Justice pénale des mineurs : une théorie éprouvée par la pratique.

article paru dans Actualité juridique Pénal - Dalloz - février 2005

(exposé critique du dispositif juridique de traitement de la délinquance des mineurs)

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Malgré les nombreuses réformes qui ont amendé ou infléchi la logique initiale de l’ordonnance du 2 février 1945, la primauté de l’éducatif reste le socle de la justice des mineurs et se maintient fidèlement dans l’article 2 de l’ordonnance.

Quoi de plus naturel en définitive que de maintenir ce principe, puisque toute l’action de la justice des mineurs vise à obtenir un changement de comportement, une révision des choix de vie et un véritable amendement de l’enfant délinquant.

Du principe éducatif découle un objectif de cohérence du parcours judiciaire du mineur et un souci de clarté de la procédure appliquée.

La cohérence du parcours judiciaire s’impose par la relation inévitable qui finit toujours par s’instaurer entre le mineur délinquant et son juge. Celui-ci est d’autant plus certain de revoir l’enfant délinquant qu’il n’arrivera pas à trouver de réponse adaptée, ce qui conduit le magistrat, quelles que soient ses opinions personnelles, à construire une logique d’action inscrite dans la durée.

1. La primauté de l’éducatif, règle immuable du juge des enfants

Seule la primauté de l’éducatif peut expliquer et rendre acceptable la véritable hégémonie du juge des enfants et ses pouvoirs exorbitants du droit commun. Malgré l’introduction du juge des libertés et de la détention, le juge des enfants reste, hormis les crimes, chargé de l’instruction, de l’orientation de la procédure en chambre du conseil ou devant le tribunal pour enfants, de la présidence de l’audience de jugement, puis de l’application des peines, tant pour les mesures de milieu ouvert que désormais pour le milieu fermé (depuis le 1er janvier 2005, en application de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité). Là où la procédure pénale des majeurs s’efforce de répartir les rôles entre différents magistrats, tout se concentre entre les mains du juge des enfants. Cette particularité ne pourrait se maintenir si la justice des mineurs devait être uniquement punitive. Elle pèse d’ailleurs sur les épaules du juge des enfants qui ne peut concevoir son rôle qu’avec prudence, mesure et un particulier souci d’impartialité.

1.1. La primauté de l’éducatif et la phase d’instruction

La primauté de l’éducatif explique que certains droits reconnus aux majeurs ne soient pas mis en avant concernant les mineurs. Ainsi, le droit au silence lors de l’audition de première comparution est rarement rappelé par le juge des enfants. En effet, comment le magistrat pourrait-il construire un lien éducatif face à un mineur obstinément muet ?

Paradoxalement, la primauté de l’éducatif explique également une pratique surprenante des juges des enfants : alors qu’une enquête sociale et un examen médical s’imposent sauf motivation spéciale (article 8 de l’ordonnance du 2/2/1945), ces deux actes d’instruction sont rarement ordonnés.

L’enquête sociale est généralement considérée comme inutile pour des faits véniels commis par un primo délinquant. Elle allonge la durée d’instruction, peut être exagérément intrusive dans la vie de la famille. En outre, le juge espère souvent que s’agissant d’un premier fait, la procédure pénale en elle-même sera suffisamment dissuasive. Pour les mineurs très connus, elle est également perçue comme inutile, tant le magistrat connaît la personnalité de l’enfant et le contexte familial par d’autres mesures déjà distillées au fil des dossiers (liberté surveillée, protection judiciaire, placements). De fait, le juge des enfants repense à l’enquête sociale lorsqu’il s’agit d’un mineur préalablement inconnu ayant commis un acte suffisamment grave, ou si la famille se montre particulièrement fragile ou défaillante (parents excusant abusivement leur enfant ou le laissant venir seul à la convocation du juge). Moyen plus subtil que le mandat d’amener, l’enquête sociale peut aussi servir de porte d’entrée dans une famille refusant de déférer aux convocations.

L’examen médical est à notre connaissance complètement délaissé. Pourtant, une étude de la protection judiciaire de la jeunesse sur la santé des mineurs suivis par la justice (enquête menée avec l’INSERM sur les adolescents de la protection judiciaire de la jeunesse et leur santé - 1998) devrait faire réfléchir sur l’intérêt d’effectuer un bilan lorsque un mineur se fait connaître comme délinquant, car sa santé est généralement dégradée.

