Mineurs roumains - Inquiétudes sur l’accord franco-roumain.

 
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Accord entre la France et la Roumanie relatif à la protection des mineurs roumains - Examen du rapport

La commission a examiné le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 500 (2007-2008) autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d’origine ainsi qu’à la lutte contre les réseaux d’exploitation concernant les mineurs.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que la France et la Roumanie avaient signé cet accord, le 1er février 2007, afin de renouveler un précédent accord conclu en 2002 pour une période de trois ans et arrivé à échéance.

Elle a rappelé que le phénomène des mineurs roumains isolés sur le territoire français avait fait son apparition à la fin des années 1990, et que cette présence se traduisait notamment par le pillage systématique des parcmètres parisiens, puis par des activités de prostitution sur la voie publique.

Elle a indiqué que, s’il était difficile d’avancer des chiffres fiables, les mineurs roumains représentaient alors l’écrasante majorité des mineurs isolés sur le sol français, avec une population estimée entre 3 000 et 5 000 personnes, provenant dans leur grande majorité d’une région située au Nord-ouest de la Roumanie, inscrite dans une longue tradition de migration. Les mineurs roumains isolés étaient particulièrement vulnérables et exposés à un basculement dans la délinquance et dans des réseaux d’exploitation.

Elle a souligné que, face à ce phénomène, les autorités françaises et roumaines avaient réagi par l’intensification de leur coopération bilatérale en matière policière, judiciaire et de protection des mineurs, ce qui s’est traduit par la signature d’une série d’accords, dont l’accord du 4 octobre 2002 relatif à la protection des mineurs roumains sur le sol français.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que cet accord prévoyait le repérage et la protection du mineur sur le sol français, qu’il précisait que le juge des enfants pouvait décider le raccompagnement du mineur dans son pays d’origine s’il estimait que c’était la meilleure solution, qu’il formalisait la procédure de retour du mineur à laquelle les autorités roumaines prenaient une large part et qu’il mettait en place un dialogue bilatéral interministériel, avec un groupe de liaison opérationnelle, instance de coopération policière mais aussi d’examen de toute question de nature à renforcer la coopération entre les deux pays sur la question des mineurs.

Evoquant ensuite le bilan de l’accord de 2002, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a estimé qu’il était contrasté, puisqu’il avait permis une coopération bilatérale de qualité, la Roumanie ayant fait preuve d’une réelle volonté de coopération pour tenter de résoudre une question difficile. Néanmoins, le nombre de mineurs raccompagnés dans leur pays d’origine était resté très limité, entre quarante et soixante, selon les données disponibles. Elle a considéré que ce faible nombre tenait au fait que le raccompagnement n’était pas l’objectif premier de l’accord, qui visait avant tout la protection des mineurs isolés roumains sur le sol français. Par ailleurs, le délai de quatre mois prévu pour l’élaboration du projet de retour sur la base d’une enquête sociale était trop long pour satisfaire l’aspiration des jeunes concernés.

Elle a également rappelé que, en pleine période de préparation de son adhésion à l’Union européenne, la Roumanie avait vu sa situation évoluer considérablement, puisqu’elle avait adopté une loi de protection de l’enfance, modernisé la justice des mineurs et démantelé ses structures d’accueil héritées de l’ère Ceausescu, de sinistre réputation. Elle a toutefois regretté que, contrairement à ce qui était prévu dans cet accord, aucune évaluation gouvernementale n’ait été faite quant à la réinsertion de ces jeunes au sein de la société roumaine ou à leur éventuel second départ en migration.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a ensuite évoqué les raisons ayant conduit la France à conclure un nouvel accord en 2007.

La première raison tient à l’arrivée à échéance en février 2006 de l’accord de 2002, conclu pour une durée de trois ans. Elle a souligné que le groupe de liaison opérationnelle avait cessé de se réunir en formation bilatérale et qu’aucune demande d’identification de mineur, qui ne dépend pourtant pas de l’accord, n’était intervenue en 2007, la dynamique initiale s’était donc quelque peu épuisée.

La deuxième raison vient du fait que la Roumanie est entrée dans l’Union européenne le 1er janvier 2007 et que ce pays répond par conséquent en principe aux standards européens en matière de protection de l’enfance.

Elle a souligné que le nouvel accord de 2007 reprenait pour l’essentiel les termes de l’accord de 2002 en faisant une plus large place aux autorités roumaines dans la procédure de retour. Elle a indiqué que cet accord visait à accélérer cette procédure en prévoyant une modification substantielle, puisque si l’accord de 2002 confiait au seul juge des enfants la responsabilité d’autoriser le rapatriement du mineur, au titre de sa compétence pour tout ce qui concerne l’assistance éducative, l’article 4 de l’accord de 2007 modifiait la répartition des pouvoirs entre siège et parquet en prévoyant que le parquet des mineurs peut faire droit à une demande de rapatriement du mineur de la part des autorités roumaines, l’intervention du juge des enfants restant donc possible, mais n’étant plus systématique.

