La société doit supporter ses jeunes.

Par Martine de MAXIMY, présidente du tribunal pour enfants de Nanterre.

NOUVELOBS.COM | 27.06.2007 |

Des mineurs en prison, il en existe déjà. Quelles nouveautés, dans le projet de loi, vous paraissent choquantes ?

 Les textes actuels prévoient effectivement des cas d’emprisonnement pour les mineurs. Mais le principe, celui de l’ordonnance de 45, reste d’utiliser des mesures éducatives, la peine de prison devant être une exception. Le projet de loi actuel a clairement pour objectif d’aller vers plus d’emprisonnement : d’une part, les peines planchers prévues pour les adultes sont applicables aux mineurs ; d’autre part, l’excuse de minorité disparaît dans un certain nombre de cas. Mises ensemble, ces deux dispositions vont entraîner automatiquement plus de peines de prison pour les mineurs.

En plus, la présentation immédiate des mineurs, renforcée par la loi du 5 mars 2007, va provoquer un plus grand nombre de jugements de mineurs si les parquets l’utilisent plus qu’aujourd’hui. Et qui dit plus de jugements, dit plus de cas de récidives potentielles…

Le projet de loi prévoit une souplesse, puisque le tribunal garde la possibilité de conserver l’excuse de minorité. Ne peut-on imaginer que si le juge le fait systématiquement, cette loi ne changera rien ?

 Aujourd’hui, l’excuse de minorité divise par deux le plafond des peines. La nouvelle loi permet d’écarter cette excuse de minorité, donc d’appliquer les peines prévues pour les adultes, en cas de violences ou de récidive légale. En cas de violences, le juge doit motiver sa décision de ne pas appliquer l’excuse de minorité, ce qui n’est pas le cas en cas de récidive légale. C’est un moyen, insidieux, de l’inciter à choisir cette voie.
Le texte va encore plus loin en cas de deuxième récidive : l’excuse de minorité ne s’applique pas, donc les peines planchers prévues par la loi s’appliquent automatiquement. Le juge peut prendre une décision contraire, motivée, et décider d’utiliser l’excuse de minorité. Mais cela constitue une exception à un principe posé par la loi et nécessite une démarche volontaire. On peut toujours dire qu’un juge fait ce qu’il veut : il est tout de même là pour appliquer la loi ! S’il l’écarte, ce doit être dans des cas exceptionnels.

Si la prison n’est pas la solution, comment faire reculer la récidive ?

 Il faut distinguer l’incarcération et la contrainte : l’incarcération est une sanction, pour un temps donné, qui met à l’écart pendant un temps. La prison n’empêche pas la récidive, au contraire, tout le monde le sait. Il vaut mieux qu’elle arrive le plus tard possible, sinon, le jeune l’inscrit dans son identité, et il rencontre là-bas un univers de violence, des gens qui vont avoir une influence sur lui. Une contrainte efficace peut s’exercer dans un lieu très encadré, qui impose un suivi aux mineurs : les centres éducatifs fermés et les centres éducatifs renforcés, en éloignant un jeune de son univers, donnent de bons résultats. Une autre piste intéressante : le suivi éducatif rapproché à domicile. Mais dans ces deux cas, les moyens sont insuffisants et ces solutions proposées à trop peu de jeunes.

Les mineurs qui ont eu des suivis éducatifs après des délits disent que ce qui les a sauvés, c’est d’être valorisés et soutenus par des personnes qui n’ont pas eu un regard négatif sur eux. Quand un jeune rencontre un éducateur qui lui fait comprendre qu’il ne le lâchera plus, cela peut marcher ! Les mesures de réparation, auprès d’une association d’aide par exemple, sont très efficaces : le mineur travaille sur la notion de culpabilité, on lui parle de son acte, de la raison de celui-ci. Ce travail éducatif sur lui-même limite les cas de récidive.

Encore faut-il accepter que cela prenne du temps, celui de l’élaboration, et savoir que pendant ce temps, le jeune peut commettre à nouveau une infraction. Il y a un moment où la société doit supporter ces jeunes, et se donner les moyens de faire de l’éducatif. Il n’est pas possible de lui répondre par la prison, comme à un adulte, sans avoir essayé autre chose.

Les gros délinquants sont rarement des jeunes qui ont récidivé, ce qui montre que notre système marche plutôt bien. A Nanterre, et notre tribunal est représentatif de ce qui se passe ailleurs, chaque année, 14 % seulement des mineurs jugés et déclarés coupables comptent trois délits ou plus au cours des trois dernières années. Ce n’est pas énorme, cela ne justifie pas une nouvelle loi qui remette en cause les équilibres actuels.

Propos recueillis par Cécile Maillard
(le mercredi 27 juin 2007)