Conférence de consensus : contribution de l’AFMJF

En vue de la préparation des auditions devant la conférence de consensus qui se tiendra les 14 et 15 février 2013, le comité d’organisation a entendu les propositions de l’AFMJF sur la lutte contre la récidive.

Voici le texte transmis au comité d’organisation préalablement à l’audition de Catherine Sultan et de Marie-Pierre Hourcade.

En préambule, il convient de rappeler que le traitement de la récidive des mineurs ne peut pas être assimilé à celui des majeurs. La délinquance des mineurs demeure un phénomène disparate : le hasard des rencontres et des opportunités engendre des transgressions fortuites et ponctuelles, certains passages à l’acte sont révélateurs d’une pathologie à soigner, d’autres d’une difficulté familiale momentanée ou plus profonde, d’une crise d’adolescence, violente mais passagère. Souvent, la situation se complique de conflits de loyauté parfois insoupçonnés parce que le mineur se trouve inféodé à un groupe de pairs réunis par l’appartenance à un même quartier ou par la participation à un trafic illicite. Certains mineurs sont utilisés dans des réseaux organisés par des majeurs.
Pour la Justice, la difficulté consiste à distinguer, dés que possible, les délinquants occasionnels, intermittents ou habituels, qui appellent des réponses différentes. Cependant, dans tous les cas de figure, quelles que soit les apparences, il doit être tenu compte de l’immaturité psychique des auteurs, condition nécessaire pour construire des réponses adaptées et durablement utiles.

Pourtant, quoique distincte et autonome, la justice des mineurs a toute sa place dans une politique globale de prévention de la récidive.
En effet, l’assistance éducative, volet civil de la fonction du juge des enfants, comme le suivi éducatif dans le cadre pénal, constituent des leviers de prévention, au sens large du terme, avec des incidences également sur la prévention de la délinquance.
Pour les jeunes gens les plus vulnérables, du point de vue de leur personnalité, de leur situation sociale et familiale, le passage à l’âge de la majorité est une phase difficile et à risques.
Une passerelle pour les jeunes majeurs est nécessaire ; elle interpelle tant la justice des mineurs que celle des majeurs.
Enfin, des savoirs faire se sont construits dans le creuset du droit des mineurs, dans l’articulation du travail éducatif et du travail judiciaire. Il peut à nouveau devenir une source d’inspiration pour le droit des majeurs, alors que ces dernières années, la force d’attraction tendait plutôt à un alignement du régime des mineurs vers celui des majeurs.

Question : L’état des connaissances sur la prévention de la récidive vous paraît-il suffisant ? Si oui, que pensez-vous de la manière dont ces connaissances sont diffusées/ utilisées dans votre milieu professionnel ou associatif ? Sinon, que préconisez-vous pour améliorer les connaissances et pour assurer leur diffusion/ utilisation ?

Empiriquement, l’observation d’un cabinet de juge des enfants permet de constater que pour la majorité des mineurs poursuivis au pénal, l’activité délinquante restera ponctuelle. La réaction de l’institution (police, justice) et la solidité du cadre familial (mobilisé à cette occasion) suffiront à ce que le trouble soit résolu et appelleront pour la suite des réponses non judiciaires.
Pour un tiers des adolescents suivis par le juge des enfants les transgressions pénales resteront circonscrites sur un temps limité. Ils requièrent sur cette période difficile une prise en charge individualisée à visée éducative sous l’égide du juge des enfants.
Moins de 10% des adolescents suivis sont ancrés dans une délinquance répétitive ou grave, plus complexe à traiter, avec souvent une dimension pathologique. Cette minorité sollicite un engagement fort des institutions judiciaire, éducatives et médicales, avec des réponses diversifiées et complémentaires.

Depuis une dizaine d’années, les alternatives aux poursuites représentent plus de la moitié de la réponse pénale à l’égard des mineurs. Conjuguées avec la pratique de la tolérance 0, elles aboutissent à un taux de réponse pénale pour les mineurs de 95% environ. L’impact de cette politique judiciaire sur l’évolution des parcours et des comportements de ces jeunes n’est pas évalué, pas plus que le contenu des réponses standardisées apportées par les déléguées du procureur. L’articulation avec la saisine ultérieure et éventuelle d’un juge est peu maîtrisée.
Nous savons que la pertinence de cette politique judiciaire de “tolérance 0" est remise en cause par ceux là même qui l’ont initiée aux Etats-Unis (étude de Sébastien Roché) , on peut craindre qu’une judiciarisation trop précoce des comportements adolescents accélère le chemin vers la délinquance (étiquetage, fléchage institutionnel des parcours)