Les expertises psychiatrique ou psychologique s’avèrent souvent peu adaptées à la logique d’action de la justice pénale des mineurs car elles ne s’inscrivent pas dans une dynamique. Ces mesures présentent une photographie du mineur, alors que c’est plus un film sur la durée qui intéresse le magistrat, tant la capacité d’évolution de l’enfant est la question principale. L’expertise psychiatrique reste une obligation en cas d’infraction de nature sexuelle (cette obligation explique peut-être la tendance des juges des enfants à ordonner de plus en plus d’expertises, malgré les inconvénients que nous décrivons). Mais là aussi, elle est souvent peu efficiente, car les praticiens sont réticents à fixer un diagnostic définitif sur un enfant en évolution, ce qui est d’ailleurs à leur honneur. On peut donc difficilement attendre de l’expertise un avis tranché sur la psychopathie, la perversité ou la dangerosité du mineur. Cette difficulté liée à l’expertise explique que certains juges d’instruction mandatent fort pertinemment deux fois les mêmes experts, afin que ceux-ci se prononcent au début et à la fin de l’enquête, tentant ainsi de dégager des perspectives d’évolution.

Pour les infractions sexuelles, l’expertise psychiatrique est certes ordonnée, mais est souvent doublée d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative (IOE). Menée par une équipe pluridisciplinaire (assistant social, éducateur, psychologue, psychiatre) l’IOE présente l’avantage de durer 6 mois. Elle apporte ainsi un éclairage plus évolutif et permet d’appréhender plus finement les relations intrafamiliales et le contexte de l’infraction qui est bien souvent également intrafamilial.

1.2. La primauté de l’éducatif et la phase de jugement

Le pouvoir attribué au juge des enfants de choisir l’orientation de la procédure, entre un renvoi en chambre du conseil ou devant le tribunal pour enfants, découle également de la logique éducative de la justice des mineurs.

En chambre du conseil, le juge des enfants peut décider seul d’une mesure d’avertissement (remise à parents, admonestation) ou d’une mesure éducative (réparation, liberté surveillée, placement, protection judiciaire). Il est donc rare que le juge des enfants renvoie devant le tribunal pour enfants s’il estime qu’une de ces réponses suffit, sauf si des circonstances particulières justifient une audience devant le tribunal pour enfants avec un rituel judiciaire plus solennel.

Alors que le législateur a prévu des sanctions éducatives dès l’âge de 10 ans (article 15-1 de l’ordonnance du 2/2/1945 introduit par la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002) celles-ci s’avèrent surtout pertinentes pour des mineurs nettement plus âgés et ancrés dans la délinquance. En effet, il est rare que le juge des enfants estime indispensable la comparution de très jeunes mineurs devant le tribunal pour enfants, en présence de deux assesseurs et du procureur de la République. Dans un souci de gradation des réponses, un tel apparat est réservé aux multirécidivistes ou aux infractions d’une particulière gravité.

Par ailleurs, la loi du 9 septembre 2002 a entendu restreindre la liberté du juge des enfants en ne l’autorisant plus à juger en chambre du conseil des infractions encourant au moins 7 ans d’emprisonnement pour des mineurs d’au moins 16 ans (dernier alinéa de l’article 8 de l’ordonnance du 2/2/1945 introduit par la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002). Or il s’avère que cette règle est peu respectée en pratique, en accord avec les parquets. Juger en temps raisonnable en chambre du conseil est en effet préférable à un passage tardif devant le tribunal pour enfants à cause d’un audiencement surchargé ou du manque d’assesseurs.

Enfin, il faut remarquer que seul l’emprisonnement permet une contention physique du mineur. Toutes les autres mesures ordonnées par le tribunal pour enfants nécessitent la coopération, l’acceptation ou au moins la soumission du mineur concerné. Même les centres éducatifs fermés ont une dénomination trompeuse, puisque ces structures ne constituent pas un enfermement et reposent également sur l’acceptation du placement par le mineur.

