Les droits des enfants isolés étrangers en France (septembre 2006)

 
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Muriel Eglin, Institution du Défenseur des Enfants
Juin 2006

Dès la fin des années 1990, ce qui n’était considéré jusque là que comme un épiphénomène va se transformer en véritable problème de société.

Très vite, leur présence va révéler des contradictions entre les nécessités d’une politique de maîtrise des flux migratoires et celles du respect des droits de l’enfant. Un constat, qui émane du service d’inspection générale des affaires sociales (IGAS), résume à lui seul les tensions que l’on constate dans l’accueil et la prise en charge des mineurs isolés étrangers : « Selon que domine la conscience de leur minorité ou celle de leur nationalité étrangère, la vision du sort à réserver à ces jeunes étrangers diffère ».

La loi française interdit l’expulsion d’un mineur qui se trouve sur notre territoire. Toutefois, lorsqu’un mineur est démuni de titre d’entrée en France, les autorités peuvent refuser son admission et organiser son rapatriement immédiat, sans prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant.
De grandes disparités existent dans la détermination du statut et l’organisation de la prise en charge des mineurs isolés étrangers, rendant leur situation personnelle et leurs perspectives d’avenir particulièrement incertaines. Certains dispositifs novateurs ont toutefois été mis en place et gagneraient à être généralisés.

Un recensement difficile de mineurs aux parcours hétérogènes

Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, il existerait environ 50 000 mineurs étrangers non accompagnés en Europe occidentale et orientale. Il n’existe toutefois aucun recensement quantitatif fiable de leur présence en France. En effet, les décomptes sont effectués par plusieurs administrations qui se réfèrent à des sources différentes, poursuivent des objectifs distincts et interviennent à des stades successifs de leur prise en charge (accueil, mesure administrative ou judiciaire, interpellation, demande de statut de réfugié). La difficulté à établir l’identité de certains de ces mineurs, leur déplacement parfois rapide et l’interdiction de principe d’intégrer toute donnée relative à la nationalité dans un fichier informatisé rendent la construction d’un outil statistique dédié particulièrement difficile. Les services de l’aide sociale à l’enfancce de Paris viennent toutefois d’obtenir l’autorisation spéciale de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) de recenser les mineurs étrangers isolés. Quelques tentatives de recensement méritent toutefois d’être citées.

Une première enquête réalisée en 2000 par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse auprès des parquets et de ses directions territoriales estimait à 2700 le nombre de mineurs étrangers isolés connus de l’autorité judiciaire sur l’année, dont plus d’un tiers sur le seul ressort de la Cour d’appel de Paris. Cette enquête montrait par ailleurs l’inégale répartition sur l’ensemble du territoire puisque des Cours d’appel de Paris, Douai, Versailles, Aix en Provence et Montpellier provenaient 75% des situations recensées. Plus de 1800 mineurs ont bénéficié d’une prise en charge par décision judiciaire civile ou pénale. 75% d’entre eux sont accueillis par les services décentralisés des cnseils généraux. Environ 20% des mineurs pris en charge auraient un référent familial en France et 10% auraient déposé une demande d’asile.

L’enquête précitée de l’IGAS, qui porte sur 60 % des départements français, a recensé environ 3100 admissions de mineurs étrangers isolés dans les services de l’aide sociale à l’enfance en 2003, 2300 pour les 9 premiers mois de l’année 2004. Ils représentaient 2,7 % des mineurs confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance à l’ASE. Cette proportion est de 13% à Paris. Une augmentation des accueils de 16 % entre 2001 et 2003 est enregistrée sur la moitié des départements concernés. Les accueils en région parisienne tendent à diminuer depuis 2003. Cela peut s’expliquer notamment par le recul marqué des arrivées par l’aéroport de Roissy en raison de la sévérité des contrôles (voir ci-après, les mineurs en zone d’attente).

La mise en perspective de ces deux enquêtes montre que le phénomène des mineurs étrangers isolés est désormais présent sur tout le territoire. Il se manifeste toutefois de manière hétérogène : si en région parisienne, 62 nationalités sont représentées en 2003, la majeure partie des mineurs accueillis à Marseille est d’origine marocaine, alors que le Congo est davantage représenté en région Rhône-Alpes sous l’influence de communautés et d’églises très présentes à Lyon et à Grenoble. Les modes d’arrivée sur le territoire français sont également divers : voie aérienne, rail, route, voie maritime, après transit par d’autres pays tels que l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne.

