Récidive des mineurs, la loi actuelle suffit.

Par Daniel Pical, président de chambre à la cour d’appel de Versailles, représentant de l’Association internationale des magistrats de la jeunesse et de la famille auprès du Conseil de l’Europe.

Lire l’article en version originale

LE MONDE | 20.07.07 | 13h19

Destiné à renforcer la lutte contre la récidive, notamment des mineurs, ce projet de loi est inutile, régressif par rapport à nos engagements internationaux et inadapté au but poursuivi. Pour justifier la possibilité de traiter un mineur de 16 ans comme un adulte, il a été avancé que, du point de vue d’une personne victime d’une infraction, il n’y avait pas de différence que celle-ci ait été commise par un mineur de 16 ans ou un majeur de 19 ans. Si cet argument paraît aller de soit, il n’a qu’une apparence de pertinence au regard de notre système juridique. En effet, ce qui importe à la victime est que son préjudice soit intégralement réparé, même s’il est causé par un mineur. Il le sera, car il n’existe aucune "excuse atténuante du préjudice" qui ne réparerait qu’à moitié un dommage dont un mineur serait reconnu responsable. Ne vouloir considérer que les conséquences sur la victime pour sanctionner l’auteur conduirait, en extrapolant le raisonnement, à supprimer tout statut pénal spécifique pour les mineurs et à les punir comme des adultes.

Enfin, il convient de rappeler qu’en cas d’infraction pénale, si la plus grande attention doit être portée à la victime avant, pendant et après le procès, elle n’est toutefois que partie civile lors des poursuites engagées par le procureur de la République. Il n’appartient qu’au ministère public de soutenir l’action pénale au nom de la loi : "La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions."

Il est aussi fait état d’une plus grande précocité de la délinquance et d’un accroissement de la part d’infractions violentes commises par des mineurs. Cela signifierait-il que la législation concernant les mineurs délinquants serait inadaptée pour y répondre ?

Fondée sur l’ordonnance du 2 février 1945, la législation pénale concernant les jeunes privilégie les réponses éducatives aux infractions, mais prévoit néanmoins qu’une peine puisse être prononcée à l’encontre des mineurs dès l’âge de 13 ans.

A-t-on vraiment pris conscience qu’avec la législation actuelle, un enfant de 13 ans peut être condamné, en tenant compte de l’atténuation de sa responsabilité pénale, jusqu’à une peine de vingt ans de réclusion criminelle ; le mineur qui agit en état de récidive légale voit sa peine encourue doublée ; la diminution de peine peut être écartée à l’égard d’un mineur âgé de plus de 16 ans selon la réforme de la loi du 5 mars 2007, soit compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, soit parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne et qu’ils ont été commis en état de récidive légale. Cette décision n’a pas lieu d’être spécialement motivée par le tribunal pour enfants si elle est justifiée par l’état de récidive légale. Mais il est vrai que l’excuse atténuante n’est pas souvent écartée, compte tenu du large arsenal répressif existant. Toutefois, rappelons qu’il y a seulement quelques mois, la cour d’assises des mineurs de Pontoise a écarté l’excuse atténuante dans une affaire de viol collectif.

Ainsi, lorsque l’option pénale est choisie par la juridiction, la loi actuelle donne déjà la possibilité légale de condamner sévèrement à une peine de prison tout mineur dès l’âge de 13 ans et comme un adulte dès l’âge de 16 ans. Poser comme principe que, dans les conditions prévues par le projet, un adolescent de 16 ans, fût-il multirécidiviste, puisse encourir les mêmes peines qu’un adulte, y compris donc la réclusion criminelle à perpétuité, serait, à mon sens, contraire à nos engagements internationaux et notamment à la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, qui demande en son article 37-a que les Etats parties veillent à ce que nul enfant âgé de moins de 18 ans ne soit soumis, notamment, à "l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération". Cela pourrait être le cas lors du prononcé du verdict par une cour d’assises des mineurs, même si des aménagements de peine sont susceptibles d’intervenir de manière hypothétique à l’avenir.

Par ailleurs, en donnant la possibilité, de principe, d’abaisser de fait, dans certains cas, la majorité pénale à 16 ans, alors qu’il y a un siècle la loi du 12 avril 1906 avait porté celle-ci à 18 ans, la France marque une régression grave au regard de notre tradition républicaine, et particulièrement des recommandations du Conseil de l’Europe adoptées par le comité des ministres qui demandent aux Etats membres de s’en inspirer dans l’élaboration de leurs législations.

Rappelons que plusieurs Etats comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, la Slovénie, la Croatie, la Lituanie ont prévu que les jeunes adultes de moins de 21 ans puissent faire l’objet, le cas échéant, du même type de sanctions que les mineurs compte tenu de leur développement moral et mental.

En se limitant à un renforcement de la répression, le projet de la loi manque largement son but de lutte contre la récidive. Le décalage entre la prise de décision et son exécution est un facteur primordial pour expliquer la réitération ou la récidive des mineurs. Il faut, en priorité absolue, réduire, voire supprimer, tout délai afin d’éviter de donner au mineur la sensation fallacieuse d’impunité après sa comparution au palais de justice. Une véritable lutte contre la récidive implique donc que soient mis en place les moyens humains et matériels nécessaires pour que les différentes mesures éducatives, en milieu ouvert ou de placement, puissent être exécutées le plus rapidement possible après leur prononcé et jouent leur rôle essentiel de prévention de la récidive en incluant l’intéressé dans un projet personnel motivant afin de mettre fin à sa "carrière délinquante" même si, pendant un temps, il a pu être nécessaire de contenir un mineur difficile pour l’empêcher de nuire aux autres et finalement à lui-même.

L’absence d’augmentation des moyens éducatifs pour la prise en charge effective et rapide en réponse à l’acte commis par un mineur permet de considérer que le seul durcissement des condamnations pénales ne permettra pas d’avoir une influence réelle sur la récidive. S’il convient de responsabiliser et sanctionner, si nécessaire, ceux qui enfreignent la loi, il faut toujours avoir à l’esprit que tout homme est amendable et, a fortiori, tout enfant éducable.

Article paru dans l’édition du 21.07.07.