La parole de l’enfant dans les procédures civiles le concernant

Par Daniel PICAL, président de chambre honoraire

Si le mineur délinquant est un acteur reconnu dans le processus pénal pouvant conduire celui-ci à être même relativement jeune reconnu coupable d’infraction et être condamné, son rôle dans les procédures civiles a été longtemps insignifiant compte tenu de son statut d’incapable sur le plan juridique représenté par ses parents dans tous les actes de la vie civile. Pendant longtemps l’enfant n’a pas eu droit à la parole. D’ailleurs lorsque dans l’ancien droit on évoquait l’”infans” c’était pour représenter celui qui ne parle pas.

Pour n’aborder que la situation récente, une des rares exceptions de l’intervention directe du mineur pour être partie dans une action judiciaire est la législation sur l’assistance éducative qui permet notamment au mineur lui-même, de présenter une requête auprès du juge des enfants s’il estime que sa santé, sa sécurité, sa moralité ou ses conditions d’éducation sont gravement compromises (art. 375 du code civil) et, s’il est capable de discernement d’être entendu dans le cours de la procédure (art. 1182, 1184, 1186 du Nouveau Code de Procédure Civile), de faire appel des décisions prises et de demander personnellement qu’elles soient modifiées ou rapportées (art. 375-6 du Code Civil).
Une évolution plus récente a permis d’introduire la parole de l’enfant dans de nouvelles procédures civiles.

I. Des droits nouveaux

 
1) Le consentement requis

La loi du 8 janvier 1993 a prévu le consentement exprès du mineur dès 13 ans - pour son adoption simple (au lieu de 15 ans) pour le changement de prénom (art. 60 § 3, du Code Civil) ainsi que pour le changement de nom lorsque ce changement ne résulte pas de l’établissement ou d’une modification d’un lien de filiation (dans ce dernier cas le changement de patronyme pour un enfant majeur est effectué sous réserve de son consentement (art. 61-3, 363, du Code Civil).

 
2) L’audition du mineur

 
La Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant (CIDE) du 26 janvier 1990 énonce en son article 12 que “les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant “notamment” il doit avoir “la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale”.

La Cour de cassation saisie de l’applicabilité directe de la Convention avait estimé à plusieurs reprises que ses dispositions ne créaient des obligations qu’à la charge des Etats parties mais n’était pas applicable en droit interne. Elle estimait que les juridictions ne pouvaient pas utiliser le principe du “Self executing” en dépit des vives critiques de la doctrine.
(Cass. civ. 1re, 10-3-93, D. 1993, chronique LIV-M.C. RONDEAU-RIVIER, J.C.P. 1993. 3677, pp. 223-227, Etude NEIRINCK-MARTIN : “Un traité bien maltraité” ; D. 1993, Jur. pp. 361-363, note MASSIP, Civ. 1re, 2-6-93, D. 1993. I.R. 153).

La Cour de Cassation a modifié sa jurisprudence en admettant dans des décisions récentes l’applicabilité directe de ladite Convention en visant dans une affaire “l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3.1 de la Convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant” pour approuver une décision de Cour d’appel qui avait organisé un droit de visite au profit d’un transsexuel dont elle avait, par ailleurs annulé la reconnaissance de paternité qui se trouvait contraire à la réalité biologique (Cour de Cassation 1ère chambre civile 18/05/2005 n° 02-16-336). 

Dans une autre affaire rendue le même jour la Cour de Cassation a visé expressément la violation des articles 3.1 et 12.2 de la Convention des Nations Unies à l’égard d’un arrêt de cour d’appel qui ne s’était pas prononcé sur la demande d’audition de l’enfant formé par lettre, en cours de délibéré, dans la procédure engagée par son père, pour voir modifier sa résidence, “alors que la considération primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit de celui-ci à être entendu lui imposaient de prendre en compte la demande de l’enfant”.

 
3) Les dispositions légales

 
La loi du 8 janvier 1993 complétée par la loi du 5 mars 2007 a repris l’essentiel des dispositions de la Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant (CIDE) en exposant dans le nouvel article 388-1 du Code Civil :
 
“Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.
Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.
L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.
Le juge s’assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat”.

 
 

II. Les conditions de leur exercice

 
1) Le discernement

 
Cette notion ne substitue à celle de l’âge (13 ans) antérieurement prévue dans le cadre de la procédure en divorce (art. 290-30, C.C.).
Elle doit s’apprécier au cas par cas en prenant en considération notamment, “l’âge, la maturité et le degré de compréhension” (circulaire justice du 3-3-93).

