L’AFMJF approuve la démarche de clarification des compétences respectives de l’autorité judiciaire et administrative dans le domaine de la protection de l’enfance, ainsi que l’institutionnalisation d’instances de concertation et de coordination, indispensables au niveau départemental.
La présentation de l’objet et du cadre de la circulaire suscite néanmoins des réserves.
Le rôle des magistrats du siège dans la définition de la politique judiciaire
La lisibilité de la politique judiciaire en matière de protection de l’enfance sur le département est essentielle mais il convient de préciser que les magistrats des Parquets devront l’élaborer en lien avec les juges des enfants. Cette indispensable concertation figure dans le projet de circulaire à la fin de la fiche 3 mais devrait être soulignée dès l’introduction où, en l’état, seul le rôle du Parquet dans l’élaboration de la politique judiciaire est mis en avant.
De plus, si l’intervention administrative se différencie de l’intervention judiciaire de par sa nature contractuelle, il y a lieu de rappeler que le Juge des enfants doit quant à lui s’efforcer de rechercher l’adhésion des familles à la mesure envisagée (article 375-1 du code civil). La mesure d’assistance éducative est une décision judiciaire obligatoire mais cette recherche d’adhésion reste l’un des principaux axes de l’audience et est indissociable de l’intervention du Juge des enfants.
Le manque de crédibilité de la PJJ dans le champ de la protection de l’enfance dont elle se désengage
Au delà de l’affirmation de principe du rôle politique de la DPJJ pour l’ensemble des questions relatives à la justice des mineurs, il est pour le moins paradoxal d’affirmer et de tenter de justifier la place centrale des services de la PJJ dans le champ de la protection de l’enfance au moment même où elle se désengage de l’assistance éducative !
Le savoir faire et la reconnaissance des services de la PJJ dans le domaine civil reposaient sur la complémentarité des situations de mineurs pris en charge. Le désengagement des mesures d’assistance éducative représente un profond affaiblissement dans les relations de la PJJ avec le Conseil Général et ne lui permettra plus d’influer véritablement les choix et les politiques départementales.
Quelle est la légitimité des services de la PJJ pour intervenir dans un champ qu’ils désertent ? Les juridictions des mineurs constatent de plus en plus cette décrédibilisation de la PJJ dans les échanges que les juges des enfants ont avec leurs conseils généraux.
De quels moyens dispose la PJJ pour garantir l’exécution des décisions de Justice qui sont exclusivement confiées à l’ASE ou au service associatif habilité ? A ce titre, comment la PJJ envisage de réagir aux conséquences d’éventuels délais excessifs dans l’exécution des décisions judiciaires confiées aux départements ?
Comment la PJJ peut elle être garante d’une offre suffisante en protection de l’enfance au moment où elle n’assure plus cette mission et où le transfert massif des mesures qu’elle exerçait vers les Conseils Généraux entraîne des ruptures dans les prises en charge et l’augmentation des listes d’attente ?
Surtout, comment la PJJ ose-t-elle prétendre mieux comprendre les enjeux de la protection de l’enfance grâce à son recentrage sur les mesures pénales ? Si les mineurs délinquants sont effectivement avant tout des enfants en quête de repères, il est faux d’affirmer que ce sont « les jeunes les plus en difficultés ».La gravité des situations ne se mesure pas à l’aune de leur pénalisation : certains mineurs en immense souffrance et à la dérive ne se confrontent pas aux passages à l’acte délictueux mais s’enferment avant tout dans des agissements auto-destructeurs, comme le souligne le très faible taux de pénalisation des comportements transgressifs des filles.
Comment la PJJ peut-elle mettre en avant la cohérence de son intervention alors même que le recentrage au pénal et le raccourcissement préconisé des mesures conduisent à des ruptures dans les suivis de ces jeunes au parcours déjà chaotique et complexe ?