Cette diversité concerne également les histoires, parcours et trajectoires des mineurs, ainsi que le démontre une étude réalisée en avril 2002 par Etiemble et l’association QUEST’US à la demande de la Direction de la Population et des Migrations . L’étude distingue :

  les « exilés » fuyant la guerre ou les conflits ethniques ou religieux (Congo, Libéria, Nigéria, Sierra-Léone, ex-Yougoslavie, Rwanda). Exposés à l’atrocité des guerres, ils ont souvent été pris en charge dans un premier temps par des ONG qui ont assuré leur départ des zones de conflits,

  les « mandatés » chargés par la famille de se procurer de l’argent ou de réussir à l’étranger, sont envoyés en France avec le soutien de filières d’immigration. Cette forme d’immigration paraît plus spécialement réservée à des filières chinoises qui, selon les services de police, relèveraient de la criminalité organisée,

  les « exploités », victimes de trafics divers (prostitution , esclavage domestique, délinquance) et pris dans des organisations criminelles,

  les « errants » qui poursuivent en Europe un parcours d’errance commencé au pays, poussés hors de chez eux par la faim, la misère et la pauvreté.

A cette typologie s’ajoute celle des intervenants de terrain qui opposent les mineurs étrangers isolés peu désireux de protection, qui s’échappent aussitôt que possible, et ceux qui manifestent au contraire une volonté d’intégration en s’inscrivant dans des parcours d’insertion. Quoiqu’il en soit, cet exil, même s’il est organisé constitue pour chacun de ces jeunes une expérience traumatique.

La non-expulsabilité des enfants étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire français : la situation des enfants en zone d’attente

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (articles L 511-4 et L521-4) interdit l’expulsion d’un mineur qui se trouve sur le territoire français. Sans l’accord des titulaires de l’autorité parentale, un mineur isolé étranger ne peut donc être rapatrié contre sa volonté. Aussi, un mineur qui se trouve seul sur le territoire français doit normalement bénéficier d’une mesure de protection sans risquer un renvoi qu’il ne souhaite pas dans son pays d’origine. Il existe toutefois une exception à cette situation : lorsqu’un étranger démuni d’autorisation d’entrer sur le territoire national arrive en France, les autorités peuvent refuser son admission et organiser son rapatriement immédiat. Dans l’attente du premier moyen de transport disponible pour organiser son retour, il peut être maintenu dans une zone d’attente pendant une période de 48 heures, renouvelable une fois par l’autorité administrative et pouvant être prolongée de deux fois 8 jours par le juge des libertés et de la détention, soit un total de 20 jours.

Cette zone est fictivement considérée comme extérieure au territoire national. Dès lors les dispositions protectrices des mineurs ne s’y appliquent pas et les mineurs isolés étrangers peuvent être reconduits d’autorité vers leur pays d’origine ou, pire, de provenance. En effet, les compagnies aériennes ont la responsabilité de vérifier les titres d’entrée sur les territoires nationaux et doivent financer le voyage du retour en cas d’irrégularité. On a ainsi vu une adolescente congolaise de 14 ans, arrivée de Kinshasa via la Chine, être renvoyée à Canton , qui s’est avéré quelque temps plus tard être une plaque tournante du trafic d’êtres humains, notamment en vue de la prostitution .
Par ailleurs, même lorsqu’ils sont renvoyés vers leur pays d’origine, aucun dispositif de contrôle et d’accueil n’est prévu pour garantir que ces mineurs seront remis à leurs parents ou pris en charge dans des conditions suffisamment protectrices. Il n’est donc pas certain que ces enfants seront protégés de l’éventuel trafic qui les a menés jusqu’en France, ou recueillis dès leur arrivée par une organisation criminelle.

Si le maintien d’un mineur en zone d’attente n’est pas prolongé, il sera admis sur le territoire français et dès lors ne pourra plus être expulsé. L’enjeu de leur admission est donc certain. Dès le 4 octobre 2000, l’institution du Défenseur des Enfants s’est saisie de la situation. Elle a demandé d’une part que tous ces mineurs puissent bénéficier d’une admission sur le territoire français, d’un accueil et d’une protection sociale et familiale . Elle a demandé d’autre part qu’un représentant légal leur soit désigné pour accomplir les actes de procédure nécessaires.

