2009 - Parole politique et parole professionnelle, un débat impossible ?

 
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L’assemblée générale s’est tenue au Palais de justice de Paris Salle des Criées les 14 et 15 mars 2009 sur le thème :

"Justice des mineurs : Parole politique et parole professionnelle, un débat impossible ?"

Avec la participation de Pierre Joxe, ancien ministre et membre du Conseil constitutionnel, à la suite de la parution de son ouvrage "Cas de conscience", qui développera ses positions sur l’évolution de la justice des mineurs.

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Argumentaire

Pressions croissantes de l’exécutif sur la justice, mise au pas du Parquet et défiance affichée à l’égard des magistrats du Siège. Dramatisation de la délinquance des mineurs et délaissement des responsabilités de l’Etat en matière de protection de l’enfance. Management des personnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) autour de la seule rééducation des jeunes délinquants considérée comme un contentieux de masse, à traiter au moindre coût.

Telles sont les principales politiques menées cette année dans notre secteur ; elles convergent parfaitement avec les réformes inquiétantes imposées sous prétexte de modernisation au secteur socio éducatif, à la Santé à l’Education et à la Recherche1. Elles confirment la volonté de recentrage exclusif de l’Etat sur son rôle de maintien de l’ordre public prétendument menacé, en ce qui concerne notre champ d’action, par une adolescence, voire une enfance, tenues pour dangereuses.

S’appuyant en toutes circonstances sur les positions de campagne du Président élu, elles ont pour caractéristique de n’avoir jamais été véritablement débattues, alors même qu’elles contredisent frontalement les opinions et analyses venues du terrain.

Elles portent dès lors en germe une disqualification de la parole des professionnels, soupçonnés d’immobilisme et de 1 Voir à cet égard sur www.sauvonslarecherche.fr la pétition :"Pourquoi nous ne voulons pas de la "nouvelle criminologie" et des projets de contrôle de la recherche sur la "sécurité intérieure" dans lesquels elle s’inscrit.

Corporatisme, tandis que l’empilement de réformes sans questionnement préalable sur leurs éventuels effets pervers, multiplie, à moyens constants, les dysfonctionnements institutionnels et entraîne dans de nombreux domaines des régressions impressionnantes.

Prenons pour exemple l’émission "A vous de juger" du 16 octobre 2008 sur France 2.

A plusieurs reprises la Ministre de la Justice, dont la prestation avait été manifestement préparée dans le détail, a martelé qu’en matière de délinquance l’avis des professionnels ne devait pas être tenu pour parole d’évangile et qu’elle avait à coeur d’aller elle-même sur le terrain pour se forger sa propre opinion. Dans la même émission, sa rapidité à mettre en question le comportement des magistrats après le suicide d’un mineur incarcéré suite à des fugues réitérées d’un Centre Educatif Fermé (CEF) a crûment mis en lumière le refus d’envisager les conséquences d’une application stricte de sa propre politique criminelle.

Parlant de la population des jeunes détenus, elle n’a pas craint d’ inventer la présence dans une structure marseillaise d’un mineur poursuivi dans une cinquantaine de dossiers, ni d’affirmer dans un évident dessein de dramatisation que pour être incarcéré il fallait être au moins braqueur ou violeur. Il suffit pourtant de jeter un coup d’oeil sur les statistiques pour constater que les coups et blessures entre adolescents, et les vols aggravés par le fait d’avoir agi à plusieurs et de nuit, sont statistiquement beaucoup plus nombreux.

Ces erreurs ou à peu près volontaires, jamais assumées comme tels, ne sont pas une nouveauté ; le signal en a été donné par l’actuel Président de la République alors ministre de l’intérieur après les évènements survenus dans les banlieues à l’automne 2005  : faisant mine d’ignorer l’indépendance de chacun des juges dans son pouvoir souverain de décision sauf exercice des voies de recours, celui-ci s’en est pris au président du tribunal pour enfants de Bobigny tenu pour responsable d’un laxisme collectif ; la réalité objective en a été aussitôt déniée par les intéressés puis infirmée par les résultats d’une recherche menée ultérieurement dans le cadre du CNRS .