La diffusion d’études universitaires sur les parcours des jeunes suivis par la justice jusqu’à l’âge de 25 ans serait opportune. Dans ce sens, une étude intéressante avait été menée par une équipe de chercheurs sur la récidive des mineurs 5 ans après, étude commandée par la Sous direction de la statistique, des études et de la documentation de la DAGE à Tirât RAZAFINDRANOVONA et dont le rapport avait été déposé en octobre 2007. Cette étude avait apporté des informations sur l’impact de la prison sur des jeunes devenus majeurs et sur l’impact des mesures éducatives. Il apparaissait notamment que l’emprisonnement de 1 à 3 mois sur un mineur n’était pas moins efficace qu’une période plus longue d’incarcération. Cette étude est restée très confidentielle et n’a pas fait l’objet de diffusion
Selon le sociologue Pierre Tournier : “60% des mineurs incarcérés connaissent une autre incarcération dans les 5 ans”

Il serait donc intéressant d’identifier les facteurs de risques en fonction des situations individuelles. Nous vérifions, néanmoins le plus souvent, dans nos pratiques l’illusion du “choc salutaire” de la première incarcération, surtout quand il s’agit de personnalités peu structurées.

De même, le coeur du métier des juges des enfants et des éducateurs est d’amener un adolescent à modifier son comportement, son mode de vie, à influer sur son environnement pour préparer l’avenir. La même démarche est engagée à l’égard de familles en grandes difficultés dans l’exercice de leurs responsabilités parentales. L’impact de ces mesures n’est pas connu au delà de l’appréciation des cas individuels que chaque magistrat peut en faire, sur du court terme.
Des préventologues ont des savoirs et des savoirs faire qui pourraient compléter les formations des juges et des éducateurs par : la connaissances des facteurs de vulnérabilité et de protection, développement de la confiance en soi, rendre l’individu acteur de sa propre vie, notion de réduction des risques, gestion de son impulsivité et de son émotivité…
D’une manière générale, une diffusion des connaissances sur l’impact de l’action judiciaire sur l’évolution des individus concernés contribuerait à la formation des magistrats. Elle serait aussi nécessaire pour influer la représentation, au sein de la société, du rôle de la justice. La justice des mineurs souffre d’être peu connue et de l’absence de visibilité de ses réponses. Or nous privilégions une action durablement utile à celle qui serait immédiatement visible.

De quels éléments d’information disposez-vous sur les facteurs qui diminuent le risque de récidive ou au contraire l’aggravent ? (facteurs personnels, familiaux, économiques, sociaux, géographiques, psychologiques, psychiatriques, sanitaires, impact des addictions… en distinguant suivant le type et la gravité des infractions)

La double compétence du juge des enfants en matière civile et pénale, lui permet d’acquérir les connaissances nécessaires pour appréhender les besoins d’un enfant, dés son jeune âge, et les risques de conditions de vie et d’éducation défaillantes. L’accompagnement éducatif, thérapeutique, social permet de peser sur les points de fragilité identifiés pour prévenir des ruptures ou des décrochages.
La procédure pénale applicable aux mineurs prévoit de ménager systématiquement une phase d’investigation sur la personnalité et l’environnement pour éclairer l’acte délinquant à la lumière d’une situation particulière et construire une réponse judiciaire qui tiendra compte des points de difficultés identifiés et des informations globales.
Au delà de cette connaissance préalable et indispensable à toute intervention, l’intérêt porté à l’histoire du mineur est une démarche de reconnaissance de son identité et de celle de sa famille. C’est un premier pas à “un construire” ensemble.

Les facteurs de risques, personnels et environnementaux sont divers mais se recoupent fréquemment : isolement et fragilité de l’autorité parentale, traumatisme familial (décès ou maladie invalidante d’un parent ou d’un membre de la fratrie, départ du père) décrochage scolaire dés le collège, influence de l’entourage, fragilité psychique. L’action menée sur l’histoire de l’enfant et sa famille, la confiance en soi, la réussite scolaire, la valorisation des parents, en définissant par exemple avec ces derniers les objectifs éducatifs que l’on souhaite mener pour leur enfant sont certainement des dynamiques qui tendent à modifier les comportements que l’on cherche à endiguer.