Seule la seconde recommandation a été entendue : la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a prévu que les mineurs retenus en zone d’attente, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’un représentant légal, ont le droit d’être représentés et assistés par un administrateur ad hoc désigné immédiatement par le procureur de la République. Il sera compétent pour formuler une demande d’asile et recevoir notification de toutes les décisions concernant le maintien en zone d’attente. Il accompagnera le mineur aux audiences du juge des libertés et de la détention et pourra faire appel des décisions.

Malheureusement, la préoccupation de protection s’arrête trop souvent là et le dispositif semble avoir été mis en place en vue d’organiser le retour des enfants et non leur protection. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 7 décembre 2004 , a toutefois indiqué que le juge des enfants était territorialement compétent pour les mineurs maintenus en zone d’attente. Elle a toutefois rappelé qu’il ne pouvait intervenir qu’à condition de caractériser une situation de danger au sens de l’article 375 du code civil relatif à l’assistance éducative. Le rapatriement n’est donc pas encore considéré comme un danger en soi pour les mineurs en zone d’attente.

Enfin, les mineurs en zone d’attente ne sont pas tous séparés des adultes : les mineurs de plus de treize ans sont dans les mêmes locaux que les adultes et la configuration des lieux ne permet pas toujours leur protection. Quant aux mineurs de moins de treize ans, ils sont certes accueillis dans des locaux spécifiques, généralement, une chambre d’hôtel sous la surveillance d’un membre du personnel d’une compagnie aérienne, mais n’ont plus accès aux conseils et aux interventions des associations de soutien aux étrangers.

La non-expulsabilité des enfants étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire français : le protocole d’accord franco-roumain

Dans le cadre des mesures de protection prises au bénéfice des mineurs isolés étrangers, un projet de retour en famille peut être élaboré. C’est en effet auprès de sa famille et dans son environnement habituel qu’un enfant ou un adolescent a sa place naturelle. De tels projets sont élaborés progressivement, avec l’accord du mineur et celui de sa famille, si toutefois sa famille est en mesure de s’occuper de lui dans des conditions qui ne le mettent pas en danger. Les autorités françaises qui prennent soin du mineur ont le devoir de s’assurer, auprès du pays de destination, que sa protection sera garantie, qu’il ne tombera pas aux mains de trafiquants… Dans ce cadre, et afin de prendre en compte l’arrivée massive d’enfants roumains victimes de prostitution notamment à Paris, la France a signé en 2002 avec la Roumanie un accord intergouvernemental. Cet accord vise à protéger les mineurs roumains isolés en difficulté sur le territoire français, à organiser le cas échéant leur retour dans leur pays d’origine et à lutter contre les réseaux d’exploitation. Cette convention a permis le rapatriement d’une quarantaine d’enfants. L’objectif ne peut toutefois être que qualitatif, les décisions devant toujours être prises dans l’intérêt de l’enfant. Le travail de coopération mené parallèlement a permis l’amélioration du dispositif administratif de protection des enfants en Roumanie et la mise en place d’actions de prévention des départs d’enfants.

Toutefois, dans le cadre de la renégociation de ces accords qui arrivent à échéance, l’hypothèse d’organiser un renvoi plus systématique, sans recueil du consentement des enfants ni de celui de leurs parents et sans passage par le dispositif de protection de l’enfance, est étudiée. La Roumanie serait alors présumée être en mesure de prendre en charge ces enfants de manière satisfaisante, à l’instar de ce qui se pratique avec les pays européens tels que la Belgique et la Grande-Bretagne. Toutefois, un tel système, construit dans l’objectif de multiplier les rapatriements sans se soucier concrètement du devenir de ces enfants, s’apparenterait à l’organisation de l’expulsion de mineurs. Son application serait susceptible de se révéler tout à fait contraire aux exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant qui, dans son article 3, rappelle que l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale dans toute décision l’intéressant.

Le statut des mineurs isolés étrangers : un dispositif légal protecteur inégalement appliqué

La détermination de l’âge : un système d’exclusion ?

