Contribution à la réflexion sur les « juridictions du XXI ème siècle »

Dans le cadre du groupe de travail présidé par Monsieur MARSHALL premier président de la cour d’appel de Montpellier, l’AFMJF a été auditionné afin d’apporter sa réflexion sur l’organisation judiciaire de première instance et notamment le projet de création d’un "tribunal de première instance".

L’AFMJF tient à remercier la commission et son président pour l’audition de notre association sur ce sujet important pour l’avenir de la Justice. Au regard des orientations définies par la Garde des sceaux, nous pouvons faire les constats et apporter les éléments de réflexion suivants :

Sur l’organisation judiciaire :

La justice des mineurs est très attachée à l’accessibilité et à la lisibilité de son action, intervenant auprès de populations fragiles qui exigent que l’institution s’adapte à ses publics. Publics qui cumulent le plus souvent des difficultés et fragilités sociales, familiales et personnelles. Cette justice doit être rendue dans un souci de proximité, par des juges rattachés à un territoire. C’est actuellement le plus souvent le cas, les JE étant en principe rattachés à un secteur géographique en lien avec tous leurs partenaires eux-mêmes territorialisés.

Il nous semble que la juridiction de référence, le tribunal de première instance (TPI), devrait être pensée au niveau du département et le tribunal pour enfants situé au siège du TPI ce qui n’empêche pas l’intervention de juges des enfants dans des juridictions rattachées au TPE. Ceci permettrait de concilier le besoin de proximité et le souci d’éviter l’isolement du juge.
Selon les territoires et les besoins des populations, on pourrait penser selon des géométries variables à une répartition des territoires avec ou sans délocalisation des juges des enfants.
Par exemple, un TPI dans la Manche à Coutances, avec le tribunal pour enfants au même lieu, et un juge qui pourrait être affecté à la section détachée de Cherbourg, un autre à Avranches ou dans une autre commune dans le sud du département et un juge des enfants assurant une audience par semaine à Saint Lô.

Ce qui paraît important alors est d’assurer une vraie coordination de l’ensemble de ces magistrats au sein du tribunal pour enfants situé au sein du TPI.
Une véritable coordination qui suppose un président au sein du TPE dont le statut permettrait d’assurer cette fonction. Elle existe aujourd’hui sur le papier avec les juges coordonnateurs. Elle reste le plus souvent très insuffisante. Les magistrats ne sont pas formés à cela, et surtout leur hiérarchie s’en préoccupe peu, la justice des mineurs étant encore trop peu investie (malgré de notables progrès) au niveau des chefs de juridiction. Cela renforce l’idée que le TPE doit être une entité autonome.

La coordination doit aussi se penser avec le Parquet des mineurs, étant d’ailleurs précisé que les parquets des mineurs devraient être spécialisés. L’ENM n’organise pas de session de formation ad hoc ou commune JE /substituts des mineurs. A cet égard, on relève que lorsque les parquetiers interviennent au sein de la même section au niveau des mineurs auteurs et victimes, les collègues ont une meilleure connaissance de la justice des mineurs et travaillent de façon plus concertée avec les JE.

Une justice accessible suppose qu’elle soit repérée. C’est aujourd’hui le cas. Il existe dans chaque TGI un tribunal pour enfants, dans un espace parfois distinct de la justice des majeurs. Les JE sont spécialisés, il travaillent avec des services spécialisés que ce soit la PJJ ou le secteur associatif habilité, avec des avocats spécialisés ; ils connaissent leurs partenaires et participent à des instances partenariales lorsque les sujets leur paraissent pouvoir contribuer à leurs missions.

L’AFMJF est attachée au maintien de l’entité du Tribunal pour enfants, avec sa compétence civile et pénale, avec un Parquet des mineurs lui même spécialisé, ses professionnels et ses équipes pluridisciplinaires qui interviennent dans le domaine de l’éducation et de l’insertion, avec des avocats spécialisés. Cette juridiction bien assise et repérée des mineurs comme des familles mérite un Parquet des mineurs stable et formé.

Une seule entité regroupée en un lieu avec un président et un parquetier qui assurent la coordination avec les juges des enfants des sections détachées et avec les autres entités du tribunal de première instance : JAF, juges d’instruction des mineurs, juges des tutelles ainsi que les relations nécessaires avec nos partenaires institutionnels que sont notamment l’ASE et la PJJ permet de répondre à nos missions de façon cohérente dans un service au plus près des besoins des populations pour lesquelles nous intervenons.