Toute l’énergie du juge des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse est donc concentrée sur la réalisation de mesures éducatives, plus ou moins contraignantes, dont le succès dépend finalement de la bonne volonté du jeune. Même si la menace de l’emprisonnement est présente, la logique judiciaire à l’égard du mineur délinquant repose sur la recherche de l’adhésion. Celle-ci est intimement liée à la notion de justice, car une décision ressentie comme juste sera respectée et sera perçue comme un moyen adapté de racheter la faute commise.

Si cette logique éducative est parfois caricaturée dans les débats politiques, elle est souvent comprise par les victimes qui viennent aux audiences, tant elles savent que l’évolution positive du mineur est ce qui importe. Il n’est pas rare qu’après avoir entendu la situation personnelle de leur agresseur, les victimes modèrent ou même renoncent à des dommages intérêts pourtant bien légitimes. “Ce qui compte, c’est qu’il ne recommence pas” tel est fréquemment le langage des victimes à l’audience, montrant au délinquant qu’elles aspirent à son amendement et ne renoncent pas à cet objectif.

En cela, la logique éducative de l’ordonnance de 45 est profondément ancrée dans la mentalité des Français.

2. Donner du sens malgré l’émiettement de la logique pénale

Contrairement à la logique de l’assistance éducative qui suit un mineur en continu, la procédure pénale découpe la vie du mineur en tranches, dossier par dossier selon les infractions commises. C’est ainsi qu’une expertise psychiatrique pour un dossier d’infraction sexuelle, une enquête sociale ou une mesure d’investigation et d’orientation éducative réalisée dans un dossier précis ne seront pas ressorties en cas de nouveau dossier ultérieur.

Chaque réponse judiciaire conduit également à l’ouverture de dossiers différents. Tout comme les investigations de personnalité demeurent dans le dossier où elles ont été ordonnées, les rapports de suivi sont classés dans les dossiers correspondants (exécution d’un TIG dans le dossier TIG, exécution d’un SME dans le dossier SME, etc.). Rares sont les tribunaux pour enfants qui prennent la peine de collecter les doubles des rapports pour les rassembler dans une cote de personnalité (cet inconvénient de la procédure pénale explique la pratique d’un double dossier en assistance éducative par certains juges des enfants). L’émiettement des informations est non seulement une difficulté pour le juge, mais aussi défavorise le rôle de l’avocat qui court après les renseignements concernant son client. Autre défi pour l’avocat : si un mineur suivi au titre de l’enfance en danger commet un délit, les informations sur sa personnalité seront alors à trouver dans le dossier d’assistance éducative. Pour chaque mineur, l’historique informatisé des dossiers ouverts au tribunal devient un outil indispensable pour s’y retrouver dans le maquis des dossiers jugés, restant à juger, en instruction complémentaire sur les faits, en cours de réparation ou de liberté surveillée provisoire.

Ainsi, une des premières missions du juge est de récapituler le parcours du mineur afin que celui-ci se situe dans ses actes et les réponses apportées. En outre, si le juge pressent que le suivi du mineur nécessitera de multiples adaptations, il sera opportun d’ouvrir rapidement une protection judiciaire concentrant ensuite en un même dossier les suivis en milieu ouvert ou les placements ordonnés (prévue par l’article 16bis de l’ordonnance du 2/2/45, la protection judiciaire permet ensuite au juge des enfants d’ordonner des placements ou des suivis en milieu ouvert pendant une durée maximale de 5 ans, même après la majorité).

3. La clarté de la procédure, indispensable à la compréhension de la réponse judiciaire

La simplicité de la procédure découle de l’enquête officieuse, toujours maintenue dans l’ordonnance de 45 malgré l’introduction de procédures d’exception de plus en plus complexes.

La recherche de clarté explique que, sous le contrôle de l’avocat du mineur, le juge des enfants se dispense parfois de règles pourtant assises sur la primauté de l’éducatif de l’ordonnance de 45. Alors que la césure entre phase d’instruction et phase de jugement est la règle générale (article 5 alinéa 1 de l’ordonnance du 2/2/45), il arrive que le juge convoque pour audition de 1ère comparution - mise en examen et éventuellement jugement en chambre du conseil dans la foulée, la victime étant également convoquée. Ceci se comprend lorsqu’à l’examen du dossier, les faits apparaissent peu graves, sont commis par un mineur non connu antérieurement, et que la durée s’écoulant entre la mise en examen et le jugement ne semble pas s’imposer d’un point de vue éducatif.

