Avis du conseiller à la protection de l’enfance, cour d’appel d’Aix en Provence.

 
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Observations générales

1. Il est important que le Ministère de la Justice et des Libertés donne des orientations et directives d’application de la loi du 5 mars 2007, la justice devant définir une politique nationale en matière de protection de l’enfance, et ayant vocation à assurer l’égalité devant la loi de tous les citoyens sur l’ensemble du territoire national, quelle que soit la diversité des politiques et des moyens mis en oeuvre par les Conseils Généraux dans chaque département. Le Ministère de la Justice et des Libertés doit d’autant plus participer activement à l’élaboration de cette politique que les mesures de protection de l’enfance sont, aujourd’hui encore, très majoritairement, des mesures judiciaires ordonnées par des juges des enfants (78 % des placements et 76 % des AEMO d’après le rapport 2008 de l’ONED).

2. A cet égard, on ne peut que regretter le caractère tardif de cette circulaire, qui interviendra près de 3 ans après la promulgation de la loi, et alors que l’un des dispositifs les plus importants de concertation, l’élaboration de protocoles en vue de la mise en place des cellules de recueil des informations préoccupantes, a déjà été mis en oeuvre dans la quasitotalité des départements (74 protocoles signés ou finalisés en novembre 2009) sans que des orientations nationales aient été fixées. La cour d’appel d’AIX en PROVENCE a, heureusement, organisé elle-même, dès 2008, un dispositif de concertation et de coordination de l’action judiciaire en matière de protection de l’enfance (cf infra).

3. Il paraît réducteur de limiter l’intervention judiciaire à la nécessité de porter atteinte à l’exercice de l’autorité parentale. Cette expression n’apparaît pas dans la loi de 2007. Elle est même contradictoire avec l’esprit et les textes de l’assistance éducative, dont la finalité est d’apporter aide et assistance aux parents dans l’exercice de leur autorité parentale, et de s’efforcer de recueillir leur adhésion. L’atteinte à l’autorité parentale est certes possible dans certains cas, mais elle ne résulte pas inéluctablement ni nécessairement de l’intervention judiciaire.

4. Enfin, on doit regretter dans le projet de circulaire l’absence de l’affirmation de la place et du rôle du juge des enfants : en effet, si ce texte développe successivement le rôle du Parquet, celui de la direction de la PJJ, la coordination du dispositif de protection de l’enfance, la contribution du Ministère de la Justice et des Libertés à la définition d’une politique de protection de l’enfance, et enfin , les instances de concertation de la justice des mineurs, il est frappant de constater qu’aucun paragraphe spécifique n’est consacré au rôle du Juge des enfants, alors que celui-ci demeure un élément central dans le dispositif français de protection de l’enfance. Certes, la fiche 2 évoque les pouvoirs du juge, mais en donnant une interprétation règlementaire à des dispositions légales, alors qu’il appartient au juge des enfants de les interpréter et des appliquer, sous le contrôle des juridictions d’appel.

Le rôle du parquet

L’affirmation du rôle du Parquet en matière de protection de l’enfance est importante, mais il paraît être limité à sa participation à l’élaboration des protocoles de recueil des informations préoccupantes, en prévoyant notamment les possibilités précises de saisine directe de la justice, et au respect de ces dispositions et du circuit de signalement déterminé. On peut regretter qu’une fois le circuit de recueil et de traitement des informations préoccupantes établi, il semble que le rôle du procureur de la République se limite à vérifier le respect des prescriptions de l’article L226-4 du code de l’action sociale et des familles.

Il semble ainsi contradictoire d’affirmer le rôle du Ministère Public tout en ne lui permettant en fait que de saisir le juge des enfants ou classer les signalements reçus, en demandant au Conseil Général de rester saisi. La lecture de la fiche 1 confirme qu’il ne dispose d’aucun moyen d’investigation autonome. Il ne peut demander d’éléments complémentaires ou d’enquête. En particulier, il ne peut plus prescrire de RSSE en matière civile La vision de son rôle apparaît ainsi très réductrice.