La concertation entre les différents partenaires ne peut remplacer la continuité d’un suivi et la création d’un lien de confiance avec les mineurs, nécessaires pour une aide et une protection efficaces.
Plus généralement nous nous interrogeons sur la capacité de la PJJ en tant que service de l’Etat à garantir l’égalité de traitement des justiciables sur l’ensemble du territoire en matière de protection de l’enfance ?
Fiche 1 : l’intervention judiciaire recentrée sur les situations les plus graves
La saisine du parquet par le président du conseil général
La fiche reprend avec précision les termes de la loi du 5 mars 2007.
Il conviendrait cependant d’expliciter davantage « l’impossibilité à collaborer » dans laquelle se trouvent certaines familles.
La circulaire indique en l’état que les parquets devront s’assurer de l’impossibilité à mettre en oeuvre une mesure administrative en raison du refus des familles ou « pour tout autre cause » expression très générale et confuse.
L’accord des familles pour l’intervention services de prévention peut être insuffisant pour mettre en oeuvre une mesure contractualisée Il existe de nombreuses situations où les services sociaux ne se heurtent pas à l’opposition formelle des familles mais où pourtant une mesure administrative ne pourra pas être protectrice pour les enfants et sera vouée à l’échec.
Une saisine judiciaire s’impose dès lors qu’il s’agit d’une adhésion de façade non seulement pour les familles qui ne sont pas en capacité de donner un consentement libre et éclairé ( parents handicapés, parents malades psychiatriques) mais aussi pour celles incapables de prendre conscience de la problématique familiale et d’y répondre de façon adaptée en raison de leurs limites propres ou de leur positionnement à l’égard des difficultés familiales ( déni des parents de la souffrance de leur enfant qui pose des problèmes de comportement, ambivalence des parents à l’égard du besoin de soin psychiatrique de leur enfant, ambivalence des adolescents à l’égard de leur besoin d’aide et de l’intervention d’un éducateur…). Le rôle du juge des enfants ne peut en effet être réduit à un régulateur de conflits et à simple arbitrage entre les services sociaux et les familles ; il représente une autorité légitime et bienveillante qui permet, par son statut et le cadre judiciaire, d’initier un travail efficace avec les familles.
La fiche 1 maintient en outre une certaine confusion entre les situations « particulièrement complexes et graves portant immédiatement atteinte à l’intégrité des mineurs » pour lesquels un traitement administratif accéléré est prévu et les situations « d’une gravité particulière » permettant la saisine directe du parquet par les professionnels de l’enfance ( pararaphe B).
Afin d’éviter les risques de signalement tardif ou d’exigence excessive des parquets à l’égard de la prévention, il apparaît opportun de retenir comme critère d’intervention immédiate de l’intervention judiciaire « l’évidence de l’insuffisance d’une mesure administrative ».
Le maintien de la saisine directe du juge des enfants
Le projet de circulaire omet de mentionner la possibilité légale de saisine d’office du Juge des enfants parmi les cas ne nécessitant pas l’intervention préalable du Conseil Général.
Il est par ailleurs indiqué que le Juge des enfants n’a pas la possibilité de renvoyer l’information à la CRIP mais la circulaire ne prévoit rien pour permettre une circulation efficace de l’information et une transmission des situations dans les cas où le Juge des enfants clôture un dossier en assistance éducative mais estime qu’une intervention administrative serait adaptée et opportune.
Le renvoi des signalements sur le conseil général
Le projet de circulaire institue la fin des RRSE en matière civile.
Si l’on peut admettre que cette disposition s’inscrit logiquement dans la répartition des compétences issues de la loi du 5 mars 2007 en ce qui concerne les informations préoccupantes reçues par le Parquet, il n’en va pas de même pour les saisines directes du Juge des enfants.