Les premières investigations ont pour objectif de déterminer l’identité du mineur. De son âge dépend en effet la possibilité de bénéficier du régime protecteur applicable aux mineurs. C’est la loi française qui est appliquée et non le statut personnel du mineur, les mesures de protection de l’enfance relevant de l’ordre public.

Les règles ne sont pas identiques en matière civile et en matière pénale : en matière pénale, la preuve de l’âge peut se faire par tout moyen et les autorités ne sont pas légalement tenues de se référer aux documents d’identité. En matière civile, l’article 47 du code civil prévoit que tout acte de l’état civil dressé à l’étranger fait foi s’il est rédigé dans les formes usitées dans le pays concerné, sauf s’il est irrégulier, s’il a été falsifié ou s’il ne correspond pas à la réalité. Le doute peut provenir d’éléments intrinsèques à l’acte ou d’informations extérieures, de témoignages par exemple. C’est le cas lorsqu’il est établi que l’acte s’applique à une autre personne, ou que la personne qui le présente a, de manière évidente, un âge différent de celui résultant de l’acte. Dans ce cas et en l’absence d’acte de l’état civil, l’âge peut s’apprécier par tout moyen. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 2 mars 2004 et la cour d’appel de Lyon, le 26 avril 2004, ont précisé que pour écarter un acte de l’état civil, il fallait rapporter la preuve de son irrégularité, de sa falsification ou de sa fausseté. Toutefois, ce texte est appliqué de manière très hétérogène sur le territoire national et la cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer. Ainsi, les tribunaux ne tiennent pas toujours compte de la présence d’actes de l’état civil et procèdent à des vérifications médicales. En cas de divergence entre les deux, c’est de l’expertise qu’il est tenu compte, sans que soit toujours établi le caractère faux de l’acte de l’état civil. Il est même arrivé que certains mineurs, déclarés majeurs après une expertise osseuse, se voient refuser le dépôt d’une demande d’asile parce que mineurs selon leurs documents d’identité (l’intervention d’un administrateur ad hoc est nécessaire pour permettre aux mineurs de déposer une demande d’asile).

L’examen médical consiste généralement en une expertise osseuse, parfois accompagnée d’un examen morphologique et pubertaire, d’un entretien et, exceptionnellement, d’un examen dentaire. Pour l’expertise osseuse, des examens radiologiques du poignet sont ordonnés et comparés avec des tables de clichés d’une population américaine « d’origine caucasienne » des années 1930 (atlas de Greulich et Pyle) ou d’une population britannique de classe moyenne des années 50 (méthode de Tanner et Whitehouse). Ces examens permettent de déterminer une fourchette d’âge à plus ou moins dix-huit mois. Le mineur n’est pas toujours accompagné d’un interprète et la fourchette d’âge n’est pas toujours appliquée au bénéfice de la personne. Les pratiques, quoique très diverses selon les régions, aboutissent à utiliser l’expertise osseuse comme tentative d’exclure les personnes du bénéfice de mesures de protection.

Le Comité national consultatif d’éthique, saisi par le Défenseur des Enfants, a critiqué en 2005 l’utilisation d’une technique aussi peu fiable à des fins de détermination d’une date de naissance précise qui conditionne la reconnaissance de droits. Il a préconisé des investigations beaucoup plus larges (entretiens, examens morphologiques) et pluridisciplinaires (données psychologiques, sociales, médicales) et une approche européenne de la question. En cas d’investigations, l’intervention d’interprètes devrait être systématisée et le principe selon lequel le doute profite à la personne devrait être effectivement mis en œuvre.

Le ministère de la justice a créé un groupe de travail chargé de proposer de nouvelles méthodes de détermination de l’âge qui soient plus justes et plus conformes au respect des droits humains.