Le risque d’un rattachement à des pôles que ce soit un pôle famille ou un pôle protection des populations fragiles est celui de la dissociation des fonctions civiles et pénales du Juge des enfants dont la spécificité est d’intervenir dans la continuité et la durée à la fois en matière civile et pénale. En outre, un projet de regroupement par pôle en ce qui le concerne n’apporterait pas, selon nous, davantage de cohérence , mais au contraire, serait source de confusion. Le rôle du JAF n’est pas celui du JE. Son champ d’intervention n’est pas le même, son mode d’intervention non plus. En revanche, les liens JE/JAF sont nécessaires en cas de conflits intéressant les mêmes parties, ce que permet la procédure, et qui doit être amélioré au niveau du fonctionnement de la juridiction.
Les méthodes de travail du JE seraient plus proches de celles du juge des tutelles ( travail sur la durée, avec le même juge, avec des partenaires extérieurs et sur la notion de protection de populations vulnérables) mais le public n’est pas le même ! Il est difficile de concevoir des sections détachées où se cotoieraient des incapables majeurs et des mineurs, délinquants ou en danger. Le rapprochement de ces publics paraît artificiel et les acteurs partenaires de ces magistrats ne sont pas les mêmes ; Quelle cohérence, quel gain de temps, quelle économie de moyen ? On imagine mal la plus value qui serait apportée.

La proposition de l’AFMJF va donc dans le sens du renforcement de la spécificité de la juridiction des mineurs et de la création des tribunaux pour enfants au sein des TPI.

Sur l’évaluation des besoins :

La justice des mineurs comme dans d’autres secteurs, est confrontée à un contentieux de masse qui devrait pouvoir être orienté en partie vers l’administratif pour ne retenir que les dossiers les plus complexes.

Malgré la loi de mars 2007 qui allait dans le sens d’une déjudiciarisation de la protection de l’enfance, on constate que 70 % de l’activité des services de l’ASE relève du judiciaire. L’ONED devrait communiquer les résultats de ses recherches prochainement. Les juges des enfants sont souvent asphyxiés par un contentieux trop lourd : soit il faut parvenir à une déjudiciarisation partielle, soit augmenter les moyens humains. Les enjeux sont trop importants au pénal comme au civil pour demander aux juges de telles prises de risques.

La justice des mineurs doit pouvoir bénéficier plus largement de l’intervention de l’avocat en assistance éducative, et particulièrement en cas de placement. Les avocats sont trop peu présents à l’heure actuelle.

De la même façon, la culture européenne est encore très faible dans nos juridictions et une formation sur la jurisprudence de la cour européenne serait de nature à faire évoluer nos pratiques et améliorer la reconnaissance du mineur et surtout de sa famille comme sujets de droit. La marge de progrès est encore concevable en matière pénale notamment.

Sur la participation des citoyens au fonctionnement des juridictions

Le tribunal pour enfants présente la spécificité d’intervenir en lien avec de nombreux partenaires institutionnels mais aussi associatifs implantés sur un territoire. Le Conseil général tend à s’organiser pour ouvrir ses services au plus près des populations ( exemple de Paris où l’ASE a ouvert des services dans les arrondissements qui nécessitent une présence forte), les établissements scolaires sont compétents selon la carte scolaire et l’implantation des familles, les hôpitaux sont sectorisés, comme la prévention spécialisée, les associations chargées d’une mission d’éducation, les associations de quartier, les municipalités elles mêmes.

Au pénal, le juge des enfants siège avec des assesseurs civils choisis en raison de leur connaissance du monde de la jeunesse. Leur rôle ne doit pas être remis en cause. Bien choisis, ils sont un appui pour le juge. Peut être pourraient ils être renouvelés de façon plus fréquente et être mieux ciblés afin d’associer des personnes à travers lesquelles les familles pourraient se sentir davantage reconnues.

Une justice proche du justiciable est aussi une justice bien comprise, dont les décisions sont perçues comme justes de la part des mineurs et de leurs familles. Certains JE remettent à l’issue de l’audience leur décision tapée après explication aux intéressés ; ces pratiques sont insuffisamment développées. En outre,l’audience doit être le lieu et le temps d’un échange où le jeune et ses parents sont écoutés et dans la mesure du possible, considérés comme les acteurs de leur propre devenir. Les parents notamment en matière pénale, doivent être associés à la définition des objectifs imposés à leur enfant. En d’autres termes, la justice doit être une justice participative, où les premiers intéressés doivent être au cœur de l’action judiciaire mais aussi où l’ensemble de la société doit être associée à l’action de la justice.

La justice des mineurs s’y prête. Sa mission de protection est difficilement contestable, son mode d’intervention aussi. Les instruments juridiques permettent de solliciter les acteurs de la vie civile. Je pense aux mesures de réparation qui permettent d’associer les mairies et les associations de quartier à l’action du juge et renvoyer une perception différente des jeunes suivis et de la justice, mais aussi aux TIG, aux mesures d’accompagnement éducatifs qui amènent les services à travailler avec les associations locales, les mairies, les entreprises, les artisans et commerçants du quartier.

Enfin, les juges devraient être formés à la communication. La justice est une justice de qualité qui mérite d’être expliquée et enrichie de l’apport des partenaires extérieurs.

Marie –Pierre HOURCADE
Présidente de l’association des magistrats de la jeunesse et de la famille.

Le 16 avril 201