 
2) Les procédures concernant le mineur

 
Il s’agit en premier lieu de procédures concernant la séparation ou le divorce dans la mesure ou les conditions de vie du mineur en seront affectées.
 
L’enfant est concerné également par les actions se rapportant à l’exercice de l’autorité parentale et d’une façon générale lorsque ses intérêts sont en jeu dans la mesure où ceux-ci sont personnels directs et certains.
 
Par ailleurs lors d’une demande d’émancipation l’audition du mineur est maintenant expressément prévue par le juge des tutelles.
 
 

III. Le processus à suivre

 
Si le juge peut procéder d’office à une audition une distinction peut être opérée entre les demandes formulées par les parents et celles qui émanent directement du mineur même si ces demandes d’audition peuvent avoir été suscitées par l’une ou l’autre des parties.
 
Dans le premier cas, si le juge accepte de lui donner une suite favorable il sera particulièrement prudent en rappelant, d’autant plus au mineur son droit au silence.
 
Dans le second cas si l’audition est de droit, l’article 338-33 du code de procédure civile prévoit que “La décision par laquelle l’audition est ordonnée peut toutefois être modifiée ou rapportée par une autre décision spécialement motivée lorsque le juge à connaissance d’un motif grave s’opposant à ce que le mineur soit entendu dans les conditions initialement prévues”.
 
Les articles 338-1 à 338-9 du code de procédure civile détaillent la procédure à suivre pour “l’audition de l’enfant en justice”.
Cette demande est présentée sans forme au juge par l’intéressé, en tout état de la procédure et même pour la première fois en cause d’appel (article 338-4 du code de procédure civile).
Le mineur est convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, doublée d’une lettre simple, l’informant de son droit d’être entendu seul, avec un avocat ou une autre personne de son choix. Le même jour le secrétariat de la juridiction avise les défenseurs des parties elles-mêmes par lettre recommandée avec demande d’avis de réception de la décision ordonnant l’audition (art. 338-5 du code de procédure civile). Le refus d’audition doit être notifié par courrier (art. 338-8 du code de procédure civile).
En cas de demande d’audition en présence de toutes les parties et du mineur, celle-ci “peut avoir lieu sur-le-champ” (art. 338-8 du code de procédure civile).
Sauf cas particulier d’urgence, cette manière de procéder ne paraît pas appropriée et conforme à l’intérêt de l’enfant qui doit pouvoir s’exprimer hors la pression inévitable qui s’instaurerait en cas d’audition précipitée qui ne respecterait pas la nécessaire sérénité qui doit accompagner la démarche de l’enfant.
 
 

IV. Les modalités de l’audition

 
1) L’intervention de l’avocat

 
Le mineur peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix : si la personne choisie n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut désigner une autre personne qui pourrait, par exemple, être un avocat puisque, par ailleurs le juge peut procéder à la désignation d’un avocat lorsque l’intéressé n’en a pas déjà choisi un.
L’avocat bénéficie de droit de l’aide juridictionnelle.
 
En l’absence de dispositions législatives ou réglementaires concernant les modalités de l’intervention de l’avocat il est hautement souhaitable que ceux d’entre eux qui sont intéressés par cette activité élaborent dans le cadre des ordres, des règles déontologiques adéquates ainsi que cela existe dans plusieurs barreaux et qui consiste notamment à former un groupe d’avocats volontaires :
 
 désireux de se spécialiser, au moins à temps partiel, dans le droit de la famille,
 désignés à tour de rôle sous la responsabilité du Bâtonnier,
 rencontrant le mineur, éventuellement à plusieurs reprises, mais aucune des parties, 
 n’ayant pas été précédemment le conseil de l’un des parents,
 rémunérés uniquement par l’aide juridictionnelle ou par l’ordre.
 
L’observation de ces règles minimales éviterait la survenance de difficultés qui ont pu être constatées ici ou là. 

 
2) Le rôle de l’avocat

 
Certains avocats souhaiteraient non seulement assister le mineur au cours de son audition mais le représenter alors que si la loi actuelle permet à tout mineur capable de discernement d’être entendu dans toute procédure le concernant, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, il est bien précisé que cette audition ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.
 
