Loi du 10 août 2007 contre la récidive des mineurs : inutile, régressive et inadaptée.

La loi du 10 août 2007
destinée à lutter contre la récidive des mineurs
est inutile, régressive et inadaptée au but poursuivi.

Quelle urgence y avait-t-il pour que le premier projet de loi votée par le Parlement traite du “Renforcement de la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et devienne la loi du 10 août 2007" ?

Quatre autres lois avaient été votées au cours des cinq années précédentes qui avaient toutes renforcé la législation pénale y compris celle du 5 mars 2007 sur la “prévention de la délinquance” traitant de la récidive et dont aucune évaluation n’avait pu encore, à l’évidence, être pratiquée.

La loi destinée à renforcer la lutte contre la récidive, notamment des mineurs, est inutile, régressive par rapport à nos engagements internationaux et inadaptée au but poursuivi en se cantonnant à des aspects purement répressifs.

Un texte inutile

Pour justifier la possibilité de traiter un mineur de seize ans comme un adulte il a été avancé que du point de vue d’une personne victime d’une infraction il n’y avait pas de différence que celle-ci ait été commise par un mineur de 16 ans ou un majeur de 19 ans.

Si cet argument paraît aller de soit, il n’a qu’une apparence de pertinence au regard de notre système juridique :

En effet :

 Ce qui importe à la victime est que son préjudice soit intégralement réparé même s’il est causé par un mineur. Il le sera, car il n’existe aucune “excuse atténuante du préjudice” qui ne réparerait qu’à moitié un dommage dont un mineur serait reconnu responsable.

 De plus, ne vouloir considérer que les conséquences sur la victime pour sanctionner l’auteur conduirait, en extrapolant le raisonnement, à supprimer tout statut pénal spécifique pour les mineurs et à les punir comme des adultes sans limite d’âge inférieure,

 Enfin, il convient de rappeler qu’en cas d’infraction pénale si la plus grande attention doit être portée à la victime avant, pendant et après le procès, elle n’est toutefois que partie civile lors des poursuites engagées par le Procureur de la République. Il n’appartient en effet qu’au Ministère public de soutenir l’action pénale au nom de la loi et à la juridiction de suivre les prescriptions du Code pénal tel qu’il résulte de la loi du 12 décembre 2005 : “La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixées de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions” (article 132-24 § 2 du Code pénal) .

Il est aussi fait état d’une plus grande précocité de la délinquance et d’un accroissement de la part d’infractions violentes commises par des mineurs.

Cela signifie t-il que la législation concernant les mineurs délinquants était inadaptée pour y répondre ?

Cela justifie-t-il qu’il faille les punir comme des adultes dès l’âge de seize ans ?

La loi prévoit que les mineurs de plus de seize ans en état de récidive légale commettant des crimes et des délits de violence sur des personnes peuvent voir l’atténuation de peine écartée par la Cour d’assises des mineurs ou le tribunal pour enfants. Cette dernière juridiction devant la motiver spécialement, sauf en cas de récidive légale pour les faits de violences volontaires, délit d’agressions sexuelles, délit commis avec la circonstance aggravante de violences. En cas de nouvelle récidive l’atténuation de peine est écartée de plein droit et ne peut être rétablie que par décision de la Cour d’assises des mineurs ou par “décision spécialement motivée” du tribunal pour enfants. Dans cette hypothèse la règle est inversée et le mineur traité d’emblée comme un adulte sauf exception.

Si la législation pénale concernant les mineurs délinquants fondée sur l’ordonnance du 2 février 1945 privilégie les réponses éducatives aux infractions, elle prévoit néanmoins, “lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent”, qu’une peine soit prononcée à l’encontre des mineurs dès l’âge de treize ans.

La législation antérieure à la loi du 10 août 2007 prévoyait déjà que :

 un enfant de treize ans pouvait être condamné, en tenant compte de l’atténuation de sa responsabilité pénale, jusqu’à une peine de vingt ans de réclusion criminelle,

 le mineur qui agissait en état de récidive légale voyait sa peine encourue doublée,

 la diminution de peine pouvait être écartée à l’égard d’un mineur âgé de plus de seize ans selon la réforme de la loi du 5 mars 2007 :

. Soit compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur,

. Soit parce que les faits constituaient une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne et qu’ils avaient été commis en état de récidive légale.

