est parfois nécessaire pour mettre un terme à la violence.
La société doit avoir le souci de ces mineurs mais aussi de leurs victimes qui sont le plus souvent des mineurs eux-mêmes et de très jeunes mineurs.

La question du juge est celle de savoir à quel moment il doit recourir à l’enfermement, pas trop tôt mais pas trop tard non plus. On entend parfois les mineurs devenus majeurs dire au président du tribunal correctionnel qui prononce contre eux une peine d’emprisonnement avec révocation des sursis antérieurs qu’il aurait été préférable qu’il aille en prison plus tôt alors qu’il était mineur car l’absence d’emprisonnement l’a entretenu dans un sentiment d’impunité. Mais on sait aussi l’effet destructeur de la prison sans oublier que chaque passage à l’acte quand il s’agit d’actes de violence fait des dégâts auprès de victimes souvent plus jeunes que le ou les auteurs

  Il est important que ce soit les mêmes juges spécialisés qui interviennent au pénal et en matière civile car ils ont reçu une formation spécifique qui les invite à avoir une appréhension globale de la situation de l’enfant dans toute sa complexité. Ils interviennent dans la durée et avec des interlocuteurs avec lesquels ils sont en relation de façon institutionnelle et habituelle.

 Le juge des enfants prend ses décisions après avoir ordonné des mesures d’investigation confiées à des équipes pluri disciplinaires composées de travailleurs sociaux, de psychologues et de psychiatres ; il peut ordonner des enquêtes sociales, des expertises psychiatriques, et c’est au vu de ces informations qu’il décidera du maintien de l’enfant dans son milieu naturel ou d’un éloignement.

 Le juge des enfants est un juge qui doit pouvoir solliciter ses partenaires pour trouver les solutions les plus pertinentes à l’évolution harmonieuse du mineur tenant compte de ses compétences et de ses fragilités. Sa position institutionnelle doit lui permettre de rechercher avec ses interlocuteurs dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’insertion les solutions les plus adaptées et ce, qu’il intervienne auprès d’un mineur délinquant ou en danger.

Le cœur du métier du juge des enfants est de s’interroger sur ce qui modifie le comportement humain, le fonctionnement d’une famille comme le comportement de l’enfant, sachant les interactions entre les membres d’une même famille et sans sous estimer le rôle de l’entourage notamment des copains auprès desquels il ne faut pas perdre la face, ou encore du rôle du trafic qui est un véritable business dans le quartier.

Alors, ces préliminaires étant posés, quelle est l’action du juge et quelle est sa spécificité ?

La spécificité de l’intervention judiciaire
Je dirai que les autres acteurs agissent dans le domaine qui est le leur, les parents comme les premiers éducateurs de leur enfant,- leur place est essentielle dans la restauration de leur enfant, et ce sont des interlocuteurs privilégiés pour le juge comme on le verra,- l’école dans sa mission d’éducation et de transmission de connaissance et comme lieu de socialisation, le médecin et les personnels de santé dans leur mission de soin et de protection, l’éducateur dans l’accompagnement éducatif à la juste distance, la mission locale dans sa mission d’insertion…

Le juge, lui, intervient comme autorité et souvent après l’échec des précédentes interventions. C’est l’option retenue clairement par la loi de 2007 en matière de protection de l’enfance. Les services du conseil général ne saisissent l’autorité judiciaire que lorsque les mesures prises dans le domaine de la prévention et de l’aide aux familles sont insuffisantes ou inopérantes, lorsque la famille refuse l’intervention des services sociaux ou en cas d’impossibilité d’évaluer la situation. Le juge est relativement souvent saisi par les parents eux mêmes qui disent avoir tout essayé avant de venir le voir. En fait, de façon générale, il est saisi pour les situations les plus graves qui exigent l’intervention de l’autorité judiciaire.