De toutes façons, depuis l’affaire d’Outreau, il est devenu à la mode de mettre en relief les bévues de la justice pénale : on ne se contente plus d’interroger la responsabilité des juges, on cherche leur culpabilité. Il ne leur est plus demandé de prononcer des décisions étayées par des éléments de fait et de droit destinées à prévenir la répétition des faits, mais d’aller au devant des attentes présumées de l’opinion, de deviner à leurs risques et périls ce qui apparaîtra après coup comme la meilleure décision, autrement dit de manier la boule de cristal ou le marc de café.

Au demeurant, l’envahissement de la parole politique par les techniques de communication ne facilite pas un débat de fond sur les orientations du pouvoir. Ce dernier légifère dans l’émotion consécutive à chaque fait divers et se réfère à la volonté des français exprimée dans des sondages élaborés à chaud et de façon souvent tendancieuse.

Dans ce contexte, la critique motivée des professionnels du projet de réforme est réduite, de plus ou moins bonne foi, à une incompréhension résultant d’une insuffisante explication ou d’une mauvaise présentation des choses.

Tout se passe comme s’il fallait absolument imposer un produit sur le marché et que, face à l’inappétence des consommateurs, on préférait améliorer l’emballage, plutôt que de revoir le contenu. Est-ce à dire que la parole politique, parce qu’elle s’appuie sur l’élection ou bénéficie de la faveur du Prince, peut jouer avec la vérité, et, se fondant sur des préjugés simplistes ou des enquêtes d’opinion qui ont des relents de café du commerce traiter par le mépris les autres sources légitimes ? Que peut-on attendre d’une telle disqualification sinon l’incohérence institutionnelle, la débâcle du sens et finalement une déperdition de l’efficacité collective que l’on prétendait améliorer ?

Compte tenu de la banalisation de ces pratiques qui sapent la crédibilité judiciaire, il paraît urgent de remonter à la source qui alimente le désordre et, après l’avoir identifiée, de dresser la liste des idées reçues, colportées par la presse sans esprit critique, qui imprègnent les milieux politiques, inspirent l’élaboration des lois, et placent les professionnels de terrain, sommés de faire coïncider leur éthique professionnelle avec une déontologie qui leur est imposée, dans une insécurité permanente.

Certes, le pouvoir politique s’est de tous temps méfié des magistrats ; il a donc constamment maintenu le budget de la justice à un niveau de médiocrité qui situe la France parmi les moins avancés des pays européens ; néanmoins la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu, était jusqu’à ces dernières année respectée, au moins dans la forme.

Il est désormais évident que la mondialisation de l’économie et l’accélération des progrès technologiques provoquent inévitablement, plus ou moins vite selon la conjoncture politique la remise en cause du fonctionnement sinon de l’existence des secteurs non marchands.

A travers le discours de la gestion, l’aspect économique infiltre toujours davantage le langage politique et administratif au détriment de préoccupations aussi respectables mais qui n’ont pas la chance d’être visibles et de pouvoir s’évaluer. Pour employer une image, la Cour des comptes prend le pas sur le Conseil Constitutionnel.

Le libéralisme économique de Droite et le libéralisme politique de Gauche se prêtent d’autant plus volontiers à cette évolution qu’ils ont historiquement une même origine philosophique, une même perception désabusée du comportement des hommes entre eux, une même considération pour cet avatar moderne du culte du veau d’or que constitue l’hypergestion.

Dès lors, les mécontents - et ils sont de plus en plus nombreux - ne disposant plus d’une représentation politique, éparpillent leurs votes et ne parviennent vraiment à s’exprimer que par la signature de pétitions vengeresses circulant sur internet.

Il est en tous cas patent que, prétextant une modernisation indispensable, le pouvoir politique cherche à remodeler les grandes institutions en charge de la Santé, de l’Education et de la Justice selon les seuls canons de la compétition économique ; chemin faisant, il prend le risque de simplifier outrageusement des problématiques pendantes depuis des décennies et de bouleverser sans véritable nécessité des équilibres obtenus au prix de dégâts humains considérables.

Quant aux perspectives à long terme, aux moments et aux lieux où s’opèrent les choix politiques fondamentaux, nous prenons à peine conscience de notre manque d’informations et de notre inaptitude à les interpréter.

Combien de magistrats peuvent se vanter d’avoir compris en temps utile les implications à moyen et long terme de la LOLF ? Que recouvre la révision générale des politiques publiques (RGPP) ? Quelles sont les priorités du conseil de la modernisation des politiques publiques qui réunit autour du Président de la République l’ensemble des ministres ?

