Hommage de Yves Lernout

Alain n’était pas tout à fait un juge comme les autres. Il portait au plus haut la fonction de juge, tout en gardant pour lui-même la plus authentique humilité. Je sais qu’il n’aimerait pas un tel panégyrique. Mais partager des souvenirs ce n’est pas trahir, c’est honorer. Ses convictions étaient fortes sans jamais s’entacher du moindre sectarisme. Il les accompagnait d’une telle douceur et d’un tel humour à l’égard de lui-même que plus qu’un partisan il m’apparaissait comme porteur autant d’une manière d’être que des idées qu’il défendait avec détermination. Son champ était celui de l’humain, et plus spécialement des humains tellement cabossés qu’ils se retrouvent parfois dans des cabinets de juges des enfants. Il fût cet infatigable chercheur d’une justice plus humaine à l’égard de ceux dont l’humanité est malmenée, menacée au point pour certains d’entre eux de ne pas s’interdire de devenir à certains moments quelque peu inhumains.

Il parcourut ce long chemin sans plan de carrière ni aucune avidité narcissique. Il n’était pas homme de pouvoir et ne se prétendait pas plus savant que les autres en dépit de cette grande expérience et de son immense curiosité intellectuelle. Il creusait le sillon de la justice des mineurs et son ordonnance fondatrice comme un paysan travaillant avec amour une terre qu’il connaît si bien que le moindre de ses recoins lui semble digne de la plus belle culture. Celle qui élève, porte des fruits et dont les mauvaises herbes elles-mêmes serviront de meilleurs engrais. Sans arrogance ni mépris il ignorait les modes de pensée qui consistent à faire des bulles médiatiques et à cultiver l’allégeance des pleutres par la peur de l’autre. Il traçait sans se lasser une autre route, celle de l’espérance.

On dit que le destin d’un homme se scelle quand il disparaît. Le sien était sans doute de nous montrer que bienveillance et justice sont plus que compatibles et que celle-ci se meurt si elle oublie celle-là.

Puissions-nous nous souvenir longtemps de cet homme si tranquille dont l’obstination était de donner une chance à la vie. On me dit que ses derniers moments furent tel qu’il était, moments d’échanges plaisants et profonds à la fois. Car s’il était homme de paroles, pour autant il n’était ni bavard ni prétentieux, ne prenant au sérieux que son interlocuteur tout en se riant de lui-même. Qu’il nous pardonne d’avance de lui dire combien il nous manque déjà même s’il murmure toujours que la vie continue.