Les mineurs étrangers peuvent relever de plusieurs statuts différents

Lorsque les parents sont absents ou ne peuvent être joints, les services de l’aide sociale à l’enfance peuvent recueillir en urgence les enfants sans avoir besoin d’une décision judiciaire. Il leur suffit d’en informer le procureur de la République. A l’issue d’un délai de cinq jours, si les parents ne se sont pas manifestés, ils doivent tout de même saisir les autorités judiciaires afin qu’il soit statué sur le devenir de l’enfant .
Plusieurs interventions judiciaires sont possibles.
En premier lieu, le juge des enfants est compétent en cas de danger ou lorsque les conditions d’éducation sont gravement compromises . Il peut alors confier l’enfant à un tiers, à un établissement ou aux services de l’aide sociale à l’enfance pour une prise en charge immédiate.
En second lieu, le juge aux affaires familiales peut prononcer, à la demande de la personne qui a recueilli l’enfant, une délégation d’autorité parentale en cas de désintérêt manifeste des parents ou si les parents sont dans l’impossibilité d’exercer leur autorité parentale . Les mineurs isolés étrangers étant le plus souvent recueillis par les services de l’aide sociale à l’enfance, c’est le président du conseil général qui se verra déléguer l’autorité parentale.

En troisième lieu, le juge d’instance peut prononcer une mesure de tutelle lorsque l’enfant n’a pas de filiation établie ou que les parents sont décédés ou privés de l’autorité parentale. C’est notamment le cas lorsqu’ils sont inconnus, injoignables ou ne peuvent exprimer leur volonté. Pour un mineur isolé, la tutelle sera déférée au président du conseil général .

Les conditions d’ouverture de ces procédures judiciaires sont progressives mais se recoupent en partie. Dans nombre de situations, la saisine concomitante de plusieurs juges est possible et même souhaitable, pour assurer une protection immédiate et ensuite préparer l’avenir. On constate une extrême diversité des pratiques selon les tribunaux : certains juges des enfants se sont estimés incompétents au motif de l’absence totale des parents , certains juges d’instance estiment que la tutelle n’est pas adaptée.

Dans le meilleur des cas, des protocoles de coordination sont conclus entre les différents juges pour garantir à ces mineurs une prise en charge au plus près de leurs besoins : intervention du juge des enfants dans l’urgence, délégation d’autorité parentale lorsque les parents sont joignables mais ne peuvent l’exercer au quotidien, tutelle en cas d’absence totale des représentants légaux, pour organiser une prise en charge à long terme.

Malheureusement, il arrive que dans d’autres régions, les déclarations d’incompétence ou les refus de se saisir aboutissent à un véritable déni de prise en charge. Les mineurs isolés étrangers deviennent alors l’enjeu de conflits entre institutions, chacun se renvoyant la responsabilité du dysfonctionnement et de l’absence de prise en charge.

L’accueil et l’éducation des mineurs isolés étrangers : une lutte de tous les instants contre les discriminations

Un financement par les conseils généraux

Quel que soit le statut finalement reconnu au mineur, ce sont les conseils généraux qui assumeront la charge financière de ces enfants . Les élus des conseils généraux les plus concernés interpellent régulièrement l’Etat pour qu’il s’engage également dans la construction d’une politique nationale d’accueil de ces mineurs . Des propositions de prise en charge conjointe sont régulièrement effectuées, qui permettrait une harmonisation nationale du système : le préfet de la région Ile de France a remis en 2003 un rapport au gouvernement préconisant une prise en charge concertée par l’Etat dans un premier temps d’évaluation puis par les services de protection de l’enfance des départements. Le rapport de l’IGAS de janvier 2005 sur les mineurs isolés propose de créer un accueil spécifique des mineurs étrangers isolés comportant une phase d’évaluation-orientation de 3 à 4 mois à la charge de l’Etat, puis de constituer des « plate-formes de compétences » juridiques, sanitaires, psychologiques et scolaires, à l’échelon départemental ou régional, pilotées par les services préfectoraux et dont la mission serait assurée par les services habilités à exercer des mesures d’investigation et d’orientation éducative. Ces propositions n’ont pas encore été prises en compte, même s’il existe déjà certains dispositifs financés par l’Etat.

L’apprentissage pour les enfants isolés étrangers : un parcours du combattant ?

Les mineurs isolés étrangers ont, comme les autres, un droit à l’éducation et sont, autant que possible, scolarisés. L’Education Nationale a poursuivi une politique importante de scolarisation adaptée auprès de centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et enfants du voyage (CASNAV). La mise en œuvre locale de cette politique souffre de grandes disparités mais l’effort mérite d’être souligné. Toutefois, les traumatismes que beaucoup ont vécu, le poids de l’exil, la diversité des âges, la crainte des trafiquants influencent fortement l’adaptation sociale et scolaire de ces jeunes. Aussi, la voie de l’apprentissage et de la formation en alternance peut paraître particulièrement adaptée pour nombre d’entre eux. Jusqu’en 2005, la réglementation ne permettait pas aux mineurs isolés étrangers d’effectuer un apprentissage, parce qu’ils n’avaient pas vocation à obtenir un titre de séjour à leur majorité. Des dispenses et autorisations spéciales étaient parfois délivrées de manière exceptionnelle, surtout depuis que le Conseil d’Etat a annulé des refus d’autorisation de travail à des mineurs de plus de seize ans en contrat d’apprentissage, au motif que ces décisions n’étaient pas conformes à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant . La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 permet désormais la conclusion de contrats d’apprentissage aux seuls mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant d’avoir atteint l’âge de 16 ans. Une circulaire du 2 mai 2005 invite en outre les préfets à leur accorder un titre de séjour à leur majorité. Ces dispositions sont certes une avancée importante pour les jeunes qui en bénéficieront mais sont source de discriminations pour les autres, dont la situation n’est pas résolue.

Des dispositifs novateurs

Les hébergements mis en place sont toujours des solutions transitoires avec pour objectif de recourir à terme au droit commun, évitant ainsi que se constituent des ghettos pour mineurs étrangers.

Le LAO de Taverny (Lieu d’Accueil et d’Orientation) dans le Val d’Oise, est financé par l’Etat et géné par la Croix Rouge. Il accueille exclusivement des mineurs libérés de la zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Il évalue leur situation dans un délai de deux mois et propose ensuite une orientation : retour au pays, accueil par un membre de la famille éloignée résidant en France, regroupement familial dans un autre pays, placement de droit commun à l’ASE après évaluation des besoins et des perspectives juridiques.

L’association Jeunes Errants de Marseille, grâce à un cofinancement du Ministère des affaires sociales, du Ministère de la justice et du Conseil général, a mis en place un dispositif de veille préventive, repérage et accroche de mineurs errants. Elle effectue également à la demande des juges des enfants des investigations très complètes sur la situation personnelle de ces jeunes, sans toutefois les héberger directement. Elle s’appuie sur un réseau d’interprètes et les contacts privilégiés noués avec les consulats de différents pays. Elle tente d’entrer en contact avec les familles des mineurs dont elle a la charge. Un projet de prise en charge est alors élaboré avec le jeune, les services d’hébergement locaux et, lorsque c’est possible, avec la famille.

Le CAOMIDA (Centre d’Accueil et d’Orientation pour les Mineurs Isolés Demandeurs d’Asile) de Boissy-Saint-Léger est financé par l’Etat et géré par l’association France Terre d’Asile. Il accueille des demandeurs d’asile de 13 à 18 ans pour une période de douze mois, confiés par décision judiciaire. Disposant d’une solide expertise juridique, il accompagne les demandeurs d’asile et propose des solutions alternatives en cas d’échec. Il s’appuie sur des structures proches pour l’évaluation scolaire, le bilan de santé.

A Paris, un dispositif spécifique a été construit en juin 2003 entre l’Etat, le département et des associations. Il assure des fonctions de repérage, de mise en confiance par le biais d’un accueil de jour, de mise à l’abri temporaire par un dispositif d’hébergement en accueil d’urgence. La durée moyenne de l’accueil est de 20 jours. Enfin, ces jeunes sont accompagnés vers l’aide sociale à l’enfance pour une prise en charge éducative. Le rapport de l’IGAS précité fait ressortir que sur 300 mineurs isolés en 2003, 40% ont donné suite à la première accroche en acceptant de confier leur histoire et leur identité et en exprimant le désir de quitter la rue ; 1/3 sont sortis de ce milieu par une prise en charge par l’ASE ou par un retour au pays. Toutefois, ce dispositif atteint rapidement ses limites lorsque le nombre de mineurs isolés augmente rapidement, comme cela a été le cas durant l’hiver 2005, avec l’arrivée importante de migrants afghans, dont de nombreux mineurs.

Par ailleurs dans nombre de départements, la coopération et la coordination des acteurs s’est inscrit dans la recherche de solutions d’hébergements d’urgence. Par exemple à Grenoble a été crée en mai 2004 un établissement spécialisé dans le premier accueil des mineurs étrangers isolés. D’une capacité de 7 places, il offre un accompagnement-évaluation d’une durée maximum de trois mois à l’issue de laquelle le relais est fait avec les circonscriptions de l’ASE et un hébergement de droit commun.

Dans le département du Nord, un protocole liant le département, la préfecture, la justice, des partenaires publics et associatifs a vu le jour le 13 octobre 2005 . Il clarifie les compétences de chaque autorité et prévoit la création de deux unités d’accueil d’urgence de 15 places chacune. L’évaluation du jeune sera confiée à la protection judiciaire de la jeunesse son orientation à plus long terme sera faite par le département.

Les perspectives à l’approche de la majorité :

Jusqu’en 2003, les jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance pouvaient demander la nationalité française. La loi du 23 novembre 2003 à prévu une condition de délai qui écarte de ce dispositif une majorité des mineurs isolés étrangers : cinq ans de résidence en France avec éducation française ou trois ans de placement à l’aide sociale à l’enfance (art 21-12 CC). La déclaration de nationalité française n’est donc qu’une issue exceptionnelle, d’autant plus que certains tribunaux la refusent au prétexte, non prévu par la loi, d’une intégration insuffisante dans la société française.

Les mineurs isolés étrangers n’ont aucune garantie d’obtenir un titre de séjour à leur majorité et les démarches sont très longues et complexes. Cela constitue un élément significatif de l’accompagnement et la prise en charge par les établissements qui les accueillent. La circulaire du 2 mai 2005 facilitant la régularisation pour les mineurs accueillis à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de 18 ans améliore a situation de quelques une mais risque de fermer encore davantage les portes à ceux qui n’en remplissent pas les critères.

Les demandes d’asile n’aboutissent que dans une minorité de situations tant il est difficile, surtout pour les mineurs, de rapporter les preuves nécessaires à l’obtention du statut de réfugié. Trop souvent encore, l’expulsion vers le pays d’origine demeure une orientation possible, qui compromet bien évidemment l’investissement de ces mineurs dans leur formation, leur scolarité et leurs soins et décourage les travailleurs sociaux de s’investir auprès d’eux.

Alors même qu’aucun mineur ne quitte son pays par plaisir, le traitement de la situation des mineurs isolés étrangers sous le prisme de l’immigration et non de l’enfance en danger favorise la clandestinité et la délinquance, décourage les intervenants sociaux. Les dispositions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme peuvent constituer un levier pour une meilleure prise en compte de leurs droits. Ainsi, c’est au nom du droit au respect de la vie privée prévu par l’article 8 que le Conseil d’Etat a annulé comme entachés d’une erreur manifeste d’appréciation des arrêtés de reconduite à la frontière pris par des préfets à l’encontre de jeunes majeurs, même arrivés récemment, qui avaient bénéficié d’une prise en charge sociale et éducative pendant leur minorité .

Bibliographie :

Rapports publics :

  Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) « la Zone des enfants perdus, mineurs isolés en zone d’attente de Roissy » novembre 2004,

  Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, Avis n° 88 sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques, 23 juin 2005

  Défenseur des Enfants, rapports annuels 2000 à 2005, La Documentation Française

  Inspection générale des affaires sociales, « Mission d’analyses et de propositions sur les conditions d’accueil des mineurs étrangers isolés en France », rapport remis en janvier 2005 au Ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale et à la Ministre déléguée à la lutte contre la précarité et l’exclusion intitulé, La Documentation française et

Publications diverses :

  Revue d’Action Juridique et Sociale, Journal du Droit des Jeunes :

o n°243 mars 2005, dossier « les mineurs isolés », pages 13 à 41,

o n°229 novembre 2003, dossier « Evaluation de l’âge des enfants non accompagnés » pages 14 à 44

  Etiemble Angélina : « Les mineurs isolés étrangers en France. Évaluation quantitative de la population accueillie à l’aide sociale à l’enfance. Les termes de l’accueil et de la prise en charge », Quest’us-direction de la Population et des Migrations, revue Migrations et Etudes n° 109, septembre-octobre 2002

  Rousson Patricia : « le cas particulier des mineurs étrangers isolés », Protection de l’enfance et de l’adolescence, encyclopédie pratique, Editions Weka, 5ème partie, chapitre 2, 2/1.4.

 
 

publié le jeudi 7 septembre 2006, par administrateur