Quelles sont selon vous : Les schémas d’orientation des procédures au niveau du procureur de la République, les types de sanction et/ou les pratiques professionnelles qui sont les plus à même de favoriser la prévention de la récidive ? Précisez sur quels éléments d’évaluation scientifique ou empirique vous vous fondez. Quels freins, d’ordre juridique ou pratique observez-vous à leur mise en place ?

Tout au long du processus judiciaire et éducatif il est nécessaire de garantir une réponse cohérente, réactive et d’adapter la temporalité au rythme d’évolution du mineur concerné plus qu’aux contingences des institutions (policière, judiciaire, éducative). Le temps juste, celui du cheminement et du travail éducatif doit être garanti, les temps morts, les délais d’attente, qui rendent la réponse illisible doivent être évacués. Le temps du jugement doit se distinguer du temps de la première confrontation au juge des enfants pour ménager une étape de travail sur l’acte et la personne.

Le parquet des mineurs doit pouvoir appuyer sa décision sur des éléments individuels et de contexte plus fournis que sur les seuls antécédents judiciaires compilés dans les mémoires informatiques. Il faut donc un parquet spécialisé, en lien régulier avec le juge des enfants et les partenaires du secteur géographique. Il doit privilégier un mode de saisine qui favorise l’intervention rapide du juge des enfants en charge dans la durée du suivi du mineur. Les COPJ (convocations à moins de 2mois) sont préférables aux déferrements (réservés aux urgences dans le cadre de la permanence).

Les mesures éducatives instituées par le juge des enfants dés sa saisine doivent être effectives sans délai. Le juge doit disposer d’un panel de réponses diversifiées tant en milieu ouvert que dans le cadre des différents modes de placements. Les accueils de jour, qui favorisent l’insertion pour les jeunes en rupture, le milieu ouvert renforcé (avec un accompagnement intensif par l’éducateur), les placements diversifiés sont entre autres des orientations à développer.
L’audiencement par le juge doit aussi être fluide (ce qui suppose un nombre de saisines maîtrisé par le parquet) pour éviter les délais d’attente. Des délais clairs et tenables doivent être fixés.
Le moment du jugement doit permettre de tirer les conséquences d’une période de mise à l’épreuve (pas moins de 6 mois, pas plus d’une année)

Il faut écarter le systématisme et l’automaticité de la progressivité de la réponse pénale. L’adolescent délinquant, dans la répétition délictuelle, met la société à l’épreuve. Il appelle une réponse de l’institution mais celle-ci doit rester raisonnable et ne pas accélérer la désocialisation. A chaque fois, même en cas de réitération, il doit être tenu compte d’une situation individuelle en rapport avec la gravité de l’acte. Il faut concilier la perspective courte (signifier l’interdit) et la perspective longue (projet conçu avec le mineur et ses parents)

L’audience est un temps essentiel dans la rencontre du jeune avec l’institution judiciaire. Chaque acteur doit jouer son rôle, avocat, éducateurs et magistrats du siège et du parquet. La procédure confère aux parents une place importante, leur rôle est essentiel dans la poursuite de l’intervention judiciaire. Le jeune doit sentir que les adultes sont solidaires et exercent leur rôle de protection, à des niveaux de responsabilités différents.

Quels sont, dans votre milieu professionnel ou associatif les points qui font consensus sur les facteurs de risque ou de protection, s’agissant de la récidive ? Quelles sont les bonnes pratiques professionnelles que vous avez mises en place afin de prévenir la récidive ? Quels sont les points dans vos pratiques professionnelles qui vous paraissent perfectibles ?

La garantie de la continuité des parcours, la prévention dans le cadre de l’assistance éducative, la rapidité de l’intervention judiciaire et l’exécution des mesures éducatives, la fiabilité des contenus des réponses.

Les points perfectibles : les délais d’attente des mesures IOE ou LSP ou OPP a un effet désastreux sur le parcours délinquant du jeune qui après l’audience, constate que, de fait, rien ne bouge dans sa vie. Le manque de fiabilité de certains accueils en établissements. Parfois, un placement éducatif mis en place dans de mauvaises conditions accélère la récidive au lieu de l’enrayer.

Quelles sont, selon vous, les réformes juridiques ou organisationnelles (ex : réponses pénales1, programmes, ressources, organisation du travail, formations, partenariats) susceptibles d’améliorer l’efficacité des réponses pénales en termes de prévention de la récidive ? Parmi celles-ci, laquelle vous semble la plus importante ?

