La nouvelle loi pénale espagnole pour mineurs et jeunes délinquants (décembre 2005)

(article paru dans la chronique de l’AIMJF de décembre 2005)

Dr. José Luis de la Cuesta, Président de l’Association Internationale de Droit Pénal, Directeur de l’Institut Basque de Criminologie (San Sebastián, Espagne)

Des changements importants sont survenus au fil de la dernière décennie du XXe siècle à l’intérieur du système de justice espagnole en ce qui concerne le traitement des mineurs et jeunes délinquants
(de la Cuesta, 1999, 101 ff.).

Abolition du système tutélaire (1991-1992)

L’ancienne législation tutélaire (datant de 1948) avait été déclarée anticonstitutionnelle (STC, 14 février 1991) et la Loi Organique 4/1992 avait provisoirement mis sur pied un modèle hybride : tutélaire / pénal / social.

Ce modèle - applicable aux délinquants âgés entre 12 et 16 ans - était tout d’abord basé sur le principe de la primauté de l’intérêt du mineur (Palacio Sánchez Izquierdo, 2000), considéré comme le critère déterminant pour l’intervention et qui se résume aux besoins d’éducation et de réintégration sociale ; il ne s’agit pas de punition ou de répression.

Par conséquent, la nouvelle procédure pénale a ouvert la voie à l’établissement de différents moyens de diversion de type anglo-saxon. Les mesures à appliquer sont définies selon certaines circonstances : la gravité de l’infraction, les caractéristiques du mineur, l’absence de violence ou d’intimidation, ainsi que les efforts du mineur à réparer sa faute envers la victime. Cette nouvelle procédure a aussi envisagé d’adresser les mineurs ayant commis des actes moins graves (sans violence ou intimidation) aux services sociaux, soit directement, soit après un avertissement.

La Loi Organique 4/1992 a en outre mis sur pied des équipes techniques, sur la demande insistante des auteurs (Beristain, 1995, XIV), composées d’un psychologue, d’un assistant social et d’un éducateur. Le "rôle prioritaire" (Urra Portillo, 1995, 8) de l’équipe consistait à rendre un rapport au procureur et au juge sur la situation psychologique, pédagogique et familiale du mineur, afin de rendre plus facile la prise de décisions concernant son éducation et sa réintégration sociale.

En ce qui concerne les sanctions, de nouvelles mesures, pas du tout imaginatives (Manzana Laguardia, 1992, 2543) ou innovatrices, (López Caballero, 1994, 548), ont pris la forme d’interventions éducatives d’une durée de deux ans au maximum. Le principe de flexibilité pour choisir, décider et appliquer les mesures et l’utilisation de la détention exclusivement comme mesure ultima ratio étaient les caractéristiques principales de la loi dans cette matière.

L’approbation d’un nouveau Code Pénal (1995)

De plus, l’approbation d’un nouveau Code Pénal en 1995 en Espagne a eu une influence déterminante sur le développement de la nouvelle Loi Pénale pour Mineurs.

En effet, le nouveau Code Pénal a augmenté à 18 ans l’âge initial pour l’application de ses dispositions et a confié les poursuites pénales contre les auteurs plus jeunes à la loi qui réglemente la responsabilité pénale des mineurs, conservant ainsi temporairement le système introduit en 1992.
L’établissement d’un nouveau système de responsabilité pénale pour mineurs et jeunes délinquants (2000)

La nouvelle Loi qui réglemente la responsabilité pénale des mineurs (Loi Organique 5/2000) a été promulguée en janvier 2000. Elle est entrée en vigueur un an après sa publication dans le Bulletin Officiel de l’Etat le 13 janvier 2000(Boletín Oficial del Estado).

Bien que la Loi adopte la majorité des changements introduits en 1992, une modification primordiale a sans doute eu lieu dans le traitement des mineurs et de la délinquance juvénile1.

1. La Loi fait manifestement référence à la responsabilité "pénale" du mineur dans le sens formel, gouvernée par des paramètres qui ressemblent à ceux des adultes, mais qui en sont différents en ce qui concerne les conséquences, puisque cette responsabilité doit entraîner une réaction non punitive mais éducative.

2. La responsabilité pénale peut être appliquée à des personnes âgées de 14 à 18 ans (art. 1). La loi fait une distinction entre les jeunes de 14 à 16 ans et ceux de plus de 16 ans, lesquels peuvent être soumis à des mesures de détention de plus longue durée (allant même jusqu’à 8-10 ans, suivie par la probation, dans les cas de crimes très graves ou d’actes terroristes). Le fait d’atteindre la majorité ne met pourtant pas un terme à l’exécution de la mesure, laquelle est poursuivie jusqu’à ce que les objectifs visés soient atteints (art. 15). A partir de 23 ans, les jeunes sont envoyés dans un des centres mentionnés dans la Loi Pénitentiaire Générale (Ley Orgánica General Penitenciaria).