Une décision récente de la Cour de Cassation (Cass. Chambre civile 1 du 22 novembre 2005-n° 03-17912) marque toutefois une évolution en retenant que :
“C’est à bon droit et en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3.1 de la convention de New York du 26 janvier 1990, et de son droit à être entendu dans toute procédure le concernant consacré par l’article 12-2 du même traité, que la cour d’appel, sans lui accorder la qualité de partie à la procédure et sans confier ses intérêts à un administrateur ad hoc, l’administration des biens du mineur n’étant pas en cause, a pris l’initiative de lui faire désigner un avocat afin de recueillir ses sentiments et d’en faire état lors de l’audience, étant relevé que la juridiction saisie a toujours, en tout état de la procédure, la possibilité de procéder à l’audition personnelle de l’enfant, soit à sa demande, soit si les circonstances rendent cette mesure utile ou nécessaire” ;

Depuis que la loi du 5 mars 2007 a précisé que “Le juge s’assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat” (art. 388-1 in fine) on note un accroissement très sensible du nombre de demandes d’auditions souvent suscitées par l’un ou l’autre des parents ;

 
3) La rédaction d’un procès-verbal

 
Ainsi que le rappelle la circulaire de la Chancellerie “l’audition n’obéit à aucun règle procédurale particulière”.
L’absence de “règle procédurale particulière” ne signifie pas toutefois qu’il y a lieu de n’en suivre aucune mais qu’en l’absence de règle particulière, il convient de se reporter aux dispositions générales du N.C.P.C. demandant, notamment, au juge de faire observer et d’observer lui-même, en toutes circonstances, le principe du contradictoire (article 16, N.C.P.C.).
 
De nombreux magistrats ne rédigent aucun écrit et se contentent d’indiquer que le mineur a été entendu en soulignant que la retranscription des paroles de l’enfant pourrait le traumatiser. Si une telle objection peut être fondée dans certains cas il n’est pas pertinent, à mon sens, d’en faire une question de principe. Il convient d’abord de permettre au juge, qui n’est certes pas un psychologue ou un psychiatre, de bénéficier d’une formation spécifique dans la mesure où cette mission lui est confiée par la loi, afin que l’audition du mineur soit réalisée avec le tact et la délicatesse nécessaires.
 
Le procès-verbal, qui peut être succinct, doit refléter les sentiments exprimés par l’enfant mais évitera de reproduire d’éventuels débordements intempestifs concernant, notamment, les griefs invoqués par les époux dans le cadre de leur procédure conformément à la prohibition prévue par l’article 205. N.C.P.C.
 
Le juge doit expliquer au mineur que s’il est attentif à son expression, la décision qui interviendra sera de la seule compétence des autorités judiciaires et prendra en considération l’ensemble des éléments de la procédure.
 
Il conviendra ainsi que la circulaire de la Chancellerie l’a heureusement indiqué que “en tout état de cause la reconnaissance du droit pour le mineur à s’exprimer ne saurait faire oublier que celui-ci a la possibilité de ne pas l’exercer ou de se rétracter”.

Pour le moins, un procès-verbal rédigé en présence du greffier devra être dressé lorsque la motivation de la décision judiciaire se fonde précisément sur les déclarations faites par le mineur. Il sera cosigné par le mineur, le greffier et le magistrat et versé aux débats avec l’accord du mineur.
 
L’enfant étant demandeur doit, en principe, avoir quelque chose à dire au juge. Il a toutefois toujours la latitude de changer d’avis.
 
L’absence de procès-verbal peut être à l’origine d’une intervention négative de la part des père et mère sur l’enfant : l’un ou l’autre fantasmant sur ce qu’a pu dire celui-ci hors de sa présence. 
 
L’établissement d’un écrit selon les règles de procédure indiquées ci-dessus est au contraire de nature à sécuriser l’enfant et sera pour lui une garantie lui permettant d’inviter chacune des parties à se reporter au seul contenu du procès-verbal. L’objet du débat étant délimité à l’écrit connu par les deux parents fera tomber l’éventuelle suspicion et évitera à l’enfant de subir des questionnements inutiles.
 
Cette façon de procéder, fondée sur une longue pratique personnelle, permet de constater que sur plusieurs centaines d’auditions, le refus du mineur de porter à la connaissance des parents son contenu n’est intervenu qu’à deux ou trois reprises. La connaissance par les parties du sentiment de l’enfant a permis souvent à celles-ci de modifier leurs demandes en abandonnant, par exemple leurs conclusions de changement de résidence ou leurs exigences sur l’organisation du droit de visite et d’hébergement.
 

S’il convient d’éviter de donner à l’enfant le sentiment de “toute puissance”, le recueil de son opinion dans toute procédure le concernant permet de le considérer comme un sujet et non comme un simple objet de droit. Avec les autres éléments de la procédure le juge devra toujours s’efforcer de faire prévaloir la solution conforme à son meilleur intérêt actuel.