Prévoir un « sas » pénal pour les jeunes majeurs : Pour l’ensemble de la jeunesse, les cycles de formation sont plus longs, l’accès à l’autonomie par le travail et le logement survient plus tardivement, bien au-delà de l’âge de 18 ans. Ces difficultés sont majorées pour la partie de la jeunesse la plus fragilisée. La justice des majeurs, tribunaux correctionnels et juges de l’application des peines, témoigne d’ailleurs de la particulière vulnérabilité sociale des jeunes adultes, de l’inadaptation du traitement judiciaire à leur situation. Ce constat rend nécessaire d’intégrer des méthodes de travail particulières pour éviter que la justice soit une « machine à exclure ». Plusieurs Etats européens ont tiré les conséquences de l’allongement de cette phase de transition vers l’âge adulte. En application d’une recommandation du Conseil de l’Europe, l’Allemagne, les Pays Bas, l’Espagne, entre autres, ont ouvert la possibilité d’appliquer à des jeunes majeurs des dispositions pénales prévues pour les mineurs.

Revenir sur le recentrage exclusivement pénal de la protection judiciaire de la jeunesse  : sans occulter une évolution de la pratique judiciaire qui rend nécessaire d’orienter le secteur public sur la prise en charge au pénal, la PJJ doit retrouver une certaine souplesse pour éviter la rupture brutale et prématurée des suivis, (jeunes majeurs et mineurs en danger) pour des raisons administratives et budgétaires.

Réformer la procédure pénale applicable aux mineurs (projet AFMJF) , pour lui rendre sa cohérence : L’adolescent, auteur d’un délit, doit être rapidement confronté à l’institution judiciaire pour d’une part lui signifier la gravité de son acte et la sanction qu’il encourt et d’autre part pouvoir évaluer sa situation familiale, personnelle et éducative et mettre en place, au plus vite, les mesures nécessaires à la résolution des problèmes identifiés. La phase de jugement doit intervenir dans un second temps, pour permettre à la juridiction de juger tant l’acte commis que la capacité d’évolution du mineur. La justice construit son intervention sur des échéances lisibles et productives, la réponse différée permet de faire bouger les lignes et de ne pas se contenter d’un jugement immédiat et sans suite. Le “temps de l’éducation” moteur d’une justice des mineurs spécialisée ne doit pas être imposé à la victime qui peut être dédommagée dés la première étape de la procédure. Pour atteindre cet équilibre, la nouvelle procédure devra prévoir une première comparution en justice du jeune poursuivi dans un délai maximum de 2 mois. Pour les affaires simples, majoritaires, la juridiction se prononcera immédiatement sur culpabilité et éventuellement sur la demande de réparation de la victime. Suite à cette première séquence, l’adolescent est soumis à une période de mise à l’épreuve durant laquelle il devra démontrer sa capacité à évoluer et à réparer son acte. S’il commet d’autres délits pendant cette période, il seront joints dans le cadre d’une procédure unique avec adaptation des mesures provisoires en fonction de l’évolution, positive ou négative. Le jugement surviendra à l’issue de la mise à l’épreuve dans un délai de 6 mois à un an maximum. Cette procédure exigeante et engagée requiert des professionnels spécialisés en nombre suffisants : magistrats, greffiers, avocats.

Un dispositif éducatif solide et rénové. Au cours des dernières années, la réduction des moyens alloués à la Protection judiciaire de la jeunesse (perte de plus 600 postes depuis 2008) s’est traduite par l’abandon d’une partie de ses missions transférées aux départements sans préparation ni transfert des moyens équivalents. Les services associatifs habilités à la prise en charge des mineurs délinquants ont subi également une baisse de leurs dotations. L’offre éducative se trouve réduite alors qu’il est nécessaire de disposer d’un panel large et diversifié adapté aux besoins variables des adolescents sous main de justice. Pour ces derniers, les mesures de milieu ouvert doivent être enrichies avec la possibilité d’instituer une suivi renforcé, les établissements de placements doivent aussi être plus nombreux et la diversité des projets pédagogiques doit être encouragée. Le travail avec les familles doit être renforcé.

Le développement des mesures de réparations : développer des réparations directes, initier les réparations dans les commissariats pour les outrages à agents de la force publique. Ces réparations initiées à Paris, n’ont pas été bien comprises et admises par les policiers qui sont trop souvent dans des relations difficiles avec les jeunes.

Formaliser la prise en charge des mineurs étrangers isolés : Les mineurs roumains sont sur représentés dans les prisons à défaut d’autres solutions.