Ceci reste d’ailleurs soumis à l’appréciation constante du magistrat qui, au vu des éléments apparaissant en première comparution, peut finalement décider de ne pas juger immédiatement, en favorisant des mesures avant jugement (enquête sociale, investigation et orientation éducative, liberté surveillée, réparation, placement). D’autres motifs moins nobles peuvent guider le magistrat vers un jugement immédiat : écouler un stock important de dossiers en un minimum de temps ou apporter une réponse judiciaire rapide plutôt que constructive.

3.1. La simplicité, fil directeur pour l’application de la loi

L’ordonnance de 45 a instauré la fameuse procédure officieuse” (article 8 alinéa 2 de l’ordonnance du 2/2/45) que personne ne peut définir exactement, mais qui révèle le souci de privilégier l’éducatif avec simplicité au détriment du strict respect du code de procédure pénale. Libéré des réflexes tatillons, le juge se consacre pleinement à sa mission éducative. Ce principe cohabite mal avec toutes les innovations législatives qui ont ensuite introduit des usines à gaz procédurales . Or, de tous temps, les juges des enfants ont préféré appliquer les procédures les moins lourdes pour atteindre leurs objectifs, rejoints en cela par le parquet.

Convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement (articles 5 et 8-1 de l’ordonnance du 2/2/45), jugement à délai rapproché (articles 5 et 14-2 de l’ordonnance du 2/2/45), comparution à délai rapproché (article 8-2 de l’ordonnance du 2/2/45), toutes ces procédures sont délaissées ou peu utilisées par les parquets des mineurs. Elles dissimulent des contraintes procédurales si lourdes qu’elles sont peu exploitables. Ceci explique que les innovations législatives ne sont pas forcément mises en pratique.

Il n’est pas certain que le placement en centre éducatif fermé sous contrôle judiciaire connaisse un grand développement, car la sanction d’une violation se borne à une détention provisoire limitée (deux fois 15 jours ou deux fois un mois) avec la contrainte d’un débat devant le juge des libertés et de la détention.

Or, depuis la loi du 9 septembre 2002 (ancien article 20-9 de l’ordonnance du 2/2/1945 introduit par la loi du 9 septembre 2002 et modifié par la loi du 9 mars 2004), le juge des enfants en qualité de juge d’application des peines peut révoquer seul tout ou partie d’un sursis avec mise à l’épreuve, après un débat dans son cabinet entre le parquet et la défense. Cette nouvelle capacité du juge des enfants à incarcérer, avec exécution provisoire, un mineur préalablement condamné à de l’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve par le tribunal, confère au magistrat un pouvoir fort et procéduralement peu contraignant. Même si cette innovation ne signe pas la mort de la détention provisoire, elle présente l’intérêt pratique de ne pas mobiliser le juge des libertés et de la détention.

C’est toujours la recherche d’une certaine simplicité qui conduit le juge des enfants à ne mentionner ni le délai prévu pour l’instruction, ni le droit pour le mineur de demander des actes d’instruction, ni même l’obligation pour le mineur de déclarer tout changement d’adresse (article 116 du code de procédure pénale), tant ces prescriptions sont ressenties comme lourdes et inadaptées au cas du mineur délinquant.

Pour autant, ces libertés à l’égard du formalisme respectent bien le cadre légal qui permet la procédure officieuse.

Surtout, l’atténuation du formalisme juridique ne signifie pas que les droits du mineur soient bafoués. En effet, la pratique judiciaire est sous l’observation et le contrôle constants de l’avocat de l’enfant. En outre, le juge initie souvent une réflexion avec la défense en cas de dossier litigieux, en se concertant notamment sur l’opportunité d’organiser une confrontation ou d’entendre des témoins. De son côté, l’avocat peut solliciter des actes autant sur les faits que sur la personnalité du mineur.

Enfin, le strict respect du code de procédure pénale reprend le dessus lorsque la liberté individuelle est en jeu, notamment pour le respect des droits de la défense ou quand une détention provisoire est envisagée.

3.2. La réponse judiciaire, un défi face à l’incohérence des moyens

Le juge des enfants, compétent jusqu’au 18ème anniversaire du mineur, doit prendre en compte la durée et réfléchir, dès ses premières saisines, à une stratégie de prise en charge.