Cette décision n’avait pas lieu d’être spécialement motivée par le tribunal pour enfant si elle était justifiée par l’état de récidive légale.

Il est vrai que l’excuse atténuante n’est pas souvent écartée, compte tenu du large arsenal répressif déjà existant. Par exemple, peu de temps avant, la loi du 10 août 2007, la Cour d’assises des mineurs de Bobigny dans une affaire impliquant des majeurs et les mineurs a, sans écarter l’excuse atténuante de minorité, condamné à la même peine de prison les majeurs et les mineurs en tenant compte pour ces derniers des circonstances de l’espèce et de leur personnalité.

Cette excuse atténuante était toutefois écartée dans certaines affaires en allant même, sous le septennat du Président Giscard d’Estaing, jusqu’à la condamnation à mort d’un mineur par une Cour d’assises des mineurs, celui-ci ayant toutefois été gracié par le Président de la République.

Quelques mois avant la loi du 10 août 2007, la Cour d’assises des mineurs de Pontoise a écarté l’excuse atténuante dans une affaire de viol collectif.

Ainsi, lorsque l’option pénale était choisie par la juridiction, la loi antérieure au 10 août 2007, donnait déjà la possibilité légale de condamner sévèrement à une peine de prison tout mineur dès l’âge de treize ans et comme un adulte dès l’âge de seize ans.

Dans ces conditions, quelle utilité y-avait-t-il de vouloir encore durcir l’arsenal répressif existant ?

Selon un sondage effectué auprès de quelques juridictions pour mineurs il semble qu’au cours de la première année d’exécution de la nouvelle loi, les pratiques aient été assez disparates.

Les réquisitions tendant à l’application de la “peine plancher” ont été prises un certain nombre de fois.

Si certains tribunaux l’ont écartée, d’autres l’ont appliquée à quelques rares reprises. En général lorsque le parquet a soulevé la récidive la juridiction en a tenu compte dans la qualification.

Par une circulaire du 8 octobre 2007 adressée aux parquets généraux, la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces a annoncé la mise en oeuvre par la Chancellerie d’un dispositif de collecte statistique informatisée pour suivre les condamnations prononcées en application de la loi du 10 août 2007. Celle-ci doit donc être en mesure de rendre compte de manière chiffrée de l’exécution de la loi.

Un texte régressif par rapport à nos engagements internationaux

Poser comme principe, que, dans les conditions prévues par la loi du 10 août 2007, un
adolescent de seize ans, fût-il multi-récidiviste, puisse encourir les mêmes peines qu’un
adulte, y compris donc la réclusion criminelle à perpétuité est, à mon sens, contraire à nos engagements internationaux et notamment à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France qui demande en son article 37-a que les Etats parties veillent à ce que nul enfant âgé de moins de dix huit ans ne soit soumis, notamment, à “l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération” ce qui pourrait être le cas lors du prononcé du verdict par une Cour d’assises des mineurs, même si des aménagements de peine sont susceptibles d’intervenir de manière hypothétique à l’avenir.

Par ailleurs, en donnant la possibilité, de principe, d’abaisser, de fait, dans certains cas, la majorité pénale à seize ans, alors qu’il y a un siècle la loi du 12 avril 1906 avait porté celle-ci à dix-huit ans, la France a marqué une régression grave au regard de notre tradition républicaine et, particulièrement des Recommandations du Conseil de l’Europe (Recommandations du Conseil de l’Europe n°(87)20 ; n°R(88) 6 ; Rec (2000) 20 ; Rec (2003) 20) adoptées par le Comité des Ministres qui demandent aux Etats membres de s’en inspirer dans l’élaboration de leurs législations.

A cet égard, plusieurs Recommandations prévoient, notamment, que non seulement le traitement des jeunes délinquants doit différer de celui des adultes en raison de leurs “besoins éducatifs et sociaux spécifiques” mais qu’encore “les jeunes adultes délinquants devraient bénéficier de certaines réponses comparables à celles adaptées aux délinquants mineurs”.