Le RRSE civil est en effet un outil indispensable pour compléter et éclairer les requêtes que le Juge reçoit directement et qui ne sont soumises à aucun formalisme particulier. Elles sont bien souvent incomplètes, confuses et insuffisantes pour tenir utilement une première audience. Les informations recueillies par l’UEAT permettent de suppléer l’absence de possibilité de renvoi au CRIP et d’obtenir les renseignements nécessaires en vue de l’audience devant le Juge des enfants. Le RRSE n’a pas vocation à remplacer les mesures d’investigations judiciaires qui pourront être ordonnées après l’audition des parties. De même, le RRSE civil est particulièrement utile pour renseigner le Juge des enfants lorsqu’un mineur, ou plus rarement un parents se rend directement au Tribunal pour solliciter de l’aide et est alors reçu par l’éducateur de permanence.
Fiche 2 : La spécificité de l’intervention judiciaire
Les spécificités de l’investigation judiciaire
L’AFMJF adhère pleinement à la nécessité de rappeler la spécificité de l’intervention judiciaire et de confirmer que l’évaluation administrative n’a pas vocation à suppléer l’investigation judiciaire.
La spécificité de l’action éducative dans un cadre contraint
La définition de l’action éducative contrainte peut être amendée aux fins de la définir comme l’établissement d’un lien constructif avec un enfant et sa famille et non pas un lien productif.
L’AFMJF soutient le développement de prises en charges innovantes mais rappelle que la diversification des mesures se heurte à l’absence de moyen de pressions sur le département pour sa mise en place effective.
La définition des pouvoirs du juge est par ailleurs cohérente.
L’interprétation précise et cadrée de l’intervention du juge des enfants pour autoriser le service gardien à effectuer des actes relevant de l’autorité parentale apparaît particulièrement opportune, les services devant avant tout chercher à travailler en collaboration et en confiance avec les parents dans l’intérêt des mineurs dont ils ont la charge.
Il convient de même de rappeler que l’anonymisation du lieu d’accueil d’un enfant doit rester exceptionnelle. Il s’agit d’une décision motivée prise par le Juge des enfants, et non par le service, dans l’intérêt du mineur ou en cas de danger , l’opposition des parents au placement ou leur difficulté à collaborer avec le service gardien n’étant pas suffisant pour justifier une telle décision.
Fiche 3 : La coordination des acteurs de la Justice des mineurs en protection de l’enfance
Comme il l’a déjà été souligné en introduction, se pose ici de façon criante la question de la légitimité des services de la PJJ au sein des instances départementales de concertation des acteurs de la protection de l’enfance. Comment la PJJ peut elle se faire entendre dans un champ qu’elle déserte ? Comment la PJJ pourra-t-elle influer sur les orientations départementales sans moyen d’action ?
La contribution de l’institution judiciaire à la définition de la politique en matière de protection de l’enfance :
l’analyse partagée
Le projet de circulaire demande à l’institution judiciaire d’être particulièrement attentive à la question de la fluidité des parcours mais le texte reste muet sur la façon dont doivent s’opérer ces passages de relais entre le judiciaire et l’administratif ou entre le pénal et le civil. Il conviendrait de préciser la façon dont peuvent s’opérer les échanges d’information entre les divers acteurs pour éviter des interruptions dans les suivis, le changement de service éducatif étant déjà source de difficultés pour les mineurs et leur famille.
L’habilitation
Il convient en premier lieu d’insister tout particulièrement sur l’indispensable concertation entre la PJJ et les juridictions des mineurs en matière d’autorisation et d’habilitation des structures du secteur associatif, aux fins de mener une politique conjointe tant sur les besoins que sur les associations à habiliter.
Le maintien d’une double habilitation en civil ( ASE et justice) est par ailleurs important. Il apparaît néanmoins que cette préconisation de principe, qui permet notamment de garantir une continuité dans les suivis des mineurs placés, se heurte à la réalité du terrain : On assiste en effet de façon préoccupante à un clivage dans les lieux d’accueil et à leur recentrage exclusivement sur le civil ou le pénal. En outre, l’arrêt du financement des mesures de protection jeunes majeurs qui illustre bien comment la liberté de prescription du juge est conditionnée par les choix des gestionnaires, n’incite pas les SAH à solliciter une habilitation justice en vue de placements directs.