Autant une réponse judiciaire peut se concevoir dossier par dossier pour des mineurs peu délinquants, autant les réitérations multiples d’un mineur en crise justifient de sortir d’une logique de réponse immédiate au profit d’une mise à l’épreuve éducative à long terme. D’autant que la réalité policière et judiciaire conduit souvent à des saisines pour des faits plus anciens que ceux qui ont déjà été jugés. Parfois, les poursuites s’effectuent à différents moments pour des faits commis durant la même période. L’action du juge des enfants est alors de construire une cohérence pour des faits multiples déferlant en un fouillis procédural. Pour que le mineur reçoive une réponse judiciaire compréhensible, il devient alors adéquat de regrouper tous les dossiers à une audience unique, afin que le tribunal décide non seulement d’une sanction, mais aussi d’une stratégie éducative future.

Les dernières réformes législatives ont pu faire oublier que la première réponse doit être éducative, ce qui ne signifie pas laxisme, mais temps d’élaboration et de structuration. Tous les juges des enfants savent qu’une réparation effectuée, une liberté surveillée respectée, un placement accepté, un travail d’intérêt général exécuté ou les obligations remplies d’un sursis avec mise à l’épreuve impliquent du mineur concerné des efforts autrement plus importants que sa simple soumission à une peine d’emprisonnement ferme. L’éducatif est synonyme d’exigence auprès du mineur. C’est pourquoi cette étape ne peut être négligée.

Même pour les mineurs les plus délinquants, l’exigence éducative reste un atout fort. Un placement réussi en lieu de vie, une réparation effectuée avec sincérité constituent des étapes constructives dans
la vie d’un mineur multirécidiviste, même si l’emprisonnement peut également jalonner son parcours chaotique. Démontrer au mineur délinquant qu’il n’est pas totalement mauvais et qu’il peut croire en ses capacités, tel est le défi que la justice relève pour lui, dans l’espoir qu’il le relève ensuite pour lui-même.

La prison, utilisée avec modération

Concernant l’emprisonnement, les juges des enfants ont longtemps été soupçonnés de vouloir en préserver abusivement les mineurs délinquants. Aujourd’hui, la mentalité dominante chez les magistrats les conduit à considérer la peine de prison comme une étape parfois indispensable dans le suivi éducatif d’un mineur. A condition d’être précédée, accompagnée et suivie d’efforts éducatifs, la prison peut ne pas être destructrice, sans pour autant négliger les réels risques qu’elle implique.

La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a prévu la rénovation ou la construction de 500 nouvelles places dans les quartiers des mineurs. En outre, la même loi a prévu la création de 400 places dans des nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs (intranet de l’administration pénitentiaire). Cette volonté politique laissait présager une incarcération accrue des mineurs délinquants. Pourtant, les chiffres d’incarcération actuels démontrent que la justice des mineurs reste attachée à la dynamique éducative. En effet, les statistiques de l’administration pénitentiaire illustrent une baisse des effectifs de 25%, passant d’environ 800 mineurs incarcérés au 1er décembre 2002 à environ 600 au 1er décembre 2004, ceci provenant surtout d’une baisse de la détention provisoire. Tant et si bien qu’au 1er décembre 2004, 30% des places réservées aux mineurs ne sont pas occupées (statistiques mensuelles administration pénitentiaire 1er décembre 2004).

S’agit-il d’une réaction inconsciente et collective de la pratique judiciaire face aux choix politiques de pénalisation accrue ? Est-ce le succès et la pertinence des prises en charges éducatives intensives et contraignantes proposées par les centres éducatifs renforcés, les centres de placement immédiat et les centres éducatifs fermés ? Toujours est-il que, pour l’instant, l’accroissement programmé des places d’incarcération pour mineurs ne répond pas à un besoin judiciaire.

Le milieu ouvert en manque de moyens

Alors que les priorités se concentrent sur le milieu fermé, les mesures de suivi en milieu ouvert sont mises en attente dans de nombreux tribunaux pour enfants, ou les juges des enfants renoncent tout simplement à les ordonner. Ceci touche non seulement les enquêtes sociales, les investigations et orientations éducatives, les réparations, les libertés surveillées et les protections judiciaires mais aussi les travaux d’intérêt général et les sursis avec mise à l’épreuve.