Quelle place l’exécutif laisse-t-il à la discussion parlementaire et à la négociation avec les partenaires sociaux ?

L’insistance portée sur l’analyse des coûts n’a-t-elle pas pour conséquence de faire passer au deuxième plan les besoins du public ? Quel contre feu a-t-on prévu pour éviter ce risque ? Dans le domaine de l’élaboration du Droit communautaire européen, sait-on que se joue actuellement la question de la définition des services sociaux d’intérêt général, définition dont dépendra à l’avenir leur soumission ou non aux règles du marché et de la concurrence. Que va dans ces conditions devenir le concept de service public ?

Il y a de quoi s’inquiéter quand on sait que le parasitage de la pensée par la préoccupation mercantile a généralement pour effet de resserrer les perspectives, de dévaloriser les métiers qui travaillent sur l’humain, de sous estimer voire d’éliminer ce qui résiste à la quantification, par nature, ou en raison d’un métissage de perspectives.

Des choix au premier abord logiques peuvent se révéler plus tard la source de fractures préjudiciables ; ainsi, les textes de décentralisation qui ont réservé à l’Etat la poursuite et le châtiment des délinquants tout en confiant aux conseils généraux la responsabilité de l’action sociale ont manifestement oublié que la réintégration du coupable au sein de la communauté déborde largement les responsabilités de la Justice et devrait figurer également dans les charges du département.

Enfin, la priorité donnée à l’économique ne garantit nullement la neutralité idéologique, même si son apparence rationnelle sert souvent à couvrir l’arbitraire de certains choix.

Eriger en système une tolérance zéro et un traitement en temps réel que les chercheurs américains sont en train de démystifier, contrôler a posteriori l’application sans faille des peines plancher en matière de récidive relève t-il de l’application banale du toujours plus, toujours plus vite de l’entreprise moderne ou d’une philosophie pénale fort loin d’être innovante ?

Nous sommes ici au coeur des ambiguïtés, contradictions et injonctions paradoxales adressées à des magistrats contraints par la loi de réprimer mécaniquement en dépit d’une surpopulation carcérale productrice de faits divers dramatiques, et de renoncer à leur corps défendant aux services de la PJJ pour l’exécution de mesures qui avaient précisément été crées en vue de remédier aux fragilités familiales et personnelles qui préparent la délinquance.

Le modèle économique est-il si bien régulé qu’on puisse le transposer dans le domaine de la justice des mineurs et des droits de l’enfant où le qualitatif et le sur mesure constituent des impératifs sine qua non ? Mérite-t-il qu’on abandonne chaque jour un peu plus des idéaux éprouvés et même l’identité professionnelle des magistrats ou des éducateurs ?

Il convient ici de dire quelques mots des infirmités de la commission Varinard : il n’a échappé à personne que sa composition avait été politiquement conçue pour exclure de son fonctionnement toute parole collective des professionnels, même si ces derniers pouvaient être ponctuellement appelés à exprimer leurs desiderata. Les conséquences sont évidemment apparues dans le rapport luimême. L’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille a ainsi pu constater que ses propositions les plus novatrices concernant le renvoi à la collectivité locale de situations sans gravité et le regroupement des faits délictueux par périodes pour éviter la fragmentation des poursuites avaient été reprises mais détournées de leurs objectifs, ce qui ne se serait sans doute pas produit si elle avait été associée aux travaux.

Le rapport témoigne en outre d’une cécité complète concernant le travail éducatif.

Faute de représentation suffisante en son sein d’une perspective qui garde pourtant son importance parmi les principes retenus, la commission a bâti un cadre rigide autour d’un véritable vide, d’un creux qu’elle a chargé plaisamment les magistrats de meubler2. Un peu plus de curiosité lui aurait permis de découvrir que l’éducateur promu devin ne peut qu’avoir un rôle limité dans l’aide à la décision, que l’action éducative ne saurait se réduire à un gardiennage, ni à l’encadrement de la réparation, et surtout que l’entreprise éducative pour aller jusqu’au bout d’elle-même a besoin, au-delà de repères temporels, d’un cadre suffisamment durable et souple pour s’adapter à la variété des situations.

