La mesure d’investigation au coeur du débat judiciaire.

Intervention d’Elisabeth Chauvet, juge des enfants à Nîmes, au congrès de la FN3S en juin 2010 sur la réforme de la mesure d’Investigation et d’Orientation Éducative (IOE).

Heureuse d’être présente - dans cette période que nous traversons, qui voit se multiplier
réformes et restrictions de tous côtés - je parle de l’institution judiciaire - mais je parle aussi de
tous les services publics - où la plupart des annonces sont de mauvaises nouvelles, des
propositions ou des obligations qui viennent, jour après jour, pan après pan, mettre à mal nos
outils de travail, et ce d’une manière qui nous atteint de plein fouet dans nos pratiques
professionnelles - tout comme dans l’idée de ce que nous pouvons apporter à notre société. Et,
s’il est vrai que, depuis une vingtaine d’années, nous n’avions de cesse de décrypter ce vers quoi
nous savions bien que nous allions – là où tout cela allait nous mener – forcément – un jour ou
l’autre – et dont nous dénoncions l’avancée lente mais certaine, je dirais qu’aujourd’hui, c’est
arrivé.

Cette dégradation de notre service public de la justice des mineurs, que nous redoutions et
dénoncions, est en train d’advenir. Elle est à l’œuvre. Dans les cabinets des juges des enfants,
postes d’observation tout autant que lieu de décision, les difficultés sont là, majeures : Moins de
lieux de placement, protection judiciaire jeunes majeurs non financées, désengagement de la PJJ
de l’assistance éducative ; les délais de mise en œuvre des décisions s’accroissent, les services
sont confrontés à de multiples obstacles.
Mais, lorsque début janvier, j’ai accepté de préparer cette intervention, sur la question de
l’investigation, à la demande de Mr BARBEZIER, au nom de l’APEA avec qui nous avons eu
une collaboration d’une grande qualité lorsque j’étais juge des enfants à Montpellier, je ne savais
pas à quel point le sujet était d’actualité, et d’une actualité si brûlante…

Je n’en ai pris la mesure qu’il y a quelques jours, à lecture du projet de mise en place de la mesure judiciaire
d’investigation socio-éducative (M J I SE ), prévue par la PJJ pour 2011.
Bien que sous le coup du choc produit par la découverte de ce projet, qui semble balayer
d’un revers de manche tout ce qui constitue le savoir-faire, la culture et l’efficacité fondée sur les
connaissances issues des sciences humaines à l’oeuvre depuis près de 50 ans, et sans cesse
réactualisées, (tant par des dispositions législatives nouvelles que par des réflexions et technicités
diverses), je me suis efforcée de ne pas rentrer, à l’avance, dans une polémique qui risque d’être
redondante, et lassante, puisque je sais que Mr CABOURDIN va intervenir en fin de matinée.

Soucieuse de vous faire connaître non pas seulement mes propres réflexions, ou celles
des juges des enfants de ma juridiction - le TGI de Nîmes, j’ai eu à coeur d’interroger, au fil des
réunions, mes collègues. Ils étaient pour la plupart dans l’ignorance de ce projet (bien souvent
noyés de travail dans leurs cabinets surchargés). J’ai donc participé à l’Assemblée Générale de
l’AMFJF, en mars, ainsi qu’aux débats organisés par le Syndicat de la Magistrature, et me suis
fait communiquer les réflexions en chantier. C’est donc l’ensemble de ces points de vue que je
vous exposerai, le mien propre ne venant qu’appuyer ou ajouter une remarque.

Chez les magistrats, la stupéfaction est unanime… même si déclinée différemment selon les sensibilités
ou appartenances syndicales des uns et des autres.
Dans le cadre de cette intervention, et puisque je ne suis pas dans un cadre syndical, j’ai
tenté de m’inscrire résolument dans la perspective qu’Edward Saïd, Professeur à l’université de
Columbia, dans un article du Monde diplomatique paru en 2002, sous le titre “l’humanisme,
le dernier rempart contre la barbarie”
appelait la critique humaniste : "Faire oeuvre de mémoire, replacer les errements actuels dans une perspective historique, et rendre sa place à la
complexité, afin d’élargir les champs de lutte possible et de remplacer par une pensée et une analyse plus profondes sur le long terme les brefs éclats de colère irraisonnés qui nous emprisonnent”.

En termes plus simples, j’ai tenté d’apporter des éléments de réponse à la question qui me
taraude : Que s’est-il passé ?

Comment cette proposition de réforme de l’investigation a-t-elle pu
germer de la DPJJ – en hiatus complet avec la recherche d’excellence que l’assistance éducative
a – depuis sa création par l’ordonnance de 1958, toujours développée et poursuivie ?

Peut-on
oublier qu’en 1970, lors des débats sur le projet de réforme de l’autorité parentale, Le Doyen
Carbonnier avait proclamé, devant l’Assemblée Nationale « l’Assistance éducative ?
L’excellence, on n’y touchera pas » !!!

Que s’est-il passé – alors même précisément qu’aucun changement législatif ne vient attester
d’une volonté du législateur de revoir à la baisse le champ ou la qualité de la protection de
l’enfance ?

Bien au contraire, la protection de l’enfance ne continue-t-elle pas d’être proclamée
priorité nationale, fleuron de notre société civilisée protectrice du faible ?