Exception à la règle, des jeunes entre 18 et 21 ans peuvent aussi être soumis à la juridiction pour mineurs (art. 4) aux conditions suivantes : il ne s’agit pas d’un crime grave ; il n’y a pas eu de violence ou d’intimidation envers des personnes, ni des menaces contre des vies humaines ou contre l’intégrité physique d’une personne ; l’auteur n’a pas été reconnu coupable d’actes criminels par une décision judiciaire contraignante depuis ses 18 ans ; les circonstances et le degré de maturité justifient ce procédé, surtout si une telle option est proposée par l’équipe technique dans son rapport. Cependant, cette possibilité n’est toujours pas entrée en vigueur et reste temporairement suspendue (jusqu’en 2007).

3. La procédure pour mineurs et jeunes respecte le principe de la présomption d’innocence et les droits de la défense, ce qui laisse ouvertes des possibilités intéressantes pour l’opportunité "réglementée" (Bueno Arús, 1997, 164) lors des procès. La participation du procureur est intense, lors de l’enquête sur les faits ainsi qu’au cours du procès. Il doit en outre s’assurer que les droits des mineurs sont respectés et surveiller l’attention prêtée à ses intérêts. Le procureur ne peut pas prendre de décisions qui limitent les droits fondamentaux des mineurs ; c’est de la compétence exclusive du Juge des mineurs qui agit sur demande du procureur et doit rendre une décision justifiée (art.23-3).

4. La Loi inclut toute une gamme de mesures (art. 7)2 et réglemente leur application et exécution, sur la base du principe de la légalité (art. 43) et sous le contrôle du Juge des mineurs. Lors de l’application d’une mesure, il faut prendre en compte les faits et leur définition légale, mais l’âge, la famille et la situation sociale du mineur sont des aspects plus importants à considérer (art. 7.3). L’exécution des mesures relève de la compétence des Communautés Autonomes qui appliquent le principe de la proximité, soit que le mineur doit être envoyé au centre le plus adapté près de son domicile, sauf décision contraire du Juge des Mineurs dans l’intérêt du mineur.

La détention est divisée en deux phases : l’internement dans un centre et la liberté surveillée (art. 7.2). La détention dans un centre fermé ne s’applique qu’aux crimes intentionnels avec violence ou intimidation, ou qui menace la vie ou l’intégrité physique humaine (art. 9.2ª).

La durée maximale des sanctions pour des actes criminels est de deux ans, ou de 100 heures dans en cas de travail d’intérêt général ou encore de 8 sessions pour des séjours durant un week-end. (art. 9.3ª). Les jeunes de plus de 16 ans peuvent être soumis à des mesures allant jusqu’à 5 ans de détention, en fonction de la violence des actes, de la menace ou des risques graves pour la vie ou l’intégrité physique humaine et des besoins éducatifs éventuels de l’individu qui justifient l’extension de la mesure1. Dans des cas très graves (et les infractions répétées sont toujours considérées comme très graves) le juge peut ordonner une mesure de détention dans un centre fermé pour une durée d’une année à cinq ans et ensuite la liberté surveillée pour cinq ans encore ; dans ces cas, la modification ou la suppression de la mesure ne peuvent être prononcées qu’après la première année d’exécution effective de la mesure de détention (art. 9.5ª).

Malgré ce qui précède, pour des crimes extrêmement graves (meurtre, viol, agression sexuelle aggravée et en général les crimes passibles, selon le Codé Pénal, de plus de 15 ans d’emprisonnement), la durée de la détention est plus longue et peut aller jusqu’à quatre ans (cinq pour des actes terroristes) pour les jeunes de moins de 16 ans et huit ans (dix pour des actes terroristes) pour ceux de plus de 16 ans (Loi Organique 7/2000, du 22 décembre), suivie de liberté surveillée, et en cas de terrorisme, d’une interdiction légale d’exercer une fonction publique quelconque (de quatre à quinze ans).

5. Comme c’était le cas dans la législation précédente, la Loi Organique 5/2000 sur la responsabilité pénale des mineurs a exclu également toute "action par des particuliers" (art. 25) et garantit le "monopole d’action pénale" par le parquet. Les victimes pouvaient dénoncer, mais toute inculpation était de la responsabilité du procureur. Cette exclusion de la victime du processus judiciaire a été critiquée (Landrove Díaz, 1988, 293 ; Ventura Faci & Peláez Pérez, 2000, 124), même si, dans des circonstances exceptionnelles, la victime était autorisée à participer à l’instruction et aussi au procès, mais d’une façon limitée.

La Loi Organique 15/2003 a mis fin à cette exclusion de la victime et a modifié l’article 25. Cette loi permet dorénavant l’intervention de la victime en tant que partie dans un procès pénal pour mineurs.

L’exclusion des victimes du processus pénal n’a jamais affecté leur participation au procès civil, lequel était examiné séparément et servait à établir la responsabilité civile (articles 61-64). La Loi Organique 5/2000 a effectivement établi une nouvelle procédure civile, qui se déroule devant le Juge pour mineurs, mais qui reste indépendante de l’action pénale. Elle réglemente la responsabilité des parents et représentants légaux du mineur à dédommager les victimes pour les dégâts commis.