Il est important de rappeler que la définition des politiques doit s’effectuer en concertation avec les juges des enfants. Toutefois, cette concertation ne doit pas se limiter à la phase d’élaboration de ces politiques, mais s’étendre aussi à leur application et à leurs évolutions au vu de la pratique de chacun des acteurs de la protection de l’enfance. Le juge des enfants est en effet un élément incontournable de la protection de l’enfance, et le mettre à l’écart peut entrainer des processus de contournement qui ont déjà été rencontrés dans certains départements. La loi a maintenu la possibilité qu’il soit saisi directement par l’un des parents ou le mineur, mais aussi qu’il puisse se saisir d’office à titre exceptionnel, ce qui n’est curieusement pas mentionné dans le projet de circulaire.

Le rappel de la mission de coordination et d’animation des parquets par le Parquet Général est pertinent. Il permet de favoriser une concertation et une cohérence de l’action judiciaire dans les départements comportant plusieurs tribunaux pour enfants. Il permet aussi de garantir, au niveau de la cour d’appel, l’égalité des citoyens devant la loi. En revanche, le rôle dévolu aux directions territoriales de la PJJ dans l’élaboration des politiques de protection de l’enfance, notamment le travail sur les contenus des signalements, paraît être en total décalage avec la réalité du terrain et avec l’évolution du rôle assigné à la PJJ, pour les motifs développés ci-dessous.

Le rôle de la PJJ

Au niveau national, la participation de la PJJ à l’élaboration de la politique nationale de protection de l’enfance et des normes qui l’organisent, est nécessaire. En revanche, au niveau local, elle paraît très discutable : la mission première des services déconcentrés est d’apporter une aide à la décision des magistrats et d’assurer l’exécution des décisions prises par ces derniers, soit directement, soit par l’intermédiaire du secteur associatif habilité. Envisager que la PJJ puisse participer à l’élaboration des politiques locales de protection de l’enfance est en outre rendu difficile par l’évolution des missions de la PJJ depuis 2007.

En effet, le recentrage de la PJJ sur le pénal, et surtout, l’arrêt brutal de l’exécution des décisions civiles du juge des enfants ou des mesures d’aide aux jeunes majeurs, a eu pour effet de réduire la place de la PJJ en matière d’assistance éducative.

Tous les intervenants du secteur constatent en effet que :

- la PJJ n’assure plus l’accueil en assistance éducative dans les tribunaux pour enfants et il est envisagé qu’elle ne puisse même plus effectuer de recueil de renseignements socio éducatifs à la demande des parquets ou des juges des enfants, ce qu’on ne peut que déplorer.

- Elle n’exercera plus de mesures d’AEMO, ou de placements ni en assistance éducative, ni en ce qui concerne les jeunes majeurs

- Elle continuera seulement d’exercer des mesures d’investigation et d’orientation éducative et des enquêtes sociales

- Certes, le secteur privé habilité continuera d’exercer des mesures d’AEMO et de placement sur mandat judiciaire, mais le financement des mesures d’AEMO et de placement est assuré à 100 % par les conseils généraux, ce qui limite inévitablement la place et l’influence de la PJJ.

- L’arrêt programmé de toute action éducative en matière civile aura inéluctablement pour conséquence d’altérer les compétences de la PJJ dans le domaine de l’assistance éducative.

- Cette situation est d’autant plus regrettable que la PJJ bénéficiait d’une compétence reconnue d’intervention en ce qui concerne les adolescents.

Nous constatons avec regret que la crédibilité de la PJJ dans ce domaine est gravement atteinte auprès des Conseils Généraux, comme dans les associations du secteur associatif habilité, dont un grand nombre ne souhaite plus le maintien de l’habilitation justice. De ce fait, même les missions d’’audit et d’évaluation risquent d’être difficiles à mettre en oeuvre dans plusieurs départements. Il conviendrait par ailleurs de rappeler que ces missions doivent être conduites en étroite concertation avec les juges des enfants, qui sont chargés également de donner un avis sur le fonctionnement des établissements et services habilités, qu’ils peuvent contrôler notamment les établissements accueillant des mineurs délinquants, et qu’ils ont le pouvoir de vérifier euxmêmes à tout moment la situation d’un mineur qu’ils ont placé en assistance éducative.