La pratique judiciaire se trouve donc face à un paradoxe : elle est dépourvue des moyens de suivi indispensables pour contrôler et faire évoluer les mineurs délinquants, mais elle est promise à être largement pourvue en places d’incarcération dont elle n’a nul besoin.

4. Renforcer l’interprétation stricte du droit pénal et l’administration de la preuve

Certains juges des enfants pouvaient être tentés de déclarer un mineur coupable des faits reprochés, même en l’absence de preuves réelles, au seul motif que le prononcé d’une mesure serait éducative. Selon notre expérience, telle fut également la tentation d’un avocat qui, malgré la relaxe requise par le parquet, demanda une mesure éducative pour son client qui impliquait pourtant reconnaissance de culpabilité. L’époque où la majorité des mentions s’effacaient automatiquement du casier judiciaire à 18 ans facilitait sans doute ce type de pratiques.

La loi du 9 mars 2004 a abrogé l’article 769-2 du code de procédure pénale et a introduit un 7° à l’article 769. Désormais, les condamnations pénales ne sont plus retirées du casier judiciaire à la majorité. Les mesures et les sanctions éducatives ne sont retirées qu’après un délai de 3 ans à compter du prononcé de la décision, sauf condamnation ultérieure (les décisions concernées sont : la dispense de mesure, l’admonestation, la remise à parents, la protection judiciaire, le placement, les sanctions éducatives (confiscation, interdiction de paraître, interdiction de rencontrer les victimes ou les coauteurs, réparation, stage de formation civique).

Cette inscription durable au casier judiciaire devrait produire une exigence accrue, tant sur la qualification des infractions que sur le régime de preuve conduisant à reconnaître la culpabilité d’un mineur. Ceci constituera également un défi à relever pour les services d’enquête, la simple confrontation entre la parole de la victime et celle du mis en cause ne pouvant plus forcément suffire pour une condamnation en l’absence d’éléments extérieurs d’appréciation.

Même si les dispositions légales accordent moins le droit à l’oubli aux anciens mineurs délinquants, il est fort probable que ce bénéfice leur sera néanmoins rendu par l’effet des lois d’amnistie, désormais adoptées tous les 5 ans par la réduction du mandat présidentiel.

Conclusion : L’ordonnance de 45 : ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.

L’ordonnance du 2 février 1945 conserve son appellation mythique, malgré les nombreuses réformes qui lui sont passées sur le corps. Tant et si bien que certains magistrats ont pu la dénommer feue l’ordonnance de 45 .

Il est vrai que les outils éducatifs ont considérablement évolué vers un renforcement des notions d’engagement et de contrainte dans les prises en charges (réparation, centres éducatifs renforcés, centres de placement immédiat, centres éducatifs fermés).

En outre, la répression est plus que jamais utilisable par les juges des enfants, même si ceux-ci en font un usage modéré.

Néanmoins, l’ordonnance de 45 n’a jamais été une bouillie tiède au profit des mineurs délinquants. De tout temps, elle a permis qu’un mineur entre 16 et 18 ans soit condamné aussi sévèrement qu’un adulte. Jamais la législation française des mineurs n’a fixé un âge minimum de responsabilité pénale, alors que la France s’y était pourtant engagée en ratifiant la convention internationale des droits de l’enfant le 7 août 1990 (article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant : les États parties s’efforcent de promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale, et en particulier d’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale).

D’ailleurs, le comité des droits de l’enfant des Nations unies a réaffirmé sa préoccupation concernant la législation française sur la justice des mineurs qui tend désormais à préférer les mesures répressives aux mesures pédagogiques (comité des droits de l’enfant des Nations unies - 36ème session - 30 juin 2004 - CRC/C/15/Add.240).

Plus que l’étude théorique du dispositif législatif, la pratique judiciaire démontre que l’esprit de l’ordonnance de 45 est toujours vivant, traversant les générations de juges : l’exigence éducative plutôt que la passivité carcérale, l’éducation plutôt que l’élimination.

Certes, l’ordonnance du 2 février 1945 n’est plus tout à fait la même tant par le texte que par les pratiques, elle n’est pas non plus devenue totalement une autre.

François TOURET - DE COUCY, ancien délégué national de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, ancien juge des enfants à Chambéry