L’article 11 de la Recommandation [REC (2003) 20]
préconise que :

“Pour tenir compte de l’allongement de la période de transition vers l’âge adulte, il devrait être possible que les jeunes adultes de moins de 21 ans soient traités d’une manière comparable à celle des adolescents et qu’ils fassent l’objet des mêmes interventions, si le juge estime qu’ils ne sont pas aussi mûrs et responsables de leurs actes que de véritable adultes”.

Plusieurs Etats comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays Bas, l’Espagne, le Portugal, la Slovénie, la Croatie, la Lituanie ont prévu qu’à l’égard des jeunes adultes de moins de 21 ans ceux-ci puissent faire l’objet, le cas échéant, du même type de sanctions que les mineurs compte tenu de leur développement moral et mental.

Ainsi la nouvelle loi, inutile au regard des dispositions légales déjà suffisantes, se heurte, en l’état, à nos engagements internationaux et va à contre courant des Recommandations du Conseil de l’Europe.

Un texte purement répressif inadapté au but poursuivi

En se limitant à un renforcement de la répression cette loi manque largement son but de lutte contre la récidive.

En effet, les nombreuses réformes législatives des dernières années ont toutes eu pour objectif d’accélérer le cours de la procédure pour faire comparaître rapidement le mineur au palais de justice après une infraction, ce qui, en soi, n’est pas critiquable. Si,
fort heureusement, la grande majorité des mineurs ne récidive pas après un simple passage devant l’autorité judiciaire , il n’en demeure pas moins que, dans de trop nombreux cas, la mesure éducative ordonnée en début de procédure ou lors du jugement
n’est effectivement mise en oeuvre que plusieurs mois après le passage dans le cabinet
du juge des enfants ou devant le tribunal pour enfants en raison de la saturation des services éducatifs. Le décalage entre la prise de décision et son exécution est un facteur
primordial pour expliquer la réitération ou la récidive des mineurs. Il faut, en priorité
absolue, réduire, voire supprimer, tout délai afin d’éviter de donner au mineur la sensation fallacieuse d’impunité après sa comparution au palais de justice.

Une véritable lutte contre la récidive implique :

 En premier lieu, que soient mis en place les moyens humains et matériels nécessaires pour que les différentes mesures éducatives, en milieu ouvert, ou de placements, puissent être exécutées le plus rapidement possible après leur prononcé et jouent leur rôle essentiel de prévention de la récidive en incluant l’intéressé dans un projet personnel motivant pour mettre fin à sa “carrière délinquante” même si, pendant un temps, il a pu être nécessaire de contenir un mineur difficile pour l’empêcher de nuire aux autres et finalement à lui-même.

L’absence d’augmentation des moyens éducatifs pour la prise en charge effective et rapide en réponse à l’acte commis par un mineur permet de considérer que le seul durcissement des condamnations pénales n’a pas une influence réelle sur la récidive.

 En second lieu, dépassant les cas individuels, le succès de cette lutte nécessite la mise en oeuvre d’une véritable politique publique volontaire destinée à combattre les causes de la délinquance en mobilisant d’autres acteurs en amont et en aval de l’intervention judiciaire qui n’est que le réceptacle des dysfonctionnements de notre société.
Si l’appel récurrent à la réalisation d’un nouveau “Plan MARSHALL” pour les quartiers dits “sensibles” se limite à la construction de murs de prisons, il est à craindre que ne serait réalisé alors qu’un “Plan marche à l’ombre” facteur de tous les dangers futurs !

La priorité donnée à la seule répression marque un triste constat d’échec et d’impuissance.

Le suicide récent d’un mineur à la maison d’arrêt de METZ en est une illustration tragique.

S’il convient de responsabiliser et sanctionner, si nécessaire, ceux qui enfreignent la loi, il faut toujours avoir à l’esprit que tout homme est amendable et, a fortiori, tout enfant éducable.

Ce n’est qu’au prix d’une réflexion suivie d’une action sur la situation des mineurs et jeunes majeurs d’aujourd’hui, qui sont notre avenir, que l’on pourra orienter de façon positive l’énergie de notre jeunesse au plus grand bénéfice de la société toute entière.

Le 16 octobre 2008,

Daniel PICAL, Président de la chambre de la famille, à la Cour d’appel de Versailles,

. Membre du comité directeur de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille,

. Représentant de l’Association Internationale des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille auprès du Conseil de l’Europe.