Que s’est-il passé, alors même que les améliorations et des progrès considérables ont été
accomplis depuis une dizaine d’années en matière d’ assistance éducative : procédure
contradictoire, présence de l’avocat, concours d’experts, de l’ administrateur ad hoc, encadrement
des délais d’appel des décisions… ?

Que s’est-il passé, et - question cruciale - que se passe-t-il et vers quels lendemains qui ne
chantent pas allons nous ?

Et si cette réforme de l’investigation, sachant la place centrale que
celle-ci occupe au sein du débat judiciaire, et les conséquences qu’elle engendre pour la prise de
décision judiciaire, n’était que le prélude à des évolutions encore plus sombres ?

Je vous propose donc tout d’abord situer notre débat de ce jour dans le contexte général que
connait la justice actuellement, l’institution judiciaire en général :
JUGES, GARDEZ VOUS A DROITE, JUGE, GARDEZ VOUS A GAUCHE !

Vous ne l’ignorez pas : Depuis quelques années, les atteintes à l’indépendance de
l’autorité judiciaire se multiplient, l’ensemble de l’institution judiciaire se voit assigner des
objectifs qui rendent de plus en plus difficile aux magistrats de remplir le rôle de garant des
libertés individuelles qui leur a été conféré par la Constitution :

 Pléthore de lois se succèdent à un rythme effréné, donnant lieu à ce que d’aucuns appellent
une “logorrhée législative”.

 Les projets de lois font bien souvent l’objet de votes morcelés, ce qui entraîne d’inévitables
incohérences : (on peut voir resurgir, à la fin d’une loi traitant d’une tout autre question, un
« morceau » de loi rejeté antérieurement, lors du premier vote…).

 Projets de loi à propos desquels les professionnels ne sont pas (surtout) pas consultés.

(Ajoutons que l’accès au droit , grâce à l’aide juridictionnelle, est de plus en plus difficile ; que
de graves menaces pèsent sur des pans entiers du champ de compétence judiciaire, sur les
moyens dont nous disposons ; l’introduction de certaines technicités peut engendrer des effets
dévastateurs).

Ceci dans un contexte de pénurie de personnel de greffe qui ne cesse de s’aggraver,
(donc où nous sommes amenés à être à la limite supérieure de ce que nous pouvons faire nous mêmes),
chaque décision garante des droits du justiciable devient une gageure, si nous gardons
le souci de sauvegarder la rencontre humaine comme élément indissociable de nos décisions.

Chaque jour un peu plus, les leçons tirées de la catastrophe d’Outreau - la prise de conscience
de l’importance de la dimension humaine… s’estompent…

Et ce n’est pas fini , puisque un prochain projet de loi – la LOPPSI, est actuellement en
navette entre l’Assemblée Nationale et le Sénat.

Pour en avoir eu connaissance, il est manifeste
qu’il s’agit là d’ un ènième texte répressif d’inspiration sécuritaire à l’instar de tous ceux qui ont
été votés à un rythme effréné depuis 2007, qui pose des jalons supplémentaires de l’organisation
d’une société qu’on ne peut pas qualifier autrement que de société du contrôle. (Avec en outre
quelques petites dispositions concernant les mineurs qui, noyées dans la loi, réapparaissent dont
certaines de celles précisément qui avaient été (un peu) supprimées suite à notre vaste
mobilisation contre l’étiquetage des risques de délinquance dès 3 ans…, en 2007…).

Au nom de la modernisation de la justice, y prévoit une application toujours plus large des
techniques les plus modernes, sans toutefois les encadrer le moins du monde par les garanties
éthiques minimales permettant de s’assurer qu’elles restent… au service de l’Homme, et non
l’inverse.

Quels avertissements nos philosophes et penseurs ne nous ont pourtant pas répétés ?

Dans ce contexte général de menace qui pèse sur la justice en général, la justice des mineurs n’
est pas en reste :
JUGES DES ENFANTS, GARDEZ VOUS AU PÉNAL, JUGES DES ENFANTS,
GARDEZ VOUS AU CIVIL.

La justice des mineurs est également, bien évidemment, traversée par cette lame de
fond : Les textes fondateurs de la justice des mineurs - ordonnance de 1945 au pénal et articles
375 et suivants du code civil au civil, ont été depuis leur création et jusqu’à ce jour à tout le
moins, d’une remarquable stabilité. Leur hauteur et leur plasticité ont permis la création de
nouveaux outils, la transformation des anciens, et une adaptation sans cesse renouvelée à
l’évolution galopante de la société depuis une cinquantaine d’années (l’ordonnance de 1945 a été
revue 22 fois).

Mais il est clair que nous assistons actuellement à l’affirmation d’ une sorte de volonté de
réforme forcenée, une volonté d’opérer, cette fois-ci, des transformations de fond.

Tel est le cas
au pénal
où très prochainement, l’ordonnance de 1945 sera abrogée, au profit d’un nouveau code
pénal des mineurs, issu des observations émanant du rapport Varinard.

En matière d’assistance
éducative,
plusieurs tentatives de modification législatives, tant en terme de procédure que sur le
fond, ont été faites depuis plusieurs années.

Si elles n’ont pas abouti, c’est qu’elles se sont
heurtées à la résistance massive et organisée de l’ensemble des professionnels – de vous tous
travailleurs sociaux - et de certaines de vos directions.

Souvenons nous des expérimentations
tentées par quelques départements en 2003 pour voir confier par les juges un mandat global au
conseil général – à charge pour lui de le mettre en oeuvre selon ses propres critères et moyens ce
qui revenait à un transfert de compétence conséquent du judiciaire au profit de l’administratif.