Faut-il se résigner ? Jusqu’à présent, émettre un doute sur la primauté de la gestion c’était refuser le progrès ; or la crise financière et économique qui accable notre pays, en dévoilant la fragilité du système, nous apporte en même temps une occasion de revenir à la charge.

Le trait dominant des adorateurs du Marché est en effet un dogmatisme bien éloigné de l’idéal de liberté : Hors du libre jeu d’une concurrence non faussée point de salut ; haro sur les scrupuleux qui viendraient le paralyser ou seulement le ralentir. 2 il y a lieu de se reporter à la proposition 44 concernant l’instauration d’un suivi éducatif en milieu ouvert unique pouvant intégrer des obligations de faire, ainsi que des mesure …. d’assistance et de surveillance, sans autre précision, qui seront décidées par le magistrat.

Désormais, de l’aveu même du Président de la République,3 l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique est morte avec la crise financière.

Si tel est le cas, il ne suffit pas, comme le fait Nicolas Sarkozy d’appeler à un retour du Politique, lui-même lourdement compromis dans la genèse de la catastrophe ; il faut purger tout le système des miasmes d’une doctrine qui proclame depuis des décennies à travers les medias qu’aucune considération de quelque nature qu’elle soit ne peut prévaloir sur les exigences du marché et que l’excellence de la gestion suffit à garantir le progrès.

Examinons maintenant à partir de quelles considérations l’Etat libéral aborde la justice et plus particulièrement une juridiction des mineurs différenciée au sein de la magistrature par son origine historique récente et sa vocation personnaliste.

Outre le maintien de l’ordre indispensable à la sécurité des échanges, la vie en société comporte la nécessité de divers arbitrages ; ceux-ci seront d’autant plus appréciés de l’homo economicus qu’il pourra compter sur la simplicité de la procédure, la transparence de la motivation et la prévisibilité du contenu. Il faudra en outre veiller à l’effectivité de l’exécution des décisions. C’est à ces conditions que l’on pourra anticiper et inclure le risque judiciaire dans le jeu de la concurrence.

Quant à l’Education, outre l’instruction publique proprement dite, elle se résume en un travail de surveillance de la jeunesse, d’intimidation ou d’élimination des trublions par l’éloignement ou la 3 Discours d’Argonnay, 23 octobre 2008 relaté par Le Monde contention. La fonction paternelle de l’Etat chère au professeur Legendre se réduit à une simple entreprise de dressage ne nécessitant pas de compétences pointues en sciences humaines. Il convient donc de ramener les éducateurs à des tâches dont ils n’auraient jamais dû s’éloigner, ce à quoi la Direction de la PJJ s’emploie avec une opiniâtreté consternante.

Dans la Justice des mineurs, la marge d’interprétation dont dispose le magistrat du Siège vis-à-vis de ses critères d’intervention qui sont parfois de simples standards sociologiques, la complexité des intérêts en présence dont la préservation obéit à des temporalités différentes, l’inextricable interpénétration du contentieux civil et du contentieux pénal ne répondent pas véritablement aux exigences de la modernité libérale. Les règles de procédure qui font dépendre, au moins en partie, le prononcé de la décision des aléas d’un débat contradictoire engendrent une certaine imprévisibilité de la décision.

D’’où les diatribes politiques récurrentes concernant la lenteur de la justice, sa complexité, et la prétendue toute puissance des magistrats.

En revanche, au sein d’un Parquet hiérarchisé, où les individualités ne peuvent s’exprimer que dans des limites étroites, et qui est surtout directement soumis aux directives ministérielles, ces inconvénients n’existent pas.

D’où la multiplication des procédures rapides, les pleins pouvoirs donnés au Parquet pour traiter en amont certaines formes de délinquance, et la diversification des modes de saisine.

D’où le recul des prérogatives de la juridiction par rapport au Conseil général avec l’adoption du principe de subsidiarité de l’intervention judiciaire en assistance éducative, la mise en question de la double compétence du juge des enfants, le rétrécissement continu de sa marge de manoeuvre dans le prononcé de la sanction, le tout sur fond de contestation des spécificités de la tranche d’âge que constitue l’adolescence, et de renversement de la priorité antérieurement donnée au milieu ouvert en matière d’équipement. D’où, s’agissant cette fois de l’institution éducative, l’élaboration par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse d’un "plan stratégique" unilatéralement défini, conformément auquel elle a annoncé que, pour des raisons de rationalisation de l’affectation de ses moyens, elle ne budgéterait pas et n’exécuterait plus les missions d’assistance éducative et de protection jeunes majeurs pourtant prévues par des textes non abrogés et expressément décidées par l’autorité judiciaire.

