Observations de l’AFMJF auprès du groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l’affaire dite "d’Outreau"

#TDM

Le lecteur est informé que le rapport du groupe de travail a repris l’intégralité des propositions formulées par l’AFMJF.

Paris, le 26 novembre 2004

#1#I - Le cadre et les principes d’intervention du juge des enfants

Le juge des enfants doit intervenir pour instaurer des mesures de protection lorsque la santé, la sécurité, la moralité d’un enfant mineur sont en danger ou lorsque ses conditions d’éducation sont gravement compromises (article 375 du code civil)

Deux principes fondamentaux gouvernent la matière :

1 - principe de subsidiarité : c’est aux parents, titulaires de l’autorité parentale, de faire cesser la situation de danger, de sauvegarder ou de restaurer les conditions d’éducation gravement compromises. Le juge des enfants intervient de façon subsidiaire en fonction des capacités parentales, de leur caractère suffisant ou non, pour assumer la protection de l’enfant en danger.

2 - principe d’efficience : la protection de l’enfant est une question essentielle relevant de l’ordre public. Cela justifie les pouvoirs du juge des enfants exorbitants du droit commun tant en matière d’investigation qu’en matière de décision sur le fond.
Parce qu’il est d’ordre public, la protection de l’enfance en danger doit être efficacement garantie par le juge des enfants.

L’office du juge des enfants est précisément d’articuler entre eux ces deux principes fondamentaux qui peuvent être selon les situations ou selon l’évolution d’une situation donnée, complémentaires ou antagonistes.
Parfois, le juge des enfants actionnera davantage le principe de subsidiarité plutôt qu’imposer lui-même des mesures de protection ; parfois, il devra assurer l’efficacité de la protection au détriment du rôle normalement dévolu aux titulaires de l’autorité parentale.

Deux principes d’action sont pour ce faire donnés au juge des enfants :

1 - principe de continuité : le juge des enfants doit continuer d’intervenir tant qu’est caractérisée la notion de danger ou que demeurent compromises les conditions d’éducation de l’enfant concerné.

Le juge des enfants n’est pas dessaisi par le jugement qu’il rend sur le fond dès lors qu’il instaure une mesure de protection. Il reste en charge du dossier jusqu’à la cessation du danger.

2 - principe d’ajustement des mesures de protection : le juge des enfants dispose du pouvoir de modifier, de compléter, d’interrompre ou de ré instaurer les mesures de protection en fonction de l’évolution de la situation de l’enfant et de sa famille : retirer l’enfant de son milieu naturel ou si les circonstances le permettent organiser son retour, suspendre ou rétablir un droit de visite, etc…

#2#II - Articulation entre protection de l’enfant (assistance éducative) et procédure pénale concomitante

1 - Le criminel tient le civil en l’état

Cette règle est sans application lorsque est en jeu le système de protection des mineurs institué par les articles 375 et suivants du code civil (cass 1er civ. 4 oct 1965 : D. 1966, 193).

Or, de fait, bien souvent l’irruption d’une procédure pénale fige la procédure d’assistance éducative.
Le législateur n’a pas en la matière prévu de passerelles entre les deux champs d’intervention judiciaire, hormis les dispositions de l’article 706-49 du CPP.

2 - le juge des enfants est le juge de la protection de l’enfant, pas le juge de la recherche de la vérité

Ses objectifs relevant de l’ordre public diffèrent de ceux du juge pénal. Ils sont toutefois souvent concordants mais il arrive qu’ils soient contradictoires.
Une articulation est nécessaire.

3 - le temps d’action du juge des enfants n’est pas celui du juge pénal

Intervenant souvent en amont (le juge des enfants est fréquemment à l’origine du déclenchement de poursuites pénales), le juge des enfants doit continuer son action le temps de la procédure pénale et la poursuivre lorsque celle-ci s’achève que ce soit sur un non-lieu ou une relaxe ou sur une condamnation.

Les éléments recueillis par le juge d’instruction (notamment les expertises des auteurs lorsqu’il s’agit des parents ou de l’enfant victime) sont des informations précieuses pour le juge des enfants afin d’orienter la procédure d’assistance éducative et ajuster les objectifs des mesures de protection.

De même, l’état d’avancement de la procédure d’assistance éducative peut être un éclairage utile pour le déroulement de la procédure pénale en cours (notamment sur l’opportunité d’aménager un contrôle judiciaire, ou prononcer une remise en liberté)

4 - La protection efficace de l’enfant vise à ne pas laisser l’enfant enfermé dans son statut de victime

La reconnaissance de la place de victime dans le processus pénal a permis des avancées certaines mais ce statut se révèle trop réducteur dans le processus de restauration des conditions d’éducation de l’enfant.

Les travaux de Boris Cyrulnik en la matière s’appuyant sur des échanges avec des praticiens (juges des enfants, thérapeutes, éducateurs …) confirment cette réalité.

En ce sens, l’intervention du juge des enfants en assistance éducative doit favoriser pour l’enfant le dépassement de son statut de victime.

5 - La crédibilité de la parole de l’enfant : les expertises en cause

Les expertises dites de crédibilité posent problème ; des expertises portant sur l’analyse systémique des relations familiales au début et à la fin de la procédure seraient opportunes.

Les juges des enfants disposent d’un outil performant leur permettant de mettre en lumière un fonctionnement famille dans sa dynamique et faisant ainsi apparaître les sources de danger, les incohérences et les atouts d’une organisation familiale : l’IOE.
Un dispositif pluridisciplinaire ainsi qu’un échange, dans certains cas, sociologique ou anthropologique du milieu familial et social pourrait utilement être transposé pour être utilisé par les juges d’instruction.

#3#III - Propositions de l’AFMJF

1 - Saisine systématique des juges des enfants en assistance éducative dans le cas d’enfant victime de violences sexuelles ou non dès lors que celles-ci sont d’origine intra-familiales.

2 - Rappeler l’application de l’article 706-49 du CPP : le procureur de la république ou le juge d’instruction informe sans délai le juge des enfants de l’existence d’une procédure concernant un enfant victime d’une infraction de nature sexuelle et lui en communique toutes pièces utiles dès lors qu’une procédure d’assistance éducative a été ouverte.

3 - Spécialisation des juges d’instruction mineurs victimes et mineurs délinquants.

4 - Créer des articulations procédurales entre assistance éducative et pénal :

  • a - Avis obligatoire du juge des enfants sur les mesures pouvant affecter la relation parent/enfants ;
  • b - Consultation du dossier d’assistance éducative ou demande de note de synthèse au juge des enfants à l’occasion de l’audience semestrielle de la chambre d’instruction sur l’état et la poursuite de l’instruction ;
  • c - Information systématique du juge des enfants saisi des suites données aux investigations (classement sans suite, ordonnance de renvoi, jugements) ;
  • d - Création de « conférences de procédure » entre juge des enfants et juge d’instruction ;
  • e - Sessions de formation pluridisciplinaires regroupant magistrats, éducateurs, psychologues et psychiatres avec études de dossiers pour faire émerger de bonnes pratiques ;
  • f - Module de formation continue pour juges d’instruction et juges des enfants sur l’articulation des procédures ;
  • g - Expertises à redéfinir : expertises familiales à favoriser qui permettent d’éclairer le fonctionnement familial ; expertises de crédibilité à réexaminer ;
  • h - Recommander la nomination d’administrateurs ad hoc différents du service gardien de l’enfant ;
  • i - Favoriser le rôle et la formation des administrateurs ad hoc (autres que l’ASE) dans l’articulation des saisines et décisions des juges d’instruction et des juges des enfants.