Les juges des enfants se souviennent également que, en 2007, la chancellerie leur a enjoint de se
répartir en juges du pénal et juges du civil – à charge pour chacun des 270 juges des enfants de
motiver leur refus. 269 ont argumenté leur refus… Cette expérimentation a donc dû être
abandonnée par la chancellerie.

Qu’en est-il de cette réforme annoncée de l’investigation ?

Elle nous est présentée comme
un progrès, une amélioration, un souci de répondre aux besoins des magistrats. Or ceux-ci n’en
ont jamais formé le souhait (nous souhaiterions tant d’autres améliorations…). Elle ne s’inscrit
dans aucune des observations que nous avons pu faire (souhait d’une enquête sociale « rapide »
d’une durée de 2 mois). Elle nous est présentée comme une simple modification quasi
technique, – une simple modification de sa durée , pour des motifs incontestables de
compatibilité avec le délai de 6 mois imparti par la loi au juge pour statuer, comme un simple
découpage en modules, une simple tentative de classification sur la base d’une terminologie
simplement plus moderne.

Mais, au-delà de ces propos lénifiants, comment ne pas voir le choix
d’entamer l’excellence de la justice des mineurs à travers un de ses fondements : la qualité de
l’investigation ? Mesure d’économie ou poursuite de l’objectif lancinant de voir la protection
judiciaire de l’enfance en rabattre, et à terme voir couper les ailes de cet acteur qu’en est le juge
des enfants, ce décideur coûteux, indépendant, et surtout encore détenteur de la double
compétence civil/pénal, cette faculté « de se saisir d’office », maintenue par la loi du 5 mars
2007, et qui permet encore notamment qu’un mineur délinquant bénéficie de mesures
d’assistance éducative ? A quand un juge des enfants enfin consacré exclusivement à un pénal
toujours plus tentaculaire ?

L’évolution de la justice des mineurs au cours des cinquante dernières années me semble
apporter des arguments en ce sens. On pourrait effectivement y distinguer 4 grandes périodes :

I. L’origine : la justice des mineurs, mission régalienne de l’Etat.

Les ordonnances de 1945 et de 1958, (la seconde étant venue en quelque sorte enrichir la
première) ont fait de la justice des mineurs ce que Alain Bruel, ancien Président du TPE de
Paris, appelle "la juridiction du sujet".

Fondée sur une approche personnaliste issue de la
nouvelle compréhension des logiques humaines basée sur les apports considérables des sciences
humaines (psychologie, psychanalyse, sciences de l’éducation, sociologie), elle reposait sur
l’affirmation de l’éducabilité de tous les mineurs, y compris les mineurs délinquants, et de la
priorité donnée à l’éducation sur la répression, dans une vision globale de l’éducation pour tous
(au civil comme au pénal). Un acteur unique, le J E, doté de la double compétence en
garantissait l’effectivité. L’investigation y occupait une place première, au fondement de la
décision civile et pénale, le mineur ne pouvant être jugé que s’il a fait l’objet d’une telle mesure.

Ce modèle de justice des mineurs a du reste inspiré plus d’un pays d’Europe.

II. Les années 80 : Les lois de décentralisation de 1986 ont opéré, en matière de protection de l’enfance, une nouvelle répartition des compétences entre l’Etat, les départements et les communes.

La charge de la protection de l’enfance est transférée au conseil général (les mineurs en
danger et les mineurs délinquants étant conservés par l’Etat au titre de ses fonctions
régaliennes).

Ce transfert de compétences marque le début du désengagement de l’Etat,
qui manifestement cherche à ne plus assurer la totalité des dépenses afférentes à la
protection des mineurs – qui, il est vrai - évolution de la société oblige, ne cesse de se
développer.

Les juges qui étaient en fonction à cette époque se souviennent de la plainte
récurrente des financeurs « les décideurs ne sont pas les payeurs » !!!

Au pénal, conjointement à un retournement radical de la réflexion criminologique,
c’est sur le passage à l’acte et ses conséquences sur la société (les victimes) que se
focalise désormais l’attention, plutôt que sur la personnalité et les perspective d’évolution
ultérieure du mineur.

Il s’ensuivra une surenchère répressive, et la valorisation de la
notion de contrôle au détriment de la rencontre éducative.

Outre la brèche ouverte dans l’unité civil-pénal, le désintérêt pour la personnalité et la situation
familiale du mineur porte le germe d’une désaffection de l’investigation au pénal.

Dès lors, le civil et le pénal ont connu des évolutions quasi opposées.

III. La décennie 1990 : le tout-pénal

 C’est la mise en application de la tolérance zéro, expérimentée à New York en 1994,
et transposée en France sans la moindre évaluation de ses conséquences potentielles au
regard des différences culturelles. En fait, comme le dit Alain Bruel sans ambages,
il s’agit d’une version à peine actualisée du dicton “qui vole un oeuf vole un boeuf”.

On peut évaluer à présent l’ampleur des ravages commis :

- l’engorgement sinon la
paralysie de la justice pénale des mineurs ;
retard dans le prononcé des jugements, constitution
de listes d’attente pour la prise en charge des mesures éducatives, exécution aléatoire des
condamnations.

Au delà des dégâts visibles et quantifiables, les répercussions négatives sur le plan
qualitatif ont été considérables.