Indépendamment de la gravité sur le plan symbolique de l’atteinte portée à la chose jugée, ce coup de force achève de ruiner la continuité du service public déjà fragilisé par des délais excessifs de mise en oeuvre,et diminue d’autant la valeur performative des décisions juridictionnelles.

- La célérité indiscutablement souhaitable en droit des affaires ne l’est pas forcément dans un domaine où le temps de la procédure est vécu différemment par le délinquant, la victime, les experts et les intervenants éducatifs, sans parler de l’environnement et des medias.

- Il est loin d’être établi que les processus décisionnels opaques en usage dans l’exécutif surpassent en efficacité le débat contradictoire dans la résolution des conflits et la préservation de la paix sociale.

- Il ne viendrait à l’idée de personne de comparer l’efficacité des différentes justices européennes à partir du seul nombre des décisions rendues rapporté au coût de fonctionnement.

- Enfin, le management des personnels et des moyens à partir de priorités politiques prédéfinies sur un plan général génère souvent des dégâts collatéraux que le bon sens des décideurs de terrain aurait sans doute évités.

La parole de l’enfant devrait par exemple être mieux écoutée depuis que le juge est invité à l’entendre chaque fois qu’il le demande et à prendre en considération son intérêt supérieur ; mais, en diminuant de façon drastique la disponibilité des magistrats en assistance éducative, la priorité donnée par les princes qui nous gouvernent au traitement des dossiers de délinquance n’a-t-elle pas pour effet de réduire cette avancée à un voeu pieux, sinon à un simple affichage ?

Le paradigme économique appliqué sans discernement a aussi pour effet d’enfermer la victime dans le seul rôle de créancière de dommages intérêts, et de transformer la délinquance des adolescents en menace majeure pour l’intégrité des personnes et des biens, alors même que c’est la reconnaissance de la souffrance qui est principalement revendiquée et que la délinquance en col blanc apparaît incomparablement plus nocive pour l’ensemble de la société que la jeunesse la plus turbulente.

Il est donc légitime de se demander si les exigences de la compétition économique peuvent être impunément transposées en matière de justice, et si les règles de la gestion doivent continuer à inspirer de manière prioritaire et uniforme l’administration des juridictions.

Ne faut-il pas au contraire redonner priorité à d’autres considérations, pourvu toutefois qu’elles répondent à l’intérêt supérieur des usagers ?

Notre assemblée générale ne pourra se contenter de dénoncer l’envahissement de la justice des mineurs, par des façons de penser qui lui sont étrangères, et qui ressemblent fort à des préjugés parés des prestiges de la modernité.

Elle devra faire appel à des sociologues, des juristes voire à un philosophe pour l’aider à approfondir et à affiner sa réflexion ; ce sera l’objet des interventions prévues dans la matinée de notre journée de travail. L’après-midi, selon une tradition désormais bien établie, nous donnerons, dans le cadre d’une table-ronde, la parole à d’autres professionnels du champ social.

Mais il faudra aussi réfléchir aux remèdes. Plusieurs pistes peuvent d’ores et déjà être envisagées :

La première qui vient à l’esprit consisterait chaque fois que cela est possible à saisir la Recherche4 de questions précises pour nous 4 Lire à ce sujet l’intéressant article de Michel Chauvière, "L’action sociale à l’épreuve de l’hypergestion", article paru sur oasis, le portail du travail social (www.travail-social.com) aider à valider ou à l’inverse à relativiser les intuitions que nous tirons de notre expérience de terrain. Nous travaillons dans un domaine où les affirmations de nature idéologiques sont souvent mises sur le même plan que les constatations objectives, et nous n’échappons pas toujours à ce travers.

Il est en tous cas intéressant de relever que la polémique concernant la manière dont les mineurs vivent la double fonction civile et pénale du juge des enfants s’est nettement estompée depuis qu’au détour des questions posées par l’inspection de la PJJ à quelque 300 d’entre eux, la plupart ont répondu qu’ils n’en étaient pas particulièrement troublés.