Et ce juge a d’incroyables pouvoirs que connaissent les institutions mais aussi les familles et les adolescents : Le pouvoir de demander des comptes, d’entrer dans l’intimité de la vie familiale, d’exiger un placement, en famille ou en institution. En matière pénale, il décide des mesures éducatives ou pénales, peut incarcérer un mineur, saisir le parquet qui décidera de poursuites pénales des parents maltraitants. Il dispose de la force publique pour l’exécution de ses décisions. Ce qui est moins connu c’est qu’il peut aussi imposer une scolarisation dans un établissement d’enseignement général ou spécialisé ; il peut exiger un internat Il peut exiger une admission en établissement spécialisé. Il peut ordonner une hospitalisation de l’enfant y compris en milieu psychiatrique. Il peut ordonner une expertise psychiatrique de l’enfant mais aussi des parents. C’est sûrement le juge le plus puissant dans notre organisation judiciaire.

Mais ces prérogatives sont utilisées avec prudence car l’objectif du juge n’est pas de sanctionner mais de protéger, permettre de restaurer quand c’est possible des relations familiales souvent fragilisées ou rompues, et valoriser les compétences de l’enfant pour qu’il puisse faire confiance en l’adulte et retrouver confiance en lui.

Le rôle et le travail du juge se passe durant le temps de l’audience, dans son cabinet, en présence des parents, des éducateurs et de l’avocat quand il y en a un. En matière pénale, le mineur est toujours défendu par un avocat alors qu’ en assistance éducative, cela reste peu fréquent . On peut le regretter car l’avocat joue et occupe une place spécifique. Il est un interlocuteur supplémentaire que le jeune peut appeler pour faire entendre sa voix, connaître et reconnaître ses droits, faire valoir sa position. Il est un recours supplémentaire en cas de blocage, un interlocuteur de plus pour le jeune qui est enfermé dans son déni des difficultés.

Le juge peut opter pour une audition seul à seul avec le jeune.

Ce temps, on l’a vu, est essentiel surtout quand l’intéressé est venu à reculons, claquemuré dans son silence. Durant une audience qui dure environ une demi heure, il faut trouver le moyen de créer une relation avec le jeune, faire sortir ses parents et trouver l’accroche qui fera basculer les choses, afin que le soliloque du juge devienne un dialogue. Tout à coup, le jeune lève la tête, ça l’intéresse, il vous regarde et intervient pour rectifier ce qui est selon lui inexact. On peut alors naturellement aborder ensemble ce qui ne va pas, ce qui est faux ou injuste, et ce qui pourrait changer les choses. D’expérience, le déclic se produit. Sur 9 années passées au Tribunal pour enfants de Paris, je n’ai connu qu’un jeune qui n’ait pas accroché. Il regardait ostensiblement la fenêtre faisant mine de ne pas m’écouter. Mais avait il besoin finalement d’un juge et d’une intervention extérieure. Les parents étaient très demandeurs, leur fils mettait en échec sa scolarité, refusait toute autorité, il était, selon eux dépressif et fumait du cannabis. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Mais ce qui est certain, c’est qu’il était déterminé et avait un caractère bien trempé.

Après ce premier échange où le jeune a pu se confier, il s’agit de restituer la position de l’enfant aux parents quand cela est nécessaire et possible, après avoir exposé au mineur la façon dont les choses allaient être restituées et les décisions envisageables.

Il faut que l’enfant sente l’intérêt qui lui est porté, sente que sa parole est prise en compte, qu’il a des droits et qu’il a sa place dans cette enceinte judiciaire qui lui est consacrée.

Le juge peut imposer mais il doit avant tout susciter l’adhésion des parents. Il peut bien sûr aussi imposer au jeune mais avoir aussi le souci d’imposer des exigences qui peuvent être tenues, compte tenu de ce qu’est la vie de ce mineur au moment où le juge intervient. C’est ainsi que le juge négociera l’heure de retour de l’enfant au domicile familial le soir, exigera un éloignement de l’enfant si les violences sur la mère continuent, il exigera que cette dernière se soigne et consulte un centre de soins spécialisé en alcoologie. Le RV avec le CSST sera pris éventuellement au cours de l’audience…