Elle a rappelé que, en droit interne, le parquet disposait de la capacité de prendre des mesures de protection en cas d’urgence, ces mesures devant, en application du code civil, être confirmées ou rapportées par le juge des enfants dans un délai de huit jours. Elle a estimé qu’il était peu probable, même si les autorités roumaines faisaient preuve de diligence, que la demande de raccompagnement intervienne pendant le délai de retenue du mineur. Dans l’hypothèse où le mineur n’est plus localisé à la réception de la demande roumaine, l’accord prévoit qu’il sera inscrit au fichier du système d’information Schengen et pourra être raccompagné sur instruction du parquet en cas de découverte ultérieure.

S’interrogeant sur la position qu’il convient d’adopter sur cet accord, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a d’abord souligné que le phénomène des mineurs roumains isolés sur le territoire français avait connu une nette décrue depuis 2002 en volume, les populations de mineurs isolés étaient aujourd’hui majoritairement afghanes, kurdes, chinoises ou encore africaines, et que ce phénomène avait profondément changé de nature. Les mineurs d’aujourd’hui sont majoritairement des roms, pas seulement roumains, mais provenant essentiellement de l’ex-Yougoslavie, ce qui n’était pas le cas en 2002, et ils ne sont pas isolés, mais le plus souvent en famille. Elle a considéré que le problème était plutôt celui des itinérants, en particulier des roms et que cette question dépassait de loin le cadre du présent accord.

Elle a également estimé que le fait que le juge des enfants, autorité compétente pour les mesures de protection, n’intervienne plus systématiquement, soulevait une réelle difficulté, à plusieurs niveaux :

 sur le plan des principes, les mineurs étrangers isolés sont placés, comme tous les mineurs, sous la protection du juge des enfants. Notre droit interdisant les mesures d’éloignement à l’encontre des mineurs, l’exécution d’une demande de raccompagnement des autorités roumaines, sans que soit acquis devant le juge des enfants sinon le consentement du mineur, du moins son ralliement à cette solution, qui peut intervenir plusieurs mois après la présentation au parquet, prendrait potentiellement la forme d’un éloignement ;

 sur le plan pratique, le mineur ne peut être raccompagné par la police puisqu’il ne s’agit pas d’une mesure d’éloignement ;

 et, enfin, sur son efficacité, compte tenu du fait que, dans un espace de libre-circulation, et dans le cas d’un retour qui ne recueillerait pas l’adhésion du mineur concerné, le risque est élevé de le voir de nouveau sur le sol français quelques semaines ou quelques mois plus tard si les conditions qui l’ont conduit à quitter son pays n’ont pas changé.

Elle a estimé que les jeunes roms représentaient une véritable difficulté et un défi pour l’Europe entière, et qu’il n’était pas certain que la Roumanie soit la mieux armée pour faire face à ce phénomène. Elle a rappelé que le ministre de l’immigration, M. Eric Besson, avait annoncé la création d’un groupe de travail interministériel sur les mineurs étrangers isolés, qui doit rendre ses conclusions en juillet prochain.

En conclusion, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a estimé que cet accord soulevait plusieurs incertitudes, tant sur sa nécessité compte tenu de la très forte décrue numérique du phénomène des mineurs roumains isolés et de l’existence d’un dispositif de droit commun, que sur le plan juridique pour ce qui concerne le rôle du juge des enfants et l’intervention nouvelle du parquet et le consentement du mineur, ou encore quant à son efficacité si le retour est insuffisamment préparé dans un contexte de libre circulation des personnes.

Pour ces raisons, elle a fait part à la commission de ses fortes interrogations sur l’opportunité de cet accord, en estimant qu’un tel sujet mériterait davantage d’être traité à l’échelle de l’Union européenne que dans un cadre bilatéral.

A l’issue de l’exposé du rapporteur, un débat s’est engagé.

M. Robert Badinter a déclaré partager les fortes préoccupations du rapporteur sur le contenu et l’utilité de cet accord. Il a estimé que le phénomène des mineurs isolés, souvent roms, issus de Roumanie, mais aussi d’Albanie, de l’ex-Yougoslavie ou d’autres pays tiers, était un problème majeur pour l’ensemble de l’Europe, qu’une approche strictement bilatérale était inefficace compte tenu de la liberté de circulation des personnes et qu’il fallait donc privilégier une action à l’échelle du continent, dans le cadre de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Il a également regretté le fait que cet accord méconnaisse les pouvoirs du juge des enfants en matière de protection et d’assistance éducative des mineurs isolés au profit du parquet des mineurs. Il a jugé que cette mesure s’inscrivait dans un contexte plus général du transfert des pouvoirs judiciaires du siège au parquet, qui, par son mode de fonctionnement comme par son statut et ses relations avec le pouvoir exécutif, s’apparente davantage à une autorité administrative qu’à une autorité judiciaire.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a alors décidé de reporter sa décision. Elle a demandé au rapporteur de poursuivre ses investigations et de faire rapport à une date ultérieure.

 
 

publié le lundi 25 mai 2009, par administrateur