- et son corollaire le traitement en temps réel : inspiré des évaluations en Bourse, et
conçu par le procureur Moinard. Allant très au-delà de l’exigence européenne d’un délai
raisonnable, qui exige le respect d’un équilibre entre célérité et qualité, le législateur
a, dès 1996, cédé à l’obsession de l’immédiateté en multipliant les procédures rapides,
les délais abrégés et les comparutions rapprochées.

Dans un tel contexte il est bien évident que les investigations de personnalité ont
commencé a être perçues comme des facteurs de retard à juger.

On s’est mis à se
satisfaire de renseignements socio-éducatifs (RRSE) réunis en quelques heures, où l’avis
écrit du Service éducatif placé auprès du tribunal, rédigé sur la base d’un entretien de
quelques minutes et d’un ou deux appels téléphoniques, est devenu une "aide à la
décision" considérée comme suffisante…

On peut s’interroger du reste sur le glissement
qui s’est opéré dans la pratique des juges des enfants, qui, effectivement, sans même qu’il
leur en soit fait obligation formelle, ont réduit de manière significative le nombre des
mesures d’investigation.

Il n’est pas question de nier l’influence dans cette évolution vers une justice plus rapide
des immenses changements qui ont traversé alors notre société :

Les progrès considérables de la
technologie, et la place qu’elle s’est mise à occuper d’une manière générale, l’informatisation et
l’accélération des moyens de communication ont induit un phénomène général de rétrécissement
du temps et de l’espace.

On ne peut cependant que déplorer l’absence de toute réflexion sur les conséquences - pour
notre jeunesse et pour nos savoirs-faire, de cette rupture de temporalité classique, pour
reprendre l’expression de Paul VIRILIO : S’est-on seulement interrogés sur les effets de
déshumanisation liée à l’effacement de la chronodiversité (une même durée est vécue de
façon très différente par le monde médiatique, le juge, la victime, l’adolescent et ses parents en
fonction de la place qu’ils occupent) et la contestation implicite de la notion de processus, si
importante aussi bien pour la manifestation de la vérité que pour l’évolution des perceptions
individuelles, des conflits entre les personnes et de la conduite de l’action éducative toute
entière ?

IV. Les années 2000. L’envolée de l’assistance éducative

Cependant, au moment même où les mineurs délinquants étaient sacrifiés à l’autel de la
sécurité, la protection de l’enfance a bénéficié d’avancées importantes :
L’année 2002 voit promulguer 3 textes législatifs qui vont infléchir la protection de
l’enfance de manière déterminante :

- 1. En matière de procédure : le décret du 15 mars 2002 , par l’instauration du débat
contradictoire confère à l’assistance éducative un caractère pleinement judiciaire.

Le juge est pleinement garant des libertés individuelles, et notamment celle des parents
dans leur exercice de l’autorité parentale. (Certes, ce n’est pas nouveau pour les
professionnels, mais cela prend force de disposition législative et figure désormais au
code de procédure civile). Les conséquences en sont :

- Les familles ont donc désormais accès aux dossiers d’assistance éducative

- les JE doivent désormais procéder de manière systématique à un premier entretien avant prononcé d’une mesure d’investigation (article 1184 code de procédure civile).

Si ce n’est pas nouveau non plus, ceci a pour effet d’inciter les magistrats à motiver leur décision prononçant
une mesure d’investigation, réinvestissant une spécificité du judiciaire qu’ils avaient parfois
sacrifiée à l’autel de l’encombrement de leur cabinet. (Je reviendrai sur cette question centrale de
la motivation, qui me semble pouvoir être opposée au projet de création de la MJISE)

- L’avocat peut se voir délivrer copie du dossier (à charge pour lui du respect des règles de
confidentialité), lui donnant ainsi toute sa place dans les procédures d’ assistance
éducative

- 2. La loi du 02 mars 2002 qui promeut un droit des usagers.

Les nouvelles obligations
qui y sont afférentes ont été à l’époque, particulièrement difficiles à mettre en oeuvre
par vos services, confrontés à la contradiction de mener une action sous mandat
judiciaire donc contraignante, tout en respectant les droits de parents en qualité
d’usagers… (ce terme d’usager, quelque peu barbare dans notre culture, atteste du caractère
manifestement importé d’autres cultures de cette loi).

Le fait que la protection de
l’enfance n’en ait pas été exclue atteste à tout le moins de la volonté du législateur de
considérer le parent comme un citoyen à part entière (quel contraste avec le parent décrit
actuellement dans toute l’action pénale, susceptible de faire l’objet de multiples contrats
d’éducation et mesures de toutes sortes, d’être condamné pénalement…)

- 3. Parallèlement en matière d’autorité parentale, la loi du 4 mars 2002 a donné une
nouvelle définition de l’autorité parentale
(JAF) adjoignant à la classique définition des devoirs
des parents (« ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant appartenant
aux père et mère pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son
éducation »)
les termes suivants "et permettre son développement dans le respect dû à sa
personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son
degré de maturité".

Dans cette redéfinition de la protection de l’enfance, issue de ces textes législatifs, la
mesure d’investigation est réaffirmée dans son rôle central. Elle demeure, et est plus que jamais,
la clé de voûte de la procédure judiciaire :

 le rapport d’investigation (IOE, enquête sociale, expertises) devient élément du débat
judiciaire à part entière : Il prend statut de preuve, régi par conséquent par le régime judiciaire
de la preuve. II constitue une pièce maîtresse des dossiers, et le restera tout au long de la
procédure d’AE qui, on le sait, peut durer de nombreuses années. Il n’est pas rare qu’il en soit
fait état au moment d’une décision importante des années après. Ultérieurement, il figurera aux
archives.