6. Il existe enfin deux possibilités légales pour renoncer à un procès contre un mineur :

le parquet peut s’abstenir d’entamer des procédures pour les actes qui constituent des délits ou crimes mineurs1, qui étaient sans violence ou intimidation et lorsque le mineur n’a pas commis d’actes similaires dans le passé ;

abandon des poursuites en raison de la réconciliation ou de la réparation (ou une promesse de réparation) entre le mineur et la victime (article 19). Selon l’art. 19.2 de la Loi, "une réconciliation a eu lieu lorsque le mineur reconnaît le préjudice provoqué, s’excuse auprès de la victime et la victime accepte ses excuses". D’autre part, la réparation est légalement identifiée comme "l’engagement pris par le mineur envers la victime d’effectuer certains travaux dans l’intérêt de cette dernière ou de la communauté et leur réalisation effective". En cas de non-respect de la promesse de réparation ou de suivre une activité éducative, les poursuites continuent (art. 19.5).

Bref commentaire

En général, le besoin et la revendication d’une telle Loi se font sentir depuis longtemps. Le texte est positif grâce à son caractère intégral : il réglemente tous les aspects de l’intervention concernant les jeunes délinquants (de 14 à 18 ans, exceptionnellement jusqu’à 21 ans), couvrant non seulement les procédures et les mesures, mais aussi l’exécution des sanctions et la responsabilité civile.

De nombreux points valent un commentaire. Disons simplement pour résumer que, malgré le grand effort de rendre le modèle éducatif compatible avec les modèle de répression et de garantie, en cherchant à rendre les solutions plus flexibles et à favoriser la non-intervention, nous devons faire face à des points de vue et à des idéologies qui ne sont pas toujours compatibles.

De plus, il s’agit du principe fondamental de l’intérêt du mineur ; néanmoins, ceci continue à être un concept ambigu - en ce qui concerne le développement personnel du mineur, ses besoins éducatifs et sa réintégration sociale - et qui n’a pas été développé par la législation.

Selon l’article 19 du nouveau Code Pénal de 1995 (Cuello Contreras, 2001, 49), le nouveau système fait manifestement référence à la responsabilité pénale des mineurs. Ceci est confirmé (l’article 5 de la Loi Organique 5/2000) lors de la commission d’actes punissables et en l’absence de toute circonstance justifiant l’exemption ou la suppression de la responsabilité pénale envisagée pour les adultes par le Code Pénal. Il y a donc déjà suffisamment de raisons pour affirmer que, selon la loi espagnole, l’âge limite pour l’imputabilité pénale ("présomption irréfutable d’irresponsabilité", Sánchez García de Paz, 2000, 706) a été fixé aujourd’hui à 14 ans (art. 3 de la Loi Organique 5/2000), et que l’imputabilité pénale peut exister entre 14 et 18 ans.

La Loi fait une distinction importante entre deux tranches d’âge (14-15 ans et 16-18 ans) ; mais la différence de traitement est parfois trop grande. Quant aux jeunes de plus de 18 ans, la meilleure solution consisterait à les envoyer auprès du magistrat pour adultes, en autorisant ce dernier à appliquer la législation pour mineurs, notamment ses mesures et ses possibilités d’éviter ou suspendre les procédures.

Les procédures des mineurs ressemblent trop à celles utilisées chez les adultes, bien qu’il existe de grandes différences. En principe, les possibilités laissées ouvertes pour la diversion devraient être considérées comme suffisantes. Le procureur est encore chargé d’une gamme excessivement large de fonctions et de tâches. La réglementation des mesures préventives est trop restrictive et la période de détention comme précaution peut, dans la pratique, s’avérer trop longue. L’envoi de mineurs de moins de 18 ans accusés d’actes terroristes auprès de la Cour Nationale de Justice (Audiencia Nacional, mesure introduite par la Loi Organique 7/2000) est contraire au principe de proximité et ne fait qu’imiter le système appliqué aux adultes. Quant à la participation de l’équipe technique, il aurait fallu accorder plus d’importance dans sa communication avec le Juge des mineurs.

A la lumière de la réglementation, les mesures doivent être considérées comme de véritables sanctions pour mineurs (Cerezo Mir, 2000, 106 ; García Pérez, 2000, 686 ; Etxebarria Zarrabeitia, 2001, 32 ; contre Feijoo Sánchez, 2001, 27 ff.), autrement dit, des "sanctions punitives" (Sánchez García de Paz, 2000, 719). Il est vrai qu’il existe une grande gamme de mesures, mais il manque des solutions plus imaginatives qui pourraient peut-être être mises en pratique avec des programmes socio-éducatifs. Finalement, la durée des interventions prévues pour des cas extrêmement graves est généralement considérée comme excessive.

RÉFÉRENCES

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