L’AFMJF soutient enfin la préconisation selon laquelle les associations habilitées pour intervenir dans le champ de la prévention (milieu ouvert) ne puissent pas intervenir sur mandat judiciaire.
L’audit
Il est indispensable de prévoir la transmission systématique à l’institution judiciaire des résultats des missions d’audit , qu’ils soient menés par la PJJ ou conjointement par la PJJ et le conseil général.
Il convient ici encore de souligner le paradoxe des politiques menées en matière de protection de l’enfance. Le développement des audits et l’incitation à mettre en oeuvre des mesures innovantes renforcées se fait dans un contexte de suppression massive de postes et d’appauvrissement de l’encadrement des équipes (mutualisation des moyens, un directeur pour deux structures…). Le développement d’une instance de contrôle sans garantie de suivi d’effets de ses conclusions fera-telle avancer la qualité ?
Par ailleurs, il conviendrait de rappeler la mission faite aux juges des enfants de visiter les établissements auxquels ils recourent qui s’analyse en une certaine modalité de contrôle et d’en tenir compte dans leurs charges d’activité.
La contribution de l’institution judiciaire
La contribution aux CRIP
Le projet de circulaire fait valoir que la présence des magistrats ou des personnels de la PJJ dans les cellules n’est pas souhaitable. Il apparaît dès lors nécessaire que les CRIP informent la PJJ des noms des familles dont les situations seront évoquées en CRIP afin de permettre à la PJJ de transmettre des renseignements utiles à l’évaluation et à l’orientation lorsqu’elle connaît elle même la situation familiale.
La coordination accrue de la Justice
Le directeur des SPIP n’a pas sa place dans des instances de concertation concernant la protection de l’enfance.
Conclusion : le rôle central du président du tribunal pour enfants
L’articulation des compétences des conseils généraux et de la justice, l’interdépendance et la complémentarité des dispositifs relevant de l’Etat et des départements dans le domaine de la protection de l’enfance imposent que le point de vue de la juridiction des mineurs soit représenté par un interlocuteur identifié, capable des mesurer la complexité des enjeux , de rappeler l’indépendance du siège dans sa décision juridictionnelle, tout en s’efforçant de garantir la lisibilité et la cohérence des pratiques judiciaires.
Le Décret du 4 février 2008 sur le « juge coordonnateur » est bien en deçà de ce que l’on aurait pu attendre, tout au moins pour les grandes et moyennes juridictions. Comme le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport (octobre 2009), l’apport de ce décret « ne doit pas être surestimé car le rôle du juge coordonnateur se limite concrètement à l’élaboration d’un rapport annuel d’activité, ne reçoit pas le titre de président du TPE. Aucune prérogative particulière ni décharge d’activité ne lui sont attribuées pour lui permettre d’assurer ses fonctions d’organisation et de coordination ».
Le projet de circulaire ne répond pas à cette problématique et n’évoque d’ailleurs le « juge coordonnateur » que de façon occasionnelle et dans un rôle très secondaire.
L’AFMJF rappelle donc une nouvelle fois la nécessité d’institutionnaliser le rôle de coordination et de représentation du président du Tribunal pour enfant, condition nécessaire pour que les juridictions pour enfants soient crédibles face à une entité départementale organisée sur un mode unitaire et hiérarchisé et qu’elles occupent la place qui est la leur dans le dispositif de protection de l’enfance.
A ce titre la création dans les grandes juridictions de postes de 1er vice-président en charge de la juridiction des mineurs nous semblent un préalable indispensable à une réelle participation et reconnaissance de l’institution judiciaire dans les politiques publiques mises en oeuvre dans la protection de l’enfance.