 Devant la juridiction du second degré, si appel est formé par l’une ou l’autre partie, le
rapport d’investigation constituera l’élément essentiel sur lequel la Cour d’Appel fondera sa
décision. Élément d’autant plus important que celle-ci ne peut s’appuyer sur l’ indéniable
« connaissance » des familles et des situations que permet l’intervention dans la continuité du juge
des enfants.

 Il intéresse d’autres magistrats, qui peuvent avoir été saisis de l’instruction – ou du
jugement d’autres procédures. Juge d’instruction si l’un des membres de la famille est soit
victime, soit auteur présumé d’ une affaire criminelle ou délictuelle grave. Juge aux affaires
familiales si le couple parental est parallèlement en instance de séparation ou autre contentieux. Juge des tutelles s’agissant d’une demande d’émancipation d’un mineur ou de la mise en place d’un
conseil de famille. Procureur de la République. La
transmission du rapport obéit du reste à des règles précises, respectueuses de la confidentialité
des dossiers d’Assistance éducative)

- la mesure d’investigation est plus systématiquement « encadrée » par 2 audiences dans le
cabinet du juge des enfants :

– Le premier débat contradictoire est l’objet de la première audience devant le juge, qui
donne lieu au prononcé – ou non, de la mesure d’investigation.

L’ordonnance diligentant
la mesure, et la confiant à un service est, conformément aux règles de la procédure
judiciaire, motivée. La motivation énonce les raisons de la saisine du juge, et nomme
les problématiques. Au plus, elle formule des hypothèses de travail, basées sur les seuls
éléments dont dispose le juge.

C’est, par définition, parce que les éléments, figurant au
dossier, et résultant de l’audition des parties, sont appréciés par le juge comme
insuffisants et insatisfaisants à fonder une décision éclairée, c’est-à-dire à évaluer la
situation et caractériser l’existence d’un danger au sens des articles 375 et suivants du
code civil, que le JE ordonne une mesure d’investigation. Ces éléments manquants sont
bien évidemment inconnus.Le juge ne peut donc en aucun cas prédéfinir de manière
précise ce qu’il y a à chercher, à comprendre, et sur quoi il escompte bien pouvoir
s’appuyer pour statuer.

– La mesure se justifie bien souvent également de ce que les éléments du signalement sont
contestés par les familles. Il est essentiel que leur parole soit prise en compte, à même
hauteur de crédibilité, à ce stade de la procédure, que des éléments fournis par le service
signalant. Tel est l’enjeu de l’effectivité du caractère contradictoire de la procédure (Ceci
est particulièrement vrai lorsque les titulaires de l’autorité parentale se sont opposés à
l’intervention ou à la poursuite de l’intervention du conseil général).

C’est ainsi que le juge jette les bases de ce qui lui permettra, dans le meilleur des cas, de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée, remplissant en cela sa mission spécifique telle que définie à l’article 375-1 du code civil. Comment le juge pourrait-il exercer sa mission conformément à l’article 375-1 du code civil, qui est de « s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée » si celle-ci en conteste les éléments constitutifs ?

– Le second débat contradictoire se déroule au cours d’une audience tenue en chambre du
conseil et de laquelle résultera une décision judiciaire.

La mesure d’investigation y joue le
double rôle prévu par la loi (article 1183 CPC) :

 elle apporte les éléments précis qui formeront le fondement légal de l’intervention judiciaire (régime de la preuve).

– par son rôle d’orientation, elle définit des axes d’action protectrice possibles parce que,
dans l’ensemble de l’économie et de la cohérence de la protection de l’enfance, elle est
condition de l’efficacité de l’action éducative judiciaire à venir. Outre son caractère légal, il n’est en outre plus à démontrer que l’adhésion de la famille à la mesure est également la
condition nécessaire, si ce n’est suffisante, du travail éducatif à mener.

Dans cette matière éminemment vivante et évolutive que constitue l’assistance
éducative, traversée par tous les courants de l’époque, la mesure d’IOE a toujours été reconnue
comme un outil d’excellence. Les services habilités justice auxquelles elles sont confiées ont pris
du reste la mesure de cette exigence. Les équipes se sont formées à de multiples disciplines, afin
de perfectionner les savoirs-faire et compétences. Les formations à l’analyse systémique en
particulier se sont multipliées.

Sur la question fondamentale de la qualité des écrits (le produit
du travail accompli, celui qui vient sur le bureau du magistrat, qui figurera au dossier) les
services sollicitent l’avis du magistrat, ses suggestions, ses critiques.

A juste titre, car le rapport d’investigation est sous les feux croisés de tous les acteurs du débat
judiciaire, - le juge y compris - le point de mire de toutes les critiques, la base sur laquelle la
famille – ou son avocat - s’appuieront pour contester la mesure envisagée par le magistrat. La
moindre de ses virgules se verra promue en signe d’imperfection, voire d’erreur ; la moindre date
erronée, voire approximative, se verra désignée comme cause du fiasco prétendu de
l’intervention, du peu de sérieux prétendu du travailleur social…

Outre cela, et c’est là une considération extrêmement pragmatique, les juges constatent
que c’est le bon déroulement, et l’écoute éclairée et humaine que les professionnels ont pu
développer au cours de l’exercice de la mesure, qui produit le début de sortie de l’impasse et de
la désespérance exprimée par les parents lors de la première audience.

Or, pour le magistrat, qui
ne veut pas lui-même sombrer dans la désespérance, il est clair qu’il est impératif que les
mesures produisent des effets. Le cabinet du magistrat est ce lieu d’où l’on peut voir se dérouler
indéfiniment ce que j’appelle le drame de la répétition (ce phénomène que l’on appelle récidive
au pénal – objet de tous les combats…).

En assistance éducative, cela pourrait se dire « ça revient » parce que rien de déterminant
ne s’est passé… Il y a eu des interventions, des réflexions, des mesures, des dépenses immenses
pour la société… Et RIEN NE S’EST PASSE… Avec en plus l’amertume et le désespoir - ou la
haine consécutive à l’échec.
Et pour le magistrat, son cabinet engorgé, noyé.

C’est cela qu’il aurait été judicieux d’analyser : Quand quelque chose se passe - qui va
aboutir - à terme, à la fin de la mesure judiciaire ou à l’apaisement de la situation préparant d’ores et déjà sa résolution, qu’est-ce qui se passe ?

Voici, modestement, quelques hypothèses, issues de l’expérience d’une vingtaine d’années en qualité de JE - et dans 3 juridictions différentes - avec en charge des ressorts géographiques très différents (Poitiers, le bassin de Thau, et les ZUP nord et sud de Nîmes) :

- le prononcé de l’IOE vient bien souvent en réponse à la plainte récurrente des parents d’avoir
été incompris par les services qui les ont rencontrés antérieurement
(souvent services sociaux -
spectre de l’assistante sociale qui “juge”.

Donc l’IOE répond à leur demande d’être entendus, suite
bien souvent à une accumulation d’interventions toutes plus frustrantes les unes que les autres
(puisqu’ils sont là). Il n’est pas faux de dire que les parents sont souvent malmenés… quels que
soient leurs torts,victimes d’une compassion mal comprise envers les pauvre enfants maltraités…

L’IOE offre ce que le magistrat ne peut pas faire :

 Elle dispose du temps de l’écoute dont ne dispose pas le magistrat.

 Elle dispose de la pluridisciplinarité, là où le juge des enfants est seul… ne disposant pas de la collégialité.

 Elle se bonifie de l’effort constant des services vers plus de professionnalisation : organisation
du travail en équipe pluridisciplinaire, formations dans de multiples domaines (techniques de
changement, analyse systémique, formation à l’écrit).

 Elle fait de la force de la rencontre intersubjective son outil, tant dans le lien que tissent les
professionnels avec les familles (l’enfant), que dans le lien de collaboration entre les juges et les
services. Un professionnel me disait “ j’écris mon rapport à l’adresse d’un juge” ; et un collègue
juge me disant qu’il avait formulé des attentes précises au service d’investigation quant à l’écrit et au travail accompli au cours de la mesure. Et si, pour utiliser un vocabulaire actuel et fort
différent, et si c’était cela qui constituait à part entière un moteur de recherche…

S’il est vrai que cette dimension est complexe à formuler, l’humain… l’intuition…
l’écoute… elle n’en reste pas moins mais incontestable.

Sans doute est-ce ce que
la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 7 avril 1993 a formulé en ces
termes : “les finalités propres à la juridiction des mineurs, la primauté des facteurs
psychologiques, la recherche d’une influence sur les structures mentales du mineur
appellent entre celui-ci et son juge une relation singulière”.

Faut-il donc que cette dimension
soit manquante pour qu’on en mesure toute l’importance… ?

Si j’avais fait cette intervention il y a quelques mois, j’en aurais terminé là : L’IOE, une
mesure parfaitement pertinente.

Et nous aurions discuté des améliorations à apporter…

Reprenons donc notre réflexion :

Puisqu’il est manifeste que les principaux utilisateurs
de cette mesure ne s’en sont aucunement plaint, et n’ont sollicité aucun changement, pourquoi
cette réforme ?

On ne change en principe pas une équipe qui gagne.

Que s’est-il passé récemment, que nous n’ayons pas vu venir, ni vous, ni nous, qui ne
vient s’inscrire dans aucune logique tenant à l’exercice de nos missions, qui ne vient résoudre
aucun problème réel – alors que nous en rencontrons tant au quotidien de nos pratiques ?

A. La RGPP

Un événement nouveau, dépassant la seule justice des mineurs, déterminant, est intervenu en 2007 : le lancement à l’initiative du Président de la République de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) qui s’est donc appliquée aux dépenses de l’Etat.

A vrai dire, le gouvernement Jospin avait déjà fait voter une loi d’organisation des lois de
finances (LOLF) introduisant dans toutes les administrations publiques un pilotage par objectifs
assorti de résultats chiffrés censés mesurer leurs performances.

La RGPP est venue y ajouter une obligation de diminution programmée des dépenses en
personnel, avec des échéances particulièrement courtes en raison de l’urgence à réduire le
montant de la dette publique.

La juridiction des mineurs s’est trouvée confrontée, à l’instar des autres rouages de
l’administration, à une culture du résultat particulièrement pernicieuse.

Notre justice s’inspire désormais du modèle de l’entreprise, dont la bonne marche s’évalue
exclusivement à partir des profits qu’elle dégage.

Elle est invitée en fonction des circonstances
à poursuivre des projets précaires dans un domaine où compte avant tout la pérennité du
fonctionnement, et à quantifier à l’aide de critères fragiles comme la stabilisation d’un
comportement (l’absence de récidive pour un mineur délinquant) des objectifs non mesurables…

Si l’on y ajoute la volonté de faire du chiffre à tout prix, même jusqu’à l’absurdité, et les
pratiques de camouflage qui y répondent, on commence à avoir une idée de l’ampleur de la
perte de sens imputable à la culture du résultat jumelée avec l’efficacité gestionnaire.

En réalité, plus que d’efficacité, il vaudrait mieux parler d’efficience, celle-ci étant la façon la
plus économique de parvenir aux objectifs quels qu’ils soient.

Au pénal, sous couvert de
rationalisation, on a affaire à un catalogue d’obligations mises à la charge du mineur : pointage
régulier au service, assiduité scolaire, participation aux examens etc.. (Par contre, en matière
d’enfermement, on ne lésine pas sur les moyens…)

C’est à la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, la DPJJ, service de l’Etat,
comptable des deniers de l’Etat en matière de protection de l’enfance, qu’a incombé cette
mission de mise en application de la RGPP.

La DPJJ s’est exécutée dès 2008 dans le cadre de la
compétence qui était la sienne alors, par la proposition du budget prévisionnel pluri-annuel
2008-2011, qui imposait des restrictions budgétaires massives – sur la base d’ orientations
sélectives.

Elle s’est acquittée de la tâche au pas de charge, avec les dégâts que l’on sait au sein
même de l’institution, et au mépris de la désapprobation de l’ensemble des magistrats : vidant
la loi de son contenu parfois (notamment en organisant le non paiement des mesures PJM – ou
tirant partie de l’absence de précision dans la loi existante (qui comme nous l’avons dit, est
particulièrement généraliste), notamment en se désengageant de l’exercice des mesures
d’AEMO (mission civile de protection).

Sur la base des choix dictés par la logique de
l’enfermement chère à nos gouvernants, d’immenses crédits étaient par contre consacrés aux
CEF, avec menace de disparition des CER, et fermeture de nombre de structures d’hébergement
éducatif dit classique,et démantèlement de nombre d’équipes et de lieux éducatifs de qualité.

Au civil, elle n’a maintenu que la mise en oeuvre des seules IOE, (avec incitation forte des
magistrats à leur confier désormais les mesures d’IOE au pénal comme au civil) en
contradiction d’un mouvement qui voyait les équipes se vider de leurs psychologues, (sans
compter l’inexistence, depuis longtemps, de psychiatres)… Cette incitation n’a du reste guère trouvé écho auprès des magistrats.

B. La loi du 5 mars 2007, a organisé un transfert de compétence du judiciaire à
l’administratif en matière de protection de l’enfance, en confiant désormais aux Conseils généraux
les missions d’évaluation de toutes situations dites à risque, et de mise en oeuvre de mesures
d’aide et soutien aux familles – dès lors que celles-ci y adhèreraient.

La saisine de la justice ne se
justifiait donc plus que de manière subsidiaire, dans l’hypothèse soit où l’évaluation par le
conseil général n’aurait pas été possible, soit du fait du refus de la famille de souscrire à l’aide
éducative qui leur était proposée.

Cette loi, relativement équilibrée, mais extrêmement coûteuse
pour les départements, a été mise en application de manière progressive (encore incomplète) par
ceux-ci, sous la vigilance des procureurs de la République, qui ont veillé à ne saisir le juge des
enfants que dans les cas strictement prévus par la loi (les cabinets des juges des enfants n’ont
toutefois pas désempli…)

La promulgation de cette loi a suscité un certain soulagement, dès lors que la compétence
du judiciaire n’était pas purement et supprimée. La scission civil-pénal qu’aurait
induite la disparition du juge des enfants, tant redoutée, n’avait pas non pas eu lieu…

C. C’est par contre la circulaire de protection de l’enfance du 6 mai 2010 qui a créé la
stupéfaction.

Si elle vise à clarifier les compétences respectives de l’autorité judiciaire et
administrative définies par la loi du 5 mars 2007, et à institutionnaliser des instances de
concertation et de coordination indispensables au niveau départemental, c’est la Direction
de la protection judiciaire de la jeunesse qu’elle charge de "l’ensemble des questions
intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à
ce titre".

La DPJJ est en conséquence investie d’un rôle politique portant sur l’ensemble
de la protection judiciaire de l’enfance.

A ce titre, en liaison avec les directions
compétentes, elle conçoit les normes et les cadres d’organisation de la justice des mineurs,
et notamment apporte, directement ou par le secteur associatif qu’elle habilite, une aide
aux décisions de l’autorité judiciaire, et garantit à l’autorité judiciaire, par le contrôle,
l’audit et l’évaluation, la qualité de l’aide aux décisions et celle de la prise en charge
quelque soit le statut des services et établissements sollicités.

Elle doit prendre toute sa
place dans la coordination de l’ensemble du dispositif de protection de l’enfance qui
s’étend de la protection administrative à la protection judiciaire civile et pénale…

L’AFMJF avait pourtant, dès la diffusion de l’avant-projet de cette circulaire, courant
novembre 2009, clairement formulé les inquiétudes qui ne pouvaient que naître de
cette responsabilité confiée à un service désormais coupé du champ d’où il tenait sa
compétence et son savoir-faire, et ce en des termes incisifs et particulièrement
pertinents :
"Au-delà de l’affirmation de principe du rôle politique de la DPJJ pour
l’ensemble des questions relatives à la justice des mineurs, il est pour le moins
paradoxal d’affirmer et de tenter de justifier la place centrale des services de la
PJJ dans le champ de la protection de l’enfance au moment même où elle se
désengage de l’assistance éducative !"

Il n’a été tenu aucun compte de ces observations. La circulaire du 6 mai confère à la
DPJJ mission de garantir à l’autorité judiciaire la qualité de l’aide à la décision. La
fiche 2 de ladite circulaire prévoit très précisément que, « pour répondre à la
nécessité d’adapter la mesure d’investigation au besoin des magistrats, la direction de
la PJJ doit rédiger une circulaire sur l’investigation judiciaire ». A tout le moins, si
cela la légitime à proposer une réforme de l’investigation, cela ne la légitime
certainement pas à imposer une réforme jugée inadéquate par les utilisateurs et les
professionnels qui en sont les acteurs.

Risque ou stratégie ? Chacun sait qu’il est plus facile d’être drastique à l’encontre de
quelqu’un – ou quelque chose qu’on ne connaît pas. Nous le savons bien, nous magistrats
amenés à prononcer des condamnations en matière criminelle – ou délictuelle ; les jurés le
vivent lorsqu’ils siègent aux Assises ; les avocats fondent leur plaidoiries sur cette réalité :
plus on connaît, moins il est facile de condamner… une personne, de
supprimer… quelque chose.

Moins la PJJ est à même des réalités de l’assistance éducative,
plus aisément elle concevra des réformes faisant fi des compétences et savoirs-faire
existants.

Ce qu’elle nous propose aujourd’hui (impose ?) en est la regrettable
illustration.

Si, comme le formulait Alain Bruel dès les années 1990, la justice des
mineurs était en péril, si nous restions donc vigilants et attentifs aux évolutions en cours,
il faut reconnaître que cette stratégie, nous ne l’avions pas anticipée – pour autant, quoi
qu’il en soit, qu’il ait été possible de l’infléchir…
Ainsi donc, la boucle est bouclée…

1. L’Etat, s’est financièrement désengagé de la protection de l’enfance (par les deux lois de
décentralisation). Quant au pouvoir de décision, qui reste tout de même entre les mains des magistrats, indépendants, donc susceptibles d’être extrêmement dispendieux, l’Etat confère compétence à ses agents, le Préfet dans un autre cadre, puis la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, afin "d’encadrer" l’autorité judiciaire par des
dispositifs conçus par ses soins, en fonction de ses objectifs propres…

2. La Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse, ayant été chargée depuis les
années 1990, progressivement, de mettre en place (contre la volonté de ses
professionnels bien souvent) une politique de moins en moins tournée vers la prise en
compte de la personnalité des jeunes – et tournée vers un impératif d’efficacité – sur le
modèle de l’enfermement (payant à court terme il faut le dire), applique, le doigt sur la
couture du pantalon , les restrictions budgétaires exigées dans le cadre de la RGPP.

La DPJJ ne s’émeut pas de la perte de sa mission d’assistance
éducative (complémentaire au pénal)… (je parle des directions bien entendu). N’est-ce pas bien au contraire le gage
de son zèle à mettre en oeuvre aux directives qui lui sont, n’en doutons-pas, imposées ?

Ce travail ayant été fait par une simple circulaire, celle du 6 mai 2010, c’est-à-dire, sans qu’il soit besoin de légiférer, confiant à cette Direction zélée, des pouvoirs exorbitants, lui permettant , notamment de réformer les dispositifs et outils, et du traitement pénal, et de l’Assistance éducative.

Celle-ci s’acquittera d’autant plus aisément de sa mission qu’elle se sera dores et déjà éloigné des
réalités de terrain et la « culture » de l’assistance éducative.

Voici, et j’en suis désolée, la vision que je peux avoir de cette réforme de l’investigation.

Je pense
que nos associations syndicales et professionnelles s’attacheront à examiner la légalité de telles
stratégies…

Une simple circulaire, émanant du pouvoir exécutif, peut-elle permettre que soient
malmenés les outils nécessaires à l’application de la loi ?

Les juges peuvent-ils faire valoir l’inadéquation d’un outil (l’investigation) pour éclairer le magistrat en vue de sa prise de décision - à l’instar du tribunal pour enfants, qui a compétence à renvoyer une affaire à une audience ultérieure s’il estime que les mesures d’investigation sont insuffisantes… ?

Une investigation trop succincte ne peut-elle pas être insuffisante à l’accomplissement pour le magistrat de « s’efforcer de
recueillir l’adhésion de la famille » (art 375-1 du code civil) ?

Et, pour élargir le propos en guise de conclusion, je citerai le Professeur Adorno :
“l’effort de connaissance qui porte sur les pratiques sociales n’est pas du même ordre que la
démarche scientifique classique… Alors que celle-ci aspire à une intelligence de l’ordre, et
cherche sa cohérence dans la nature déductive et prédictive de ses énoncés, celle-là est une
intelligence du désordre intégrant le désir, l’effervescence affective et les conflits qui les
accompagnent”.

Comme dit le philosophe de la complexité Edgar MORIN, “il y a une autre folie que l’incohérence ; elle provient au contraire d’un excès de cohérence abstraite, par perte de contact avec le concret de la vie. La rationalisation nous montre que la raison devient folie lorsqu’elle
se ferme sur elle-même."

Elisabeth Chauvet, juge des enfants à Nîmes
(intervention FN3S, 4 juin 2010)