Si l’on ne peut qu’approuver le rappel bienvenu de la finalité des mesures éducatives tant civiles que pénales, il est à craindre que, dans la pratique se produise le clivage des populations que souhaite justement éviter le projet de circulaire. Le maintien d’une capacité effective d’intervention en assistance éducative, notamment pour les adolescents difficiles, paraît être une condition indispensable du maintien de la crédibilité de la PJJ à rester un acteur central de la protection de l’enfance.

Les instances de coordination des la justice des mineurs

La nécessité d’une coordination de la justice des mineurs est évidente et partagée. Il faut cependant rappeler que la coordination de l’action de magistrats du siège ne peut être mise en oeuvre que par l’autorité judiciaire.

En matière de protection de l’enfance, la coordination de l’action des juges pour enfants, juges du siège indépendants, incombe désormais au juge des enfants coordinateur institué par le décret du 4 février 2008. La définition d’une politique judiciaire sur le ressort du TGI est ensuite effectuée par concertation entre les juges des enfants et le parquet de chaque juridiction, conformément aux missions qui leur sont dévolues par la loi. L’acteur principal avec lequel doit être défini au plan local la politique de la protection de l’enfance est le Conseil Général.

Dans la plupart des départements, des relations régulières existent et permettent d’assurer cette concertation. Dans ce contexte, et eu égard aux réserves rappelées ci-dessus, le rôle de la PJJ en matière de protection de l’enfance ne peut actuellement qu’être limité, d’autant que la loi ne lui a confié aucune mission et qu’elle s’est elle-même retiré de toute action sur le terrain.

Il faut souligner une difficulté particulière dans les départements comportant plusieurs tribunaux pour enfants, qui exige également une concertation départementale, pour garantir une cohérence de l’action judiciaire.

L’organisation de réunions de concertation régulières est souhaitable. Mais les modalités prévues dans la fiche 3 (réunions trimestrielles, à l’initiative des parquets, s’appuyant sur les directions territoriales de la PJJ, s’adressant non seulement aux juges des enfants mais aussi aux juges d’instruction, aux juges des libertés et de la détention) ne semble pas conforme aux besoins réels de la concertation en matière de protection de l’enfance, ni au respect de l’indépendance de magistrats du siège.

L’association des juges d’instruction et des juges de la liberté et de la détention convient à des réunions portant sur les mineurs délinquants, mais ces magistrats ne sont pas concernés par la protection de l’enfance. En outre, ces réunions de concertation doivent nécessairement être co organisées par le siège et le parquet, étant rappelé qu’elles ne peuvent en aucun cas aboutir à porter atteinte au pouvoir juridictionnel du juge.

Dans la cour d’appel d’Aix en Provence, ont été créées à l’initiative des chefs de cour depuis plus de deux ans, une coordination qui donne satisfaction tant aux juridictions qu’aux Conseils Généraux : les cellules départementales de coordination de la justice des mineurs, réunissent, dans chaque département, les juges des enfants coordinateurs, les substituts des mineurs, la DPJJ, et le Conseil Général. Ces cellules sont animées conjointement par le conseiller délégué à la protection de l’enfance et le substitut général chargé des affaires de mineurs, chacun d’eux disposant de par sa fonction de la légitimité nécessaire pour faciliter la coordination de l’action des magistrats du siège ou du parquet. La PJJ a été bien sûr associée à ces cellules, par la participation du DDPJJ et du DIRPJJ. Les Conseils Généraux sont représentés par les directeurs de l’enfance, voire le directeur général des affaires sociales.

Ce dispositif permet une représentation coordonnée de la justice dans chaque département, mais aussi une cohérence au niveau du ressort de la cour d’appel.

Le Conseiller Délégué à la Protection de l’Enfance

Jean-Michel PERMINGEAT

 
 

publié le dimanche 24 janvier 2010, par administrateur