La seconde reviendrait à finaliser avec l’UNIOPPS les termes du Manifeste exposant le socle des principes que nous continuerons à défendre parce qu’ils nous paraissent intangibles sous peine de dénaturation de notre travail. Dès que le texte en sera arrêté, il pourrait être proposé à la signature des magistrats et de tous les professionnels qui collaborent avec eux en matière de mineurs.

La troisième nous conduirait à nous référer davantage aux engagements internationaux de la France ; il est intéressant de remarquer qu’à l’inverse de notre pays, les instances internationales se sont toujours adressées aux professionnels pour rédiger les conventions et recommandations touchant à la délinquance et à la protection des mineurs ; sans ignorer les inflexions des politiques libérales, ceux-ci se sont accordés avec les représentants des ONG pour maintenir fermement des orientations humanistes applicables sur le terrain.

D’année en année le décalage entre notre législation et le contenu respectif des conventions onusiennes et des recommandations du conseil de l’Europe apparaît plus flagrant, ainsi qu’en témoigne le rapport déposé en novembre par le commissaire européen aux droits de l’homme ; il faudra bien un jour en tirer les conséquences.

La dernière a été ébauchée à l’automne, à l’occasion du congrès de l’association italienne des magistrats de la jeunesse à Brescia ; il s’agirait de créer une section européenne de l’association internationale des magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AIMJF) afin de mettre en commun avec nos collègues nos difficultés et nos appréhensions concernant tel ou tel projet de réforme, de tirer les leçons des expériences étrangères, et d’intervenir collectivement auprès des instances nationales avec un véritable statut d’experts. En effet, nous nous sommes rendu compte que si les courants d’idées qui inspirent actuellement les dirigeants européens sont en général identiques, la conjoncture dans chaque pays se prête plus ou moins à leur traduction législative et qu’ainsi, tel ou tel pays commence à se poser une question alors qu’elle a été tranchée ailleurs et que le recul permet déjà d’apprécier la véritable valeur de la solution adoptée.

Ainsi aurait-on davantage de chances de parvenir à une modernisation qui ne soit pas politiquement imposée à partir de préjugés contestables mais réfléchie et maîtrisée.

Programme

Samedi 14 mars

Matin

9h15 accueil

9h 30 Présentation du thème de l’assemblée générale par Catherine Sultan, présidente de l’AFMJF

9h 40 Ouverture par Maria Maïlat, anthropologue « La justice, les mineurs et Faust : un détour anthropologique »

10 h 30 Table-ronde : La délinquance juvénile, représentations et réalités avec Christine Lazerges, ancienne vice-présidente de la commission des lois à l’assemblée nationale et professeur de droit (Université Paris 1 Sorbonne) « Y-a-t-il encore un débat possible ? »

Laurent Mucchielli, historien et sociologue « L’évolution de la délinquance juvénile et de son traitement : la parole du chercheur face à celle du politique »

Dominique Simonnot, journaliste « Les médias face à la surenchère sécuritaire »

Modérateur : Hervé Hamon, président du tribunal pour enfants de Paris

12 h 30 Déjeuner

Après-midi

14 h 30 Intervention de M. Cabourdin, Directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (sous réserve)

15 h à 16 h Table-ronde : La disqualification par le politique de la parole des professionnels avec

Dans le domaine du social, Pierre Henri, Dir-Général de France Terre d’Asile

Dans le domaine de l’éducation, Martine Beistegui, directrice de service éducatif (FN3S)

Dans le domaine de la psychiatrie, Jean-Louis Le Run, pédopsychiatre

Dans le domaine de la santé, Stéphane Tessier, médecin de santé publique

Dans le domaine de la justice des mineurs, Delphine Bourgouin, juge des enfants (Melun) et Joseph Meyersen, magistrat (Italie)

Modérateur : Emmanuelle Dufay, juge des enfants (Vesoul)

16 h 15

Reprise des débats et synthèse des travaux par Robert Bidart, juge des enfants (Pau)

DIMANCHE 15 mars 2009

RESERVE AUX ADHERENTS DE L’AFMJF

Matin :

10 h 00 Rapport moral et rapport financier

10 h 30 Débat et vote

11 h 00 Comité directeur élargi à tous les adhérents présents : approbation des orientations 2009 de l’AFMJF

 
 

publié le mardi 24 février 2009, par administrateur