Le législateur en prêtant au juge des enfants une telle force de conviction, a touché du doigt la réalité du succès de l’intervention judiciaire. Le juge peut ordonner, et s’il obtient ce qu’il souhaite par la parole, c’est mieux. Le contexte de contrainte pour les parents ou le mineur est réel mais c’est au juge d’expliquer que la décision prise est légitime, pertinente et constitue une aide. Il s’agit de ne pas faire perdre aux parents leur place, de ne pas les discréditer. Dans le procès pénal par exemple, le juge doit s’ingénier à valoriser la place des parents pour que ceux-ci retrouvent leur autorité et que l’enfant sente que ses parents sont respectés, écoutés et que leur parole est prise en compte. A Paris où nous jugeons un nombre significatif de jeunes d’origine africaine, le juge qui reçoit le mineur en présence de ses parents et de l’avocat demande au mineur les raisons pour lesquelles ses parents sont venus en France. La réponse est assez simple mais déjà difficile à formuler. Le juge insiste et aide à dépasser l’émotion. Puis, il explique au mineur que ses parents sont formidables, courageux d’avoir quitté leur pays, leur famille, leurs repères pour venir dans un pays inconnu dont ils ignorent parfois la langue, où ils ont accepté n’importe quel travail pour assurer une vie meilleure à leurs enfants et que j’imagine leur déception à se retrouver au tribunal pour enfants pour répondre des actes de délinquance de leur fils. Je leur dis qu’ils n’ont pas le droit de les décevoir, qu’ils doivent reprendre leur scolarité ou leur formation, que rien n’est impossible et que l’avenir leur appartient. Les parents sont bien sûr d’accord avec le juge qui dès lors leur reconnaît toute leur place de parent. Il est possible alors de réfléchir avec eux sur ce qui va pouvoir être exigé et tenu pour faire évoluer les choses, quelle va être la juste réponse judiciaire et passer la main aux services éducatifs pour le suivi de la situation.

L’ autorité du juge peut aussi servir à faciliter la tache des parents confrontés à des décisions administratives qui font blocage. Le juge prend alors contact avec l’institution concernée pour comprendre la position prise, et lorsqu’elle ne parait pas justifiée, passer outre. Mais là aussi, il s’agit d’éviter les passages en force car le mineur risque de ne pas bénéficier d’un accueil satisfaisant dans la structure demandée. Mieux vaut gérer les choses avec souplesse , là encore pour éviter à notre interlocuteur chef de service, directeur ou autre, de perdre la face , et accepter les procédures proposées si au final, on débloque une situation. Ce qui est important, c’est que notre interlocuteur sache que l’on peut si on le souhaite, imposer ce qui pourrait être refusé. Je pense aux hospitalisations, aux admissions dans un établissement médico social, à la prise en charge d’un enfant autiste…

Ces pouvoirs extra ordinaires sont exercés sous contrôle, contrôle du Parquet, de l’ASE et de l’avocat qui peuvent faire appel des décisions du juge.

Pour mener à bien sa mission, le juge dispose de services spécialisés qui accompagnent le mineur, et ses parents quand une intervention éducative est nécessaire. Il doit pouvoir aussi compter sur ses partenaires, l’ensemble des professionnels compétents dans leur domaine. Le juge est alors le relais vers le droit commun et c’est essentiel. Et c’est ailleurs que le travail de suivi, d’accompagnement va se faire, le juge n’étant là que pour dans le cadre de ses audiences, mettre à plat, dire les choses, dégager des objectifs et charger des services de les mettre en œuvre, puis revoir les situations 6 mois, un an , deux ans après.
L’action dans la durée et la continuité est essentielle car on ne change pas les comportements humains en un jour. Il y a des mises en échec, des réussites, de nouvelles tentatives et toujours la confiance dans la capacité de changement d’un enfant.

Ce tableau peut paraître idyllique, surtout quand on connaît le contexte économique, les difficultés sociales , et les histoires de vie souvent douloureuses de ces enfants pour lesquels nous intervenons. Doivent elles pour autant remettre en cause notre action même si on a conscience que l’insertion pour ces jeunes est souvent plus difficile que pour les autres ?

Il est la traduction de l’enrichissement personnel que ce métier procure et de l’optimisme qui anime beaucoup de juges des enfants qui ont la conviction de l’impact de leur décision et que leur action s’inscrit dans un ensemble d’interventions de professionnels et d’acteurs de la vie quotidienne.


Le 5 mars 2013

Marie-Pierre Hourcade
Présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse