La Belgique hésite à abandonner son système préventif (juillet 2007).

Justice des mineurs

Une Europe plus sévère

Article paru dans l’édition du Monde du 04.07.07

C’est un de ces faits divers qui, en Belgique, mobilisent l’attention de toute la société. Le 12 avril 2006, un lycéen, Joe Van Holsbeeck, est poignardé à la gare centrale de Bruxelles pour avoir refusé de donner son lecteur MP3 à des jeunes racketteurs. L’affaire va susciter une vague d’émotion et une manifestation de 100 000 personnes.

Soucieux, depuis l’affaire du tueur pédophile Marc Dutroux, de ne plus apparaître distant et insensible, le monde politique tente de rassurer les gens. Il promet que de « nouvelles mesures » vont être prises pour endiguer la délinquance juvénile. En fait, une révision de la loi sur la protection de la jeunesse, vieille de quarante-deux ans, est en discussion. Et les débats consécutifs à la mort tragique du jeune Joe vont donner au gouvernement l’occasion de médiatiser un projet qui termine son parcours législatif sans avoir intéressé grand monde jusqu’à ce drame.

La Belgique s’interroge, comme d’autres Etats européens, sur la délinquance des mineurs et les réponses que peut y apporter son modèle dit « protectionnel », un système à vocation éducative, hérité des conceptions du XIXe siècle et du début du XXe, longtemps cité en exemple dans le monde. C’est le principe de la « défense sociale » qui, « guidé par un souci prophylactique, soutient l’idée d’agir contre les causes de la délinquance, et ce dès la prime enfance », rappellent Carla Nagels, Dominique De Fraene et Jenneke Christiaens, dans un document publié par le Crisp, un centre de politologie. L’assistance, la protection et la prévention doivent primer sur la répression.

NOUVELLE LOI HYBRIDE ET COMPLEXE

Faut-il désormais substituer aux lois protectrices un modèle pénal ou un principe « restaurateur », troisième voie entre l’éducation et la punition ? Au fil des faits divers, la Belgique s’interroge. Jusqu’ici, elle avait maintenu sa philosophie de base et résisté à l’application d’une stricte logique sanctionnelle. Les pouvoirs publics ont créé, en 2002, à côté des « instituts de protection », un « centre fermé » où des mineurs de plus de 14 ans, coupables de faits graves, pourront être enfermés provisoirement - pendant neuf semaines au maximum. Ces centres doivent surtout éviter à des jeunes de côtoyer des adultes en prison.

En septembre 2006, des experts européens se sont réunis à l’initiative de trois universités belges pour faire le point sur leurs recherches concernant la délinquance des plus jeunes. Les experts ont conclu que, au-delà des situations particulières, le phénomène semblait globalement stable et qu’il fallait agir comme l’avait préconisé le Comité économique et social européen, en mars 2006, pour « dédramatiser » cette « délinquance d’importance mineure par rapport à celle des adultes ».

Pas plus que d’autres, l’opinion belge ne paraît toutefois convaincue. Elle s’est à nouveau émue, il y a quelques semaines, lorsque le tribunal de la jeunesse a refusé de se dessaisir du dossier des deux mineurs polonais soupçonnés d’être les meurtriers de Joe Van Holsbeeck. C’est-à-dire de les renvoyer devant la justice des adultes. Quant au monde politique, il a mis au point une nouvelle loi sur la justice des mineurs, qui se caractérise par son caractère hybride et sa complexité. Si l’aspect protectionnel demeure et si les garanties juridiques offertes aux jeunes ont même été renforcées, des inflexions sécuritaires ont vu le jour et une référence claire à la justice « restauratrice » apparaît : les mineurs doivent « prendre conscience de leurs actes » et « s’engager dans un processus de responsabilisation ». Le jeune est censé prendre en charge sa propre transformation et les parents seront davantage responsabilisés.

La procédure de dessaisissement au profit de la justice des adultes (2,5 % des jugements actuellement prononcés) sera accélérée. Les mesures imposées aux jeunes de 14 à 18 ans coupables de faits graves pourront être surveillées par les tribunaux jusqu’à ce que ceux-ci atteignent 23 ans. Les juges pourront désormais recourir à une panoplie de mesures et les cumuler. Une partie du monde politique, notamment flamand, entend aller plus loin dans les années qui viennent, en privilégiant la punition.